Que peut-on retenir de la période de crise que nous traversons
depuis l’été 2007 et qui s’est accélérée et aggravée depuis le 15 septembre
2008? Il y a tant de leçons à tirer que je ne peux prétendre à l’exhaustivité.
Je vais cependant faire part, dans ce texte court, de quelques remarques qui me
semblent fondamentales.
L’avenir nous apprendra sans aucun doute encore beaucoup sur
le passé, depuis au moins 30 années.
D’abord, la crise et surtout son ampleur n’ont été vraiment anticipées par
personne. Ni les économistes observateurs spécialisés, ni les acteurs de cette
économie. Or, s’il est de bon ton de stigmatiser une certaine incapacité sur ce
point parmi les économistes qui sont supposés – selon quelques pourfendeurs
récurrents – bons à rien ou presque, en revanche les acteurs de l’économie qui
n’ont pas été plus perspicaces sont largement épargnés de ce point de vue.
Il serait plus convenable de pratiquer davantage la neutralité car, il me
semble qu’il n’est pas constructif de critiquer sans cesse les uns pour leurs
limites analytiques quand les autres ne font pas mieux. D’une part, nombre
d’acteurs sont à l’origine de la crise et d’autre part, ils n’ont même pas
anticipé le retour violent du boomerang, la crise et toute sa gravité.
Je reste convaincu que c’est bien de la complémentarité des points de vue
qu’une meilleure compréhension des mécanismes économiques, financiers,
monétaires, sociaux, …, peut provenir et favoriser l’émergence d’un système plus
stable.
Ensuite, la crise financière qui a tout révélé, et non pas déclenché, a des
causes microéconomiques et des origines macroéconomiques interdépendantes.
Du point de vu microéconomique, le comportement des banques en matière
d’octroi de crédit n’a pas été à la hauteur des devoirs de précaution qui
s’imposent, notamment en matière de solvabilité. En substituant une forme de
solvabilité actif (patrimoine) à une forme de solvabilité revenu, les banquiers
ont commencé à fabriquer les germes de leurs futures pertes. Une situation dans
laquelle la solvabilité n’est assurée que dans la mesure où l’actif acheté voit
son prix augmenter n’est de facto pas durable car dès l’instant où les prix
baissent, les défauts des emprunteurs augmentent … Lorsque l’effet de richesse
se retourne, la pyramide tend à s’effondrer comme un vulgaire château de cartes.
De plus, la pratique d’une titrisation débridée des créances (afin d’obtenir
une meilleure et plus grande répartition des risques en regroupant des créances
à risque faible isolément, en se soustrayant aux contraintes prudentielles, …)
en contribuant à faciliter et à accroître la distribution du crédit, a soutenu
la dynamique de gonflement de la bulle immobilière et financière.
Si on ajoute à ceci la grande complexité des produits (ABS, MBS, CDS, …) qui
ont porté la titrisation, produits si complexes que seuls quelques spécialistes
y comprenaient quelque chose (et encore …), on comprend que les acteurs
concernés (banques et autres instituions financières) ont joué un rôle majeur
dans le déclenchement et la propagation de cette crise. En effet, la diffusion
du risque via son partage et son émiettement par la titrisation ont rendu
l’information sur le degré d’exposition à celui-ci d’une grande opacité. C’est
le revers de la médaille de la titrisation, le côté obscur du système.
Quand la confiance aveugle et panurgienne devient défiance généralisée, le
mur est proche.
Comme plus personne ne savait qui possédait quoi, ni combien, les marchés se
sont asséchés au sens ou lorsque la liquidité de marché tend vers zéro, plus
personne ne peut vendre car personne ne souhaite acheter, et les prix des actifs
immobiliers et financiers s’effondrent. Ceux-ci entrainent ipso facto dans leur
sillage les bilans des sociétés concernées qui chutent successivement comme dans
un jeu de dominos. Les pertes en capital se cumulent, la solvabilité se dégrade,
les défauts se multiplient, la liquidité disparaît etc … La baisse entraîne la
baisse comme la hausse suscitait de nouvelles hausses quelques semaines, mois,
plus tôt.
Les problèmes microéconomiques évoqués – titrisation des créances basé sur
des produits complexes, opacité sur les risques, solvabilité richesse, … –
doivent être résolus tant au niveau des banques, des assureurs, des autres
acteurs financiers que des régulateurs. Les responsabilités des acteurs privés
sont suffisamment importantes pour ne point les ignorer ou les sous-estimer.
D’ailleurs, la littérature économique abonde sur ces thèmes.
