A l’heure du financement halal

La finance islamique semble séduire tout le monde. La France,
pays laïc qui compte près de 6 millions musulmans, serait prête à décréter des
incitations fiscales pour attirer les banques islamiques sur son territoire.
Après la Grande-Bretagne qui a créé la première banque islamique en Europe,
l’Hexagone suit le pas, puis l’Italie qui compte ouvrir sa première banque
islamique en 2009.

bank-maroc1.jpgMalgré
la part faible de la finance islamique sur le marché –on l’estime à 14%
seulement dans la région du Golfe-, elle a su capter l’attention sur la
spécificité de ses produits. On estime son taux de pénétration à 11,9% à
travers le monde. Son taux de croissance annuel varie entre 10 et 30% en
fonction des classes d’actifs. Selon une étude de Standard and Poor’s, dans
les pays du Golf et l’Asie musulmane, principaux investisseurs dans ce genre
de financement, 20% de la clientèle choisissent un produit financier
islamique plutôt qu’un produit conventionnel.

Selon un rapport réalisé par Moody’s France, 60% de ces banques se
trouvent au Golfe persique (hors Iran). Ils sont au nombre de 43 et sont
majoritairement installés au Bahreïn (28 banques), considéré comme le hub
régional de la finance islamique, malgré une part de marché ne dépassant
pas 7%. Sur ce point, le Kuweït se place en première position dans la
région avec 28% de part de marché et trois banques, suivi par l’Arabie
Saoudite ayant une part de 26% et hébergeant également trois banques.
L’Asie musulmane (Malaisie, Indonésie, Pakistan) attire 20 % de ces banques
sur ces territoires. A elle seule, la Malaisie compte 15 banques
islamiques, dont trois en provenance du Golfe.

Les chiffres rapportés sur les actifs gérés par la finance islamique dans
le monde divergent allant de 256 millions de dollars, d’après un rapport du
sénat français réalisé en octobre 2007, jusqu’à 500 et 700 millions de
dollars, selon l’agence de notation Moody’s. La région du Moyen Orient
capterait à elle seule 350 millions de dollars, suivie par l’Asie du Sud –
Est (100 millions de dollars), l’Europe (20 millions de dollars) et
l’Amérique du nord (10 millions de dollars), selon Moody’s France.

Le marché des sukuks est considéré comme le marché le plus actif de la
finance islamique. On lui prévoit un volume d’émissions de 150 milliards de
dollars à l’horizon 2012. Sous l’effet subprime, ce volume a connu un essor
remarquable ces dernières années : les suskuks locaux se sont élevés à près
de 20 milliards de dollars en 2007 ; les sukuks globaux à près de 37
milliards de dollars à la même année alors qu’ils étaient au dessous de 5
milliards de dollars en 2001. Selon Moody’s France, la Malaisie constitue le
marché le plus dynamique. C’est un marché de gré à gré. On estime qu’elle a
peu de sukuks cotés sur les marchés globaux, avec 66 milliards de dollars en
stock.

En fait, l’essor que connaît aujourd’hui la finance islamique à l’échelle
mondiale, peut être justifié par l’intérêt que lui accordent les banques
occidentales qui sont en train de développer une gamme de produits
financiers islamiques. Ajoutons à cela, la présence d’une importante
communauté musulmane dans des pays comme la France, l’Italie et la Grande
Bretagne auraient l’avantage de booster leur ouverture sur la finance
islamique. D’autres pays comme le Japon et la Chine ont aussi manifesté leur
intérêt à développer ce genre de financement.

Le précurseur en Europe était la Financial Services Authority, en Grande
Bretagne, qui a déjà autorisée, depuis 2004, la création de la première
banque islamique (Islamic Bank of Britain). Plusieurs autres banques
conventionnelles se sont intéressées au phénomène en proposant des services
financiers islamiques et en s’installant là où le marché de la finance
islamique est plus promoteur. A l’exemple de HSBC Amanah, filiale du groupe
anglais HSBC, fondée en 1998, qui s’est installée dans quatre pays
musulmans, à savoir l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, la Malaise
et l’Indonésie. Elle dispose également d’un Sharia supervision, chargée de
contrôler la conformité des opérations financières.

dinaar2.jpgLa Tunisie, nouveau marché de la finance islamique

Au Maghreb, c’est en Tunisie que le financement halal fait acutellement
son entrée. Jusqu’ici une seule banque islamique existait en Tunisie : la
Best Bank ou Beit Ettamouil Saoudi Tounsi, filiale d’Al Baraka Banking
Group, créée en 1983. Le groupe saoudien en détient 78,4% de son capital et
l’Etat tunisien dispose de 10%. Les services de cette banque sont
majoritairement destinés aux institutionnels locaux et aux gros industriels.
Les particuliers ne peuvent accéder qu’au service d’épargne. D’ailleurs, un
responsable de la banque nous a confié que ceci est sujet de débat dans le
monde islamique. « Même si plusieurs banques islamiques en Arabie Saoudite
ou aux Emirats Arabes Unies, par exemple, proposent des services d’octroi de
crédits aux particuliers, ceci n’est pas purement islamique. Un particulier
n’a pas de fonds – comme le chef d’entreprise – qui pourrait lui garantir le
paiement du crédit. C’est pour cela qu’on n’a pas, jusque l’instant, fait ce
pas à la Best Bank, malgré que plusieurs gens nous le reproche », nous
a-t-il indiqué.

