Désormais, marchander en Tunisie avec les hôteliers, les
agences immobilières, les assureurs, les garagistes et même les banquiers n’est
plus un tabou, à l’heure des crises simultanées qu’affronte la planète entière
après le banal retournement du cycle créditeur américain, l’assèchement
perceptible du crédit au niveau des instances mondiales, la récession annoncée
dans la zone euro et la mise à bas des pyramides des dettes accumulées dans le
système financier international. Finalement, en attendant le retour de la
confiance chez les ménages, le nouveau redéploiement du capital nomade à travers
la galaxie finance, les nouvelles orientations des fonds souverains et la
stabilisation des principaux centres marchands du monde, les Tunisiens peuvent
tout négocier dans leurs transactions. Et ça paie !… A la clé des économies
pouvant atteindre parfois 10% du budget alloué et même plus, nous dit Madame
Khaoula Selmi, cadre supérieur dans la fonction publique, qui affirme marchander
sans état d’âme, dans ses achats, dès que les sommes dépassent 30 dinars.
«C’est comme un jeu. Je reste polie et sympathique. Si ça ne marche pas, tant
pis…Mais la plupart du temps, ça marche», explique notre interlocutrice,
visiblement à l’aise en évoquant ses performances pendant les shoppings ou les
réservations dans les hôtels, lors de la basse saison, où elle n’hésite pas,
dit-elle, à réclamer au réceptionniste de faire quelque chose pour le prix ou de
loger dans une suite, facturée à la fin du séjour, comme une chambre standard,
en absence d’une remise de 5 ou de 10% par rapport aux tarifs habituels. Même
lorsqu’elle a, récemment, acheté une voiture, Madame est parvenue à faire
baisser les frais en jouant la concurrence entre trois garagistes Renault, de
régions différentes, demandant des offres à chacun, ce qui lui a permis, à la
fin, d’obtenir une baisse de 10% en comparaison des premiers devis.
Même dans le monde feutré, compassé et ritualisé des banquiers, on n’hésite
plus à marchander, affirme un chef d’agence, apparemment étonné de voir, ces
derniers temps, la crème des clients exiger des rabais sur les frais de courtage
ou d’entretien de certains comptes commerciaux, ce qui a poussé des succursales
à rogner facilement sur leurs marges pour dissuader les récalcitrants de changer
de partenaire bancaire. «Désormais, les Tunisiens sont de moins en moins
intimidés devant les financiers, les assureurs et les prestataires de service
d’intermédiation», nous dit un membre de l’Association de défense du
consommateur, qui met l’accent, par exemple, sur l’aspect concurrentiel du
marché des assurances automobiles, terrain de prédilection pour les
comportements pugnaces, expérimentés, capables, après d’âpres négociations,
d’obtenir des tarifs, concédés généralement au rabais à l’avantage des clients
VIP, des amis ou des cercles familiaux proches de la direction.
Concernant le marché de l’immobilier, les prix de certains biens, situés dans
les quartiers huppés aux environs de la capitale, surévalués au moment du pic,
profitant de l’embellie d’une décennie d’expansion euphorique, devraient
maintenant se stabiliser au milieu de la fourchette, coller à un indice
évaluatif, évacuant la composante spéculative, à l’origine de la surchauffe des
dernières années. Signe de la détente, les fleurons des ménages tunisiens en
quête d’un bien foncier ou d’un placement fructueux se décident actuellement
plus lentement, comparent les offres judicieusement et négocient de plus en plus
fréquemment avant la conclusion de la transaction, relève un courtier du
centre-ville.