Hichem Elloumi : la situation du secteur de l’industrie automobile reste gérable, mais soyons vigilants !

La Tunisie est devenue, depuis près d’une quinzaine d’années, une destination
appréciée par des constructeurs européens réputés comme Volkswagen, Peugeot,
Fiat et Renault. Elle n’a pas cessé de consolider sa place en tant que site
privilégié pour les investissements venant non seulement d’Europe mais également
d’Asie. Une main-d’œuvre qualifiée, des conditions favorables aux implantations
et aux délocalisations lui ont permis de s’imposer en bonne place malgré une
sérieuse concurrence de la part de pays comme le Maroc ou l’Egypte.


La crise financière et économique qui a eu des répercussions assez graves sur le
secteur automobile à l’échelle planétaire aurait-elle les mêmes effets sur notre
pays ?


hichem-elloumi1.jpgM. Hichem Elloumi
, président de la Fédération tunisienne des composants
automobiles électroniques et électriques nous apporte, dans l’entretien
ci-après, quelques éclairages sur les conséquences et les méfaits d’une crise
non annoncée.

Webmanagercenter: Pourquoi le secteur de l’industrie automobile est-il aussi
fragilisé par la crise ?

Il faut placer la question de l’industrie automobile dans le contexte mondial.
La crise financière est au centre de la problématique, le secteur automobile en
a été durement touché. La récession dont on parle à l’échelle mondiale et dans
les pays hautement industrialisés qui nous intéressent particulièrement dont
l’Europe. Il est bien connu que le marché principal de la Tunisie est l’Europe
qui est clairement atteinte par la crise. L’explication est simple, dans ce
genre de circonstances, les consommateurs diffèrent leurs projets d’acquisition
de nouveaux véhicules, qui ne font plus partie de leurs priorités. C’est la
réduction des dépenses en période de crise et d’incertitudes. Ce qui a une
conséquence sévère sur le secteur. Pour le quatrième trimestre 2008, on parle de
fermetures d’usines chez les constructeurs pour deux semaines, trois semaines ;
délestage au niveau du personnel donc du chômage technique et on parle également
de fermetures assez longues à l’occasion des fêtes de fin d’année.

D’habitude, c’est deux semaines, et là certaines entreprises prévoient même des
fermetures de trois à quatre semaines. Pour l’année 2009, on table, d’après les
constructeurs, sur une baisse globale de la production de 10 à 15%.

Quelles sont les conséquences immédiates de cette récession sur la Tunisie ?

En Tunisie, le secteur de l’industrie automobile est très dynamique et
totalement orienté à l’exportation. Si je prends le cas du secteur électrique et
électronique dont je préside la fédération, 50% des exportations sont dans le
domaine des composants électriques automobiles. A ce jour, le taux de croissance
de l’ensemble du secteur est de l’ordre de 26%, ce qui n’est appréciable pour
les neuf premiers mois de l’année. C’est inférieur à la croissance de 2007 par
rapport à 2006 et qui s’élevait à 36%. Mais c’était exceptionnel et presque
spectaculaire.

Les réalisations de cette année sont honorables dans les circonstances actuelles
et en période de crise. Ceci n’est pas uniquement du ressort de la branche des
composants automobiles, qui est, je présume, à un niveau moindre par rapport à
ce taux là. Ce qui l’explique est que c’est un secteur qui a pour clients les
constructeurs automobiles qui sont eux-mêmes en crise. La conséquence est qu’il
vive une baisse d’activités. Ce qui est important à retenir est qu’aujourd’hui,
il y a des réajustements de stocks et une régression de la production pour
aligner les stocks et les ventes aux besoins des clients qui sont, bien entendu,
les constructeurs. L’objectif est d’assainir la situation et reprendre l’année
2009 dans des perspectives un peu plus saines.

D’autre part, il ne faudrait pas perdre de vue que la croissance du secteur des
composants électriques automobiles en Tunisie n’est pas proportionnelle à la
croissance du secteur de l’industrie automobile en Europe. La Tunisie est un
site reconnu pour être compétitif. Nous sommes en train de recevoir des
délocalisations qui viennent principalement de l’Europe de l’Est vers l’Afrique
du Nord. Tunisie, Maroc et Egypte : trois pays en concurrence pour drainer ces
investissements.

Qu’est-ce qui explique ces délocalisations ?

L’Europe de l’Est a un problème de ressources humaines, de manque de
disponibilité de main-d’œuvre et d’une augmentation de salaires importante.
L’entrée de certains pays à l’Union européenne a tiré les salaires vers le haut,
presque de 20%, et par conséquent, la compétitivité de ces pays est remise en
cause. Aujourd’hui, les équipementiers automobiles européens se déplacent de
l’Europe de l’Est vers l’Afrique du Nord et en particulier la Tunisie.

Qu’est-ce qui fait de la Tunisie une destination privilégiée pour les
investisseurs ?

La Tunisie a une grande expérience du secteur de l’industrie automobile. Les
extensions réalisées par nombre de constructeurs plaident en sa faveur et
démontrent la performance du site Tunisie. Ce qui explique également l’arrivée
de nouveaux équipementiers sur notre pays.

