Comment cela se passe quand on naît à Marseille ? Il me
répond sans hésiter, avec une franchise déconcertante : « Ca dépend de quel côté
de la ville ? ». Mehdi Houas est peut-être né du bon côté de la ville, mais,
avec des dons pour les mathématiques aussi exceptionnels que les siens, on est
tenté de croire qu’il aurait renversé à son avantage toutes les situations
possibles. Même celles, très difficiles, des banlieues de Marseille ! Il y vivra
jusqu’à ses 20 ans. De Marseille, il sort indemne. Au concours du géant
informatique, il obtient le meilleur score jamais obtenu auparavant. Ce qui
était censé lui ouvrir grandes les voies d’une carrière exceptionnelle va le
pousser à changer carrément d’univers et orienter différemment son destin.
Claquer la porte d’IBM n’est pas un acte banal ! Et pourtant cela avait été
fait… C’était sans compter aussi avec le caractère entier de Mehdi Houas.
Inconcevable pour lui de s’entendre dire sans réagir : « Avec un nom comme le
vôtre, ce ne sera pas possible »… alors qu’il visait ni plus ni moins le
sommet de la hiérarchie chez le géant américain. Dans la conception de Mehdi
Houas, seules les compétences priment. Il en fera, d’ailleurs, sa ligne de
conduite. Rester passif n’est pas du tout dans la nature de ce cinquantenaire,
qui est aujourd’hui à la tête d’une société de services informatiques employant
près de 350 personnes. En 2002, Il crée avec des anciens collègues une société
qui compte parmi ses clients BNP-PARIBAS, Orange, SFR…TALAN, c’est son nom, est
une entreprise de conseil spécialisée dans l’intégration des NTIC. Elle ouvre
des bureaux à Londres, New York, Hongkong, Dubaï, Bruxelles, Tokyo et, depuis
quelques mois, Tunis. Une poignée ferme, une voix chaude et un ton amical,
Mehdi Houas, avec son physique de boxeur, affiche un tempérament calme mais que
l’on devine énergique. Il dégage l’impression d’une force tranquille incarnant
le profil d’un homme moderne qui inscrit son action dans l’universalité. Le
monde dans lequel il évolue est sans frontières ; dans sa tête, il n’en a
presque pas ou si peu ! Des résultats exceptionnels, un dépassement de soi et
une exigence au quotidien… ont toujours été son unique réponse à toutes les
situations inconfortables et injustes qu’il a eu à affronter.
Comme on se
rend plus fort grâce aux obstacles que l’on surmonte, cela a été pour lui un
aiguillon. C’est ainsi qu’il fait de la carte de la diversité une force et un
atout. MH croit qu’il faut la mettre en avant, en montrant les réussites qui
serviront de modèle et susciteront des vocations. Dans son entreprise, ses
collaborateurs et employés viennent de divers horizons : un creuset d’une
trentaine de nationalités. Seuls les critères de la qualification et des
aptitudes comptent. Il faut dire que dans le monde des nouvelles technologies,
peut-être plus qu’ailleurs, les compétences ne connaissent pas la notion de
frontières. Elles se repèrent, se cherchent, se recrutent. Et on fait tout pour
les garder et les soustraire aux concurrents. « La diversité, insiste bien
Mehdi, n’est pas une volonté mais plutôt un état d’esprit, à l’image de notre
trio fondateur aux origines juive, catholique et musulmane ! Et il n’y a rien de
philanthropique dans cette démarche. A l’heure de la mondialisation, vous aurez
plus de chances de réussir en Chine si vous y envoyez un Français d’origine
chinoise plutôt qu’un breton. TALAN l’a récemment « vécu » en accompagnant la
Société Générale en Tunisie, en y envoyant un Tunisien d’origine, qui, en plus
de son professionnalisme, maîtrisait l’univers culturel des deux pays. La
Mission fut un succès. Il ne se contente pas de travailler. Il aime s’engager
socialement aussi.
