La mode tunisienne : enjeux d’une démarche

faten-skhiri1.jpgUn
workshop sur «les opportunités d’industrialisation et d’exportation de la
mode tunisienne» a été organisé le 14 novembre 2008, en marge du 3ème
Congrès international de recherche appliquée en textile. Les intervenants
ont soulevé des problématiques profondes liées à la question de l’émergence
d’«une mode tunisienne».

«Pour aborder cette question, il y a deux démarches : la première isolée
consiste en une politique artisanale qui privilégie la mise en place sur le
marché et une deuxième axée sur la production industrielle avec la réponse
à un besoin comme point de départ», a indiqué Mme Feten Skhiri, directrice
de l’Institut supérieur des métiers de la mode à Monastir.

Mais avant tout, pourrait-on parler vraiment d’une mode tunisienne ?
Déjà, la plupart des professionnels du secteur, entre industriels et
chercheurs, émettent des réserves sur le concept. Pourrait-on vraiment
parler d’un produit proprement tunisien ? Et comment l’identifier ?

Pour saisir ce débat, Mme Aida El Hadj Slimene, directrice au Centre
sectoriel de formation professionnelle à Rass Tabia, a insisté sur le poids
de la sous-traitance qui a fait de l’industrie textile tunisienne un simple
exécuteur d’ordre des commandes européennes. «Ceci a créé une connivence
entre les deux domaines phare du secteur : le textile et l’habillement. Un
déphasage qu’il faudrait désormais rattraper», a-t-elle expliqué. Alors que
l’habillement prenait son chemin par le biais de la loi 72, le textile était
en marge des projets de l’Etat pour plus de 50 ans. «Pour réussir la co-traitance,
il a fallu que les deux domaines aillent en parallèle. Actuellement, il
faudrait réactualiser les démarches pour faire rattraper le textile à
l’habillement. Au niveau des entreprises, ceci pourrait se faire par la
formation de clusters, en investissant dans le fast fashion, etc.», a ajouté
Mme Slimene.

Créer sa propre marque

Concernant les opportunités de commercialisation, Mme Slimene a indiqué
que les entreprises devraient offrir un produit exportable et absorbable.
Pour ceci, deux démarches sont envisageables : La première serait de créer
des collections de marques déjà existantes, mais qui comporte les mêmes
risques d’aliénation aux donneurs d’ordre et on reste dans la
sous-traitance. La deuxième démarche consisterait en la création de sa
propre marque et de son propre environnement produit. Elle demande des
investissements dans l’approche marketing pour développer l’image du produit
mais aussi une restructuration de l’entreprise elle-même qui devrait être à
l’écoute du marché.

Sur ce point, M. Nabil Sghaïer, industriel tunisien et membre de la
Fédération nationale du textile, a souligné que faire de la sous-traitance
n’est plus suffisant. «Il faudrait investir dans une image de marque qui
permettrait une identification visuelle. Si on veut faire du produit fini,
on doit le faire dans les règles de l’art et s’investir dans la création de
l’image», a-t-il indiqué.

Mais est-il vraiment judicieux de parler d’une mode tunisienne ? A vrai
dire non. «On ne parle plus d’une mode tunisienne, mais de mode
universelle», a rétorqué Mme Slimene. En fait, cette question soulève une
autre question plus fondamentale, celle consistant à considérer la création
d’une mode tunisienne qui découle de l’artisanat. Mme Fatma Samet,
représentante de l’Office national de l’artisanat et membre du jury de la
compétition «Khomsa d’or», a fait remarquer qu’on voit un engouement vers
les collections haute couture plutôt que les collections du quotidien. Ce
qui démontre qu’on est resté dans le registre de la mode artisanale, qui
n’est pas abordable pour les gens ordinaires. Faudrait-il, encore, faire
«cohabiter entre l’héritage artisanal et industriel» ?, selon Mme Skhiri.

C’est à Mme Slimene de rétorquer en disant que l’approche pour
l’industrie est différente de celle de la haute couture. La première devrait
répondre à des attentes particulières du consommateur. Selon une autre
approche, «on ne parle plus de mode tunisienne mais de compétences
tunisiennes. On devrait montrer le potentiel de ces compétences et monter
les atouts », a insisté Mme Skhiri. C’est ainsi qu’au niveau de l’Institut
de la mode de Monastir, un groupe de réflexion est mis en place pour
développer cette approche. Faudrait-il encore investir dans le fast fashion,
un créneau d’avenir très demandé par les donneurs d’ordre.

Donc, tout montre que le débat sur «la mode tunisienne» est loin d’être
fini. On ne s’est même pas mis d’accord sur le concept. Les deux démarches,
celle axée sur l’exploitation de l’artisanat et celle considérant la mode
comme universelle -c’est-à-dire n’ayant ni pays ni frontières- sont bien
distinctes. Mais en dehors de ce débat, ce sont les industriels qui sont les
premiers concernés par cette question, puisque toute approche dans ce sens
ne peut se concrétiser sans leur engagement.