Tous, j’en connais la plupart, confirment leurs investissement et ne remettent
pas en cause leurs options de s’implanter ou de s’agrandir. Il y aura peut-être
de petits réajustements sans plus.

Peut-on dire que jusqu’à présent le secteur de l’industrie automobile est en
train de sauver la mise ?

Je n’ai pas entendu parler d’équipementiers qui fermeraient leurs usines à cause
de la crise. Par contre, on entend parler de baisses d’activités qui engendrent
des délestages au niveau des personnels. Il y a quelques usines qui organisent
des départs en congé, anticipent sur les congés, organisent des arrêts travail
pour une certaine période par exemple deux semaines ou plus un peu à l’image de
ce qui se passe au niveau des constructeurs mais ce ne sont pas des
licenciements à proprement dire.

On reproche très souvent aux industriels tunisiens de ne pas être agressifs
commercialement et assez présents dans les manifestations internationales ou de
chercher d’autres niches pour l’export ?

Si je prends le cas des équipementiers automobiles électriques, pour la plupart
ce sont des multinationales qui ont des implantations en Tunisie. Toute la
stratégie commerciale et marketing se fait à l’échelle globale et en dehors de
notre pays. Ce sont des entreprises orientées sur des secteurs, ou des filières.
La diversification peut se faire au niveau de la gamme de produits, par exemple
pour les fabricants de câblage, rentrer dans le domaine de la connectique qui
est un domaine répondant à la chaîne de valeurs des créneaux dont on parle.

Il est tout aussi vrai que dans le contexte actuel, il n’y a pas à être inquiet,
la Tunisie étant un site compétitif. Et à ce titre, il faudrait considérer cette
crise comme une opportunité. Les entreprises internationales installées en
Tunisie souffrant des conséquences de la crise ont intérêt à consolider leur
présence dans les sites les plus compétitifs comme notre pays. La Pologne est
par exemple un site qui n’est plus compétitif, les entreprises qui s’y sont
installées ont intérêt à accélérer leur délocalisation dans un pays qui leur
sera plus favorable.


Peut-on réellement parler d’une industrie tunisienne des composants automobiles
?

Oui nous avons certains industriels tunisiens qui ont développé leurs propres
produits, aussi bien dans les composants mécaniques qu’électriques. Il y en a
même qui se sont internationalisés et ont joué la stratégie de la
mondialisation.

Mais pour ce qui est de promouvoir leurs produits à l’international ?

Les Tunisiens participent aux salons internationaux tels qu’Equipe auto,
Automechanica, très peu éventuellement. Une importante délégation tunisienne a
participé à un forum sur les composants automobiles à Tanger au Maroc. Il est
vrai que les participations tunisiennes aux salons internationaux ne sont pas
extraordinaires d’autant plus que le secteur des composants automobiles reste
fortement dominé par les IDE.

Quelles sont les mesures pressenties pour faire face aux difficultés du secteur
pour l’année prochaine ?

J’ai eu plusieurs réunions avec les représentants de certains ministères qui
suivent de près l’évolution de la situation par rapport à l’industrie automobile
et l’impact de la crise sur elle. Je leur ai dit que dans ce contexte, il
fallait être particulièrement actif pour résoudre tous les problèmes des
investisseurs, qu’ils soient tunisiens ou étrangers. C’est le moment de soutenir
toutes les initiatives pour la réalisation ou le développement de leurs projets
parce que nous ne sommes pas les seuls au monde. Il y a des pays qui nous
ressemblent et qui sont très agressifs commercialement. Le Maroc et l’Egypte
sont des concurrents clairs.

Accorder des prêts pour le financement des entreprises étrangères implantées en
Tunisie et même leurs sociétés mères. Cette mesure est-elle encourageante selon
vous ?

A mon avis, interdire ou compliquer le processus du financement des entreprises
étrangères en Tunisie n’est pas une bonne solution. Dans des situations comme
celle que nous vivons, tout ce qui va dans le sens de l’expansion et de
l’internationalisation des activités des banques tunisiennes est positif et
avantageux. A elles de mesurer les risques liés au projet et d’en assumer la
responsabilité.

Personnellement en tant que président d’une branche d’activité de notre groupe,
quand je vais investir au Maroc ou bien au Portugal, je sollicite des crédits de
banques internationales installées sur place, et c’est à elles d’évaluer les
risques et de demander des garanties à partir de la Tunisie ou des garanties
physiques comme des bâtiments ou des équipements. Il faut que les banques
répondent aux normes internationales en matière de gestion de crédits et de
risques. Qu’elles soient responsables et qu’elles arrivent à juger de la
solvabilité ou non d’une société qui demande un crédit, qu’elle soit tunisienne
ou étrangère.

Pouvons-nous dire que les perspectives de l’industrie automobile ne sont pas
dramatiques pour l’instant?

La situation du secteur automobile aujourd’hui en Tunisie est parfaitement
gérable. Mais il faut travailler. Il faut être vigilant et bien évaluer les
risques, alléger les procédures par rapport à tout ce qui peut toucher à
l’investissement, à la facilitation de toules les formalités administratives. Il
faudrait aplanir les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises qui
investissent. Plus nous prouvons les avantages et la compétitivité du site
Tunisie, plus nous consolidons nos investissements.