C’est ainsi qu’il adhère, par exemple, au Club XXIe siècle, une association de
250 membres issus de la diversité sociologique (chefs d’entreprises, mais aussi
hauts fonctionnaires, chercheurs, universitaires) qui veut montrer, par
l’exemplarité, que la diversité est justement une chance pour tous. En Tunisie,
il devient membre du réseau regroupant près de 3000 membres de l’association
tunisienne des grandes écoles (ATUGE). Un véritable networking de certaines des
élites du pays et un lieu pour observer les changements en Tunisie. Bien qu’il
ait décidé de ne jamais travailler en Tunisie, Mehdi Houas, change d’avis au vu
des réalisations qui s’opèrent. Depuis quelques mois, Talan Tunisie y emploie 40
personnes. Celui à qui on avait refusé une bourse d’études, à l’époque, ouvre
ses bureaux juste en face de l’aéroport, à 5 minutes des pistes de décollage, à
2 heures 30 de Paris.
MH affirme que les possibilités dans son secteur sont
énormes. Il regrette le manque de communication et conclut que le pays ne se «
markete » pas suffisamment. En comparaison avec d’autres pays étrangers, la
Tunisie traîne une image qui la dessert en ne mettant pas suffisamment en avant
ces valeurs de réussite. Aujourd’hui plus que jamais, c’est la communication qui
est à revoir. Dans son parcours de « serial entrepreneur », il affirme avoir «
vu réussir les nouvelles générations. La Tunisie a des atouts extraordinaires
notamment avec cette nouvelle jeunesse qui a décidé de revenir. On s’auto
convainc en se créant des « plafonds de verre » qui n’existent plus. Nous sommes
très ouverts et affichons désormais de véritables compétences. Nous avons le
savoir-faire et un réel côté commerçant.
Nous continuons à traîner certains clichés, comme le manque de professionnalisme
et la nonchalance qui sont désormais désuets. Quand je lui demande ce qui, selon lui, manque à
l’entreprenariat chez les nouvelles générations, sa réponse est limpide et sans
équivoque : « Le Tunisien est beaucoup moins ambitieux que son potentiel, ce qui
est peut-être paradoxal, car nous avons aussi la culture du narcissisme. Il se
contente de 1 là où il pourrait atteindre largement 10. Il est urgent de réagir
pour se protéger. Ce n’est plus un luxe, mais bel et bien une obligation».
Briller a toujours été le maître mot dans la bouche des Houas, père et fils. Le
jeune surdoué des maths l’a parfaitement assimilé et vite. Les mathématiques
ont, d’ailleurs, un peu décidé de sa vie. « J’ai eu une jeunesse de non-choix.
J’étais tellement doué pour les maths, qu’elles ont fini par décider pour moi,
en quelques sorte », résume t-il en riant. Mehdi se satisfait des différentes
tournures de sa carrière : « Je suis heureux de ce que je fais, même à l’époque
ou je ne savais pas ce que j’allais et pouvais en faire, je savais qu’il fallait
être le premier ».
Benjamin d’une famille de 6 enfants, il a retenu l’essentiel
de l’éducation rigoureuse et de l’exigence d’un père qui élève ses enfants dans
la culture de la réussite et de celle du retour au pays. « La moyenne à la
maison est de Bac+5 » dit-il, non sans fierté. Les Haoues ont grandis et réussis
pour contribuer à construire une Tunisie prospère, libre et enrichie de son
élite. Tous y parviendront. Tous resteront en France, à l’exception de l’aînée
de la famille qui poursuit une grande carrière dans le secteur bancaire
tunisien. « J’avais la structuration mentale de celui qui était de passage en
France. Les années 80 coïncidait avec un boom incroyable en France, alors du
coup je suis restée » 20 plus tard, la question ne se pose pas ou plus en ces
termes pour Mehdi Houas. Je suis tout le temps, au pays, précise t-il, j’y
ai ma famille, mes amis, mon travail.
Aujourd’hui il y’a de moins en moins de frontières dans le monde. On est
partout, ça n’a plus de sens. Le plus important est que tu portes en toi ta culture.
Le monde a toujours bougé dans ce sens. Les phéniciens n’ont il pas créé
Carthage ?