Les manifestations scientifiques sur la recherche agricole en
Tunisie sont ennuyeuses. Elles ne font que ressasser les problèmes récurrents
dans lesquels se débat, depuis des décennies, l’agriculture du pays.
Il s’agit, en l’occurrence, de la sous-réalisation du potentiel existant, la
contre productivité de la politique de compensation des prix des produits
agricoles, la sous-valorisation de produits bio de grande qualité comme l’huile
d’olive et le vin exportés, en vrac et dans l’anonymat le plus total, comme de
vulgaires breuvages.
Autres problèmes : le manque de coordination entre les structures de
recherche régionales et centrales (signe de la forte bureaucratisation des
techniciens agricoles), le morcellement de la propriété agricole, l’absence de
programmation selon les priorités, la non valorisation des travaux de recherche,
le fossé entre agriculteurs et chercheurs, etc.
Les récentes journées scientifiques de la recherche agricole(fin décembre
2008 à Nabeul ), qui sont à leur 15ème édition, n’ont pas échappé à la règle.
Elles se sont distinguées par de nouvelles professions de foi articulées autour
de l’esquisse d’un nouveau plan directeur décennal de recherche (2009- et 2018).
Un plan sans grands résultats
Faisant le bilan du précédent plan décennal de recherche (1998-2008), M.
Abdelaziz Mougou, président de l’Institution de recherche et d’enseignement
supérieur agricole (IRESA), a parlé plus du programme de ce plan que de ces
résultats. Pour reprendre ses termes, ce plan, financé à hauteur de 30 millions
de dinars par an, a été articulé, dix ans durant, autour de 10 volets de
recherche majeurs traitant, entre autres, des grandes cultures, de
l’arboriculture fruitière et de l’eau.
Au nombre des rares réalisations de ce plan figure l’identification de 38
nouvelles variétés végétales dont 21 céréalières, 12 fruitières et 5
légumineuses. Aucune indication n’a été fournie ni sur l’identité des chercheurs
(tunisiens ou étrangers), ni sur le succès, ni sur l’échec, ni sur la
rentabilité prouvée de la culture de ces nouvelles variétés.
M. Mougou a signalé, également, la mise en place de structures
bureaucratiques connues sous l’appellatif «pôle de recherche régionaux», des
structures bureaucratiques qui dérangent plus qu’elles n’arrangent, selon les
agriculteurs. On en compte aujourd’hui 7, dotées, ces dernières années, de 170
chercheurs et techniciens agricoles (dans d’autres cieux, on parle d’agronomes,
mais on n’est pas encore là en Tunisie).
Il faut leur ajouter juste un sommaire de 15 projets de recherche concernant
la qualité des viandes rouges, des laitages et des produits avicoles.
Empressons-nous de signaler qu’il s’agit simplement de projets et rien que des
projets.
Le plan a permis, en outre, de mettre à la disposition d’agriculteurs
«chevronnés», dépositaires pourtant d’un savoir-faire ancestral, d’une liasse
technique et d’un répertoire du patrimoine génétique végétal et animal.
Un nouveau plan trop vague
Le nouveau plan décennal se veut plus ambitieux. Il se démarque par sa
globalité. Il touche à tout. Il se propose de promouvoir toutes les filières
agricoles : ressources naturelles, céréaliculture, mobilisation de nouvelles
ressources hydrauliques, pêche, arboriculture fruitière, désertification,
mécanisation agricole, dessalement de l’eau de mer, biotechnologie.
Une attention particulière sera accordée, dans le cadre de ce plan, à la
céréaliculture, à la préservation des ressources naturelles, à l’eau, à la santé
animale, à la protection des végétaux, à la lutte contre les fléaux…
Des recherches seront entreprises pour valoriser les produits phares du pays
: huile d’olive, dattes, plantes aromatiques et médicinales (PAM), grenades,
agrumes.
Un intérêt sera porté à la coordination entre centres de recherche et centres
techniques.
Le ministère a son propre plan
Le ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques a ses propres
objectifs et stratégies. Pour M. Abderrazak Dâaloul, secrétaire d’Etat chargé de
la Pêche, l’accent sera mis sur la sécurité et autosuffisance alimentaires.
A cette fin, la première priorité sera accordée à l’accroissement de la
production des semences et des plants afin de réduire la dépendance du pays de
l’étranger dans ce domaine. La seconde consiste à accroître la production
céréalière à une moyenne annuelle de 27 millions de quintaux et à adapter les
nouvelles variétés céréalières identifiées au climat semi aride du pays. La
troisième portera sur l’accroissement des superficies irriguées (arboriculture
fruitière, cultures céréalières, fourragères et maraîchères irriguées).
L’objectif national est de porter la part de l’irrigué dans le total de la
production agricole à 50% contre 7% seulement actuellement. La quatrième
priorité sera accordée à la promotion de la recherche dans les régions. Est-il
besoin de rappeler ici qu’il s’agit toujours de grandes lignes et de professions
de foi!
L’exploit de chercheurs indépendants
Heureusement, par delà cette grisaille institutionnelle, des chercheurs
indépendants font des merveilles et se démarquent par des innovations fort
intéressantes.
La première innovation est à l’actif du chercheur Chahbani Bellachheb. Il
vient de mettre au point de nouvelles techniques dans la micro-irrigation. Ces
techniques ont pour noms: le diffuseur enterré, le flotteur drainant et la poche
de pierre. Globalement, ces techniques permettent d’emmagasiner l’eau à
l’intérieur du sol, de la protéger contre l’évaporation et toute autre forme de
dilapidation, d’alimenter la nappe phréatique et les racines des végétations
durant une période de trois ans, voire de quatre ans.
La seconde distinction revient aux chercheurs de l’Institut des régions
arides de Médenine (IRA). Cette stratégie a consisté à mener une étude
biologique et écologique de l’outarde en milieu désertique en Tunisie. Elle vise
également à maîtriser les techniques de son élevage et de sa reproduction en
captivité avant de la réintroduire dans son milieu naturel. Premier résultat de
cette stratégie, un exploit scientifique qui a donné naissance, pour la première
fois en Tunisie, en captivité et par insémination artificielle, d’un outardeau.
La troisième innovation est l’œuvre du promoteur agricole, Abdelhafidh
Hemissi, ingénieur agricole spécialisé dans l’élevage bovin et implanté dans la
zone d’El Ghazala (gouvernorat de Bizerte). Le promoteur vient de mettre au
point une nouvelle composition de fourrage naturel économique à haut rendement,
favorisant une amélioration sensible de la production de lait de son cheptel. Ce
nouveau fourrage, un mélange de maïs, d’orge et de fourrage vert, tombe à point
nommé en cette conjoncture caractérisée par la flambée des cours mondiaux des
aliments pour bétail. Une vache élevée dans la ferme de M. Hemissi fournit une
moyenne de 7.500 à 8.000 litres de lait par an contre une moyenne nationale
variant 3.500 et 4.000 litres par an.