La banque gère plusieurs projets dont SPLT, International Tunisia Fair,
Best Lease, Bizerta Economic Activites Park, et Best Re (une compagnie de
Takaful qui gère l’assurance mutualiste islamique).

Actuellement, les choses commencent à changer. Tout récemment, une
demande d’agrément pour la création d’une banque islamique tunisienne «
Ezzitouna » a été déposée auprès de la Banque Centrale de Tunisie, en
attente d’approbation. Présentant un dossier assez solide et répondant au
minimal fixé par le ministère des finances pour la création d’une banque en
Tunisie, elle a toutes les chances d’être reconnue par les instances
officielles.

Plus avant, la banque islamique dubaïrote « Noor » a été autorisée à
installer son bureau représentatif géré par un banquier tunisien. Certains
qualifieraient cette tendance d’extraordinaire, mais elle est tout à fait
raisonnée si on se rend compte de la manne d’investissement du Golfe attirés
par notre pays.

M. Hussein Al Qemzi, Directeur Général de la banque islamique Noor (voir
notre interview avec lui) affirme que l’une des raisons qui ont amené les
responsables de la banque à s’intéresser à la Tunisie est la présence
d’entreprises émiraties qui les ont précédées sur ce marché tels que Dubaï
Holding, Abu Khater er I’maar. « Ceci montre que la Tunisie a réussi à
attirer les investissements plus que tout autre marché dans la région de
l’Afrique du Nord», nous a-t-il précisé.

Ceci étant, l’objectif de cette banque serait de gérer le financement des
projets, la gestion de fonds et le déploiement d’opportunités
d’investissement pour les entreprises. Le bureau de représentation aura pour
mission d’effectuer des opérations stratégiques pour l’étude des marchés
voisins et la planification pour la création d’autres filiales de la banque.
Reste qu’elle n’a pas, pour l’instant, planifié des services financiers pour
les particuliers.

A la conquête de l’Afrique du Nord

Cette tendance à accueillir et autoriser l’installation de banques
islamiques en Tunisie montre une certaine ouverture du pays à ce genre
d’investissement, ce qui n’était pas le cas auparavant. Notons qu’au niveau
législatif, la Tunisie ne dispose pas encore de base juridique en matière de
financement halal. Mais ceci ne semble pas constituer une entrave pour
l’installation de ces banques.

« Dans le monde arabe, seuls la Malaisie et le Bahreïn dispose de lois
qui régissent le financement islamique. Et on constate que, dans les pays
islamiques qui ont islamisé leur système financier, à l’instar de l’Iran, du
Soudan et du Pakistan, le financement halal n’a pas eu la chance qu’il
mérite. Dans les autres pays où de telles expériences n’ont pas été opérées
– tels que les pays du Golfe et les pays sud-asiatiques, les banques
islamiques ont travaillé dur pour arracher leur place sur le marché. La
Tunisie ne se différencie pas de ces pays », nous a indiqué M. Al Qemzi.

La Tunisie serait donc un premier pas vers la conquête du marché de
l’Afrique du Nord, qui semble promoteur. Une étude de l’agence Standard and
Poor’s estime que ce marché a un fort potentiel pour développer le
financement halal sur ses territoires. L’Algérie compte deux institutions :
« Al Baraka », filiale d’Al Baraka Banking Group (Arabie Saoudite) et Al
Salam Bank Group, qui est déjà opérationnelle depuis octobre dernier. Le
Maroc n’a pas encore de banques islamiques, sauf que des produits financiers
dits islamiques sont bel et bien autorisés pour les banques conventionnelles
depuis octobre 2007. Un ajustement fiscal permettant l’éventuelle
installation de banques islamiques est en cours d’étude au sénat marocain.

Dans le monde arabe, la finance islamique existe depuis une trentaine
d’années. La première banque islamique fut la banque islamique de
développement, créée en 1974 à l’initiative de l’Organisation de la
Conférence Islamique. Un an après, la Dubaï Islamic Bank voit le jour pour
être la première banque islamique privée dans le monde arabe. A l’époque,
l’idée d’islamiser les services bancaires ne connaissait pas encore son
chemin. Le Pakistan fut le premier à franchir le pas en islamisant son
système bancaire en 1979.

L’Afrique sub-saharienne n’est pas en reste de cette dynamique, considéré
comme un marché promoteur, selon les observateurs. 37 banques islamiques
sont déjà opérationnelles, accaparant une part de marché de moins de 8%, et
gérant près de 18 milliards de dollars. Le Soudan compte à lui seul 22
institutions qui gèrent 10 milliards de dollars, selon Moody’s France.

A nos jours, les banques islamiques sont présentes dans la majorité des
pays arabes et sont en concurrence avec les banques conventionnelles. La
flambée des prix du pétrole serait l’un des motifs qui ont permis à ces
banques de se développer à l’intérieur et en dehors du monde arabe. D’autant
plus que la montée du sentiment religieux, ces dernières années, leur a
accordé une visibilité accrue aux yeux des musulmans, en quête de produits
bancaires compatibles avec la Chariâa. Ajoutons à cela la crise financière
actuelle, à l’issue de laquelle certains ont proclamé l’adoption de la
finance islamique comme remède aux turbulences financières.

Lire aussi :

– Mafoudh Barouni, DGA de la Best Bank :
« La finance islamique possède une dimension morale qui n’existe pas ailleurs »

– La finance islamique : mode d’emploi