Tunisie – Entreprises BTP : Au secours,… on se meurt !

Par : Tallel

Le secteur du bâtiment et des travaux publics, toutes
entreprises et catégories confondues, s’est retrouvé en difficulté à la suite
des augmentations des prix des matériaux de construction durant la période
2006-2008.

Une délégation émanant de la Fédération nationale des entrepreneurs et
travaux publics (UTICA) a même rencontré le chef de l’Etat. En effet et selon
nos informations, les entreprises qui opèrent sur les projets autoroutiers ont
cumulé des pertes sèches atteignant les 35 millions de dinars.

Le coupable : l’augmentation des prix des matériaux de construction. Selon
des sources proches de ce dossier, tous les produits sont concernés, surtout le
bitume –dont le prix est directement lié au prix du pétrole. Mais pas seulement,
parce que les autres entreprises du secteur auraient cumulé, elles aussi, des
pertes du même ordre sur des produits tels que l’acier, la charpente métallique,
les produits de carrière, ou ceux du carburant.

Le président de la République n’a pas tardé à réagir en ordonnant la création
d’une commission nationale chargée d’étudier le problème et, le cas échéant,
d’engager des procédures de compensation éventuelle des pertes subies par les
entreprises, et ainsi éviter leur faillite (cf.décret n° 2008-2472 du 5 juillet
2008, portant révision exceptionnelle des prix des marchés publics de travaux).

La ‘’commission spéciale’’ est ainsi instituée auprès du Premier ministre
pour l’examen des demandes de révision exceptionnelle des prix des marchés
publics. A ce titre, elle regroupe :

– un représentant du ministre chargé des Finances

– un représentant du ministre chargé de l’Equipement, de l’Habitat et de
l’Aménagement du territoire

– un représentant du ministre chargé de l’Industrie,

– un représentant du ministre chargé du Commerce,

– un représentant du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie,

– un représentant du ministère de tutelle pour les marchés des établissements
publics à caractère non administratif et des entreprises publiques lorsque le
ministère n’est pas représenté,

– un membre d la Cour des comptes,

– un membre du Tribunal administratif.

Les membres de cette commission ainsi que le chargé de son secrétariat sont
désignés par arrêté du Premier ministre. Voilà ce que dit le décret concernant
la composition de ladite commission.

Comme vous l’aurez remarqué, aucun représentant de la centrale patronale,
l’UTICA. Mais plus curieux encore, observez bien cette composition ! ‘’Est-ce
normal ?’’. A notre avis, cette question mérite bel et bien d’être posée,
puisqu’on se trouve ‘’demandeur auprès d’une institution qui va, elle-même,
défendre un dossier ou demande auprès de la commission dont elle fait partie’’.
«Ne trouvez-vous pas cela un peu bizarre pour ne pas dire absurde ? Appelons-le
par son nom, c’est être à la fois juge et partie !». Et dans ces conditions, la
neutralité est loin d’être garantie à cent pourcent, assure notre interlocuteur.

A partir de là, une explication s’impose. Le décret dont il est question
précise que : «Elle (la commission) émet son avis à propos de la proposition de
l’acheteur public à la majorité des voix des membres présents, et ce dans un
délai maximum d’un mois à partir de la prise en charge du dossier par ses
soins».

Mais voyez-vous, là il y a quelque chose qui cloche. Comment voulez-vous
qu’un dossier soit étudié alors qu’aucune procédure –fût-elle imparfaite- n’ait
été mise en place, et ce d’autant plus aussi qu’aucun délai de remboursement
n’ait été fixé ? Ca peut être à la fin de cette année, comme ça peut être en
beaucoup plus tard… !

Conséquence de ce qui précède, les représentants de certains ministères se
seraient même opposés à ce que certains produits ou articles rentrent dans la
compensation, arguant qu’’’ils font partie de la nomenclature des produits
industriels et non du bâtiment, et ce même si leur usage est presque
exclusivement réservé au secteur du bâtiment’’.

Un autre point souligné par notre source, c’est le fait qu’aucune note n’ait
été publiée à ce jour précisant les modalités de présentation de dossier, la
base de référence des prix des matériaux de construction par les ministères de
l’Equipement et du Commerce –sachant que ce sont eux qui référencient les prix
des certains produits comme le ciment, le carburant, l’acier… Du coup, les
entreprises concernées se voient obligées de prendre comme référence les prix
publiés dans le bulletin de l’UTICA ‘’Flash UTICA’’ et la revue ‘’Tunisie
Economique’’, qui ne sont que des prix moyens du marché.

Certaines entreprises, vu l’importance des pertes financières subies…, ont dû
arrêter les travaux –en tout cas certains d’entre elles- afin de minimiser les
‘’dégâts’’ sinon arrêter l’hémorragie financière ; corollaire de cette
situation, ces entreprises se retrouvent face aux pénalités financières et face
aux pressions des banques.

Concrètement, les difficultés auxquelles font face les entreprises du secteur
sont :

– des pertes directes dues à l’augmentation des coûts,

– des pertes indirectes dues au retard des travaux (communément appelées
‘’pénalités de retard’’),

– des agios bancaires et autres pénalités de rejet de chèque…,

– des retenues à la source (50% de la TVA, 10% de retenue de garantie,…).

Certains gérants que nous avons rencontrés estiment que la situation devrait
être discutée par les représentants des entreprises (petites et grandes) du
secteur du bâtiment avec la Commission spéciale afin d’accorder leur violon
concernant la méthodologie de calcul de la compensation demandée, la base de
référence des prix et les articles dont il faudrait tenir compte, ceux qu’il
faut éliminer de la liste, ainsi que le problème des pertes indirectes.

Toutes ces données et bien d’autres ont été recueillies auprès des opérateurs
du secteur, des gens du terrain, dirions-nous. Alors, nous avons essayé
d’entendre la version des faits du côté de la Fédération nationale des
entrepreneurs et travaux publics. En vain! Fallait-il attendre alors que les
entreprises du secteur se meurent?