Pourtant, cette crise présente également des fondements macroéconomiques
majeurs. En effet, les Etats et les banques centrales sont largement
responsables de la persistance de déséquilibres financiers et monétaires
internationaux qui portaient en eux, depuis des années, un potentiel de crise
systémique. Néanmoins, le récent G20 n’en a rien dit !
Comment expliquer que les systèmes monétaires et financiers internationaux
mis en place et maintenus par les Etats de l’OCDE, par les pays occidentaux, par
les EU, l’UE et la ZE, les pays émergents et exportateurs de pétrole, …,
puissent permettre que de tels déséquilibres persistent ?
Comment se fait-il que, paradoxalement, ce sont les excédents de la Chine et
des pays exportateurs de pétrole qui financent le déficit des paiements des
Etats-Unis ? Autrement dit, comment justifier à l’aune de la logique économique
de base que ce sont les pays les moins développés, ceux où les perspectives de
rentabilité et de croissance sont les plus élevées, qui financent la croissance
de l’économie la plus riche ?
Le fait que le pays le plus riche, ayant un taux d’épargne quasiment nul,
puisse consommer et investir de manière durablement excessive parce que des
économies beaucoup moins développées épargnent énormément, mais investissent
relativement peu au regard des besoins d’investissement qu’ils ont et
transfèrent leurs capitaux vers les EU ou les agents peuvent ainsi continuer à
consommer et investir comme des brutes, est une véritable énigme contemporaine.
Les excédents commerciaux de la Chine ont pour contrepartie un gonflement
exponentiel des réserves de change de la banque centrale qui n’a pas hésité à
acheter les dollars qu’elle recevait et des actifs en dollars en créant de la
monnaie domestique pour éviter une appréciation du renminbi par rapport au
dollar. Ce comportement en matière de change étant une conséquence de la crise
monétaire et de change qu’ont connu de nombreuses économies asiatiques à la fin
des années 90. L’objectif est non seulement de maintenir un haut degré de
compétitivité prix, mais de surcroit, une plus grande capacité de défense du
taux de change contre une éventuelle dépréciation brutale.
Or, ces dollars accumulés vont revenir vers les Etats-Unis. Ils vont venir
gonfler la base monétaire et donc y alimenter la création monétaire. La
combinaison d’une politique monétaire excessivement expansionniste (des taux
d’intérêt durablement bas pour lutter contre la crise de la « Nouvelle économie
» et des nouvelles technologies au tournant des années 2000) et l’afflux des
dollars en provenance de Chine vers les EU a produit un excès durable de
liquidité macroéconomique (monétaire) qui a entretenu les conditions pour le
crédit facile, la titrisation, la demande d’actifs, le gonflement de bulles
spéculatives, …., et finalement la crise actuelle dans toutes ses dimensions.
En résumé, c’est bien la combinaison de déséquilibres monétaires et
financiers internationaux et de comportements inappropriés au niveau
microéconomique qui est responsable du déclenchement de la crise, de sa
propagation et de son ampleur.
Nous pouvons clairement déduire de cet épisode, en cours, qu’un régime de
croissance basé sur l’endettement privé est insoutenable à moyen terme. Il n’est
pas possible de soutenir durablement la croissance d’une économie dans laquelle
les inégalités de revenu se sont accrues, une économie où le seul moyen de
maintenir un haut niveau de consommation, de croissance, est de permettre
l’endettement des plus pauvres. Soutenir la consommation via l’effet de richesse
(lié à la hausse des cours des actifs acquis) quand les gains de productivité
d’une économie ne suffisent plus à augmenter simultanément les profits et les
salaires réels (pourvoir d’achat) ne peut être une solution durable.
L’endettement ne peut résoudre le problème des inégalités.
En conclusion, il me semble que les problèmes financiers, monétaires,
économiques et sociaux du monde ne pourront être résolus tant que les Etats, la
puissance publique, ne mettront pas collectivement en place un système dans
lequel les déséquilibres macroéconomiques de grande ampleur aux niveaux
nationaux, régionaux et mondiaux, ne seront plus soutenables. Il est
indispensable de repenser et changer non seulement les principes de
fonctionnement des acteurs au niveau macroéconomique mais également au niveau
microéconomique. Ces changements doivent s’opérer à un niveau global car la
globalisation, et les interdépendances qu’elle crée, impose des réponses
concertées et coordonnées face aux risques de déflation et de dépression.
Si la globalisation pose des problèmes multiples et indiscutables de divers
points de vue, il ne me semble pas pertinent d’en déduire que c’est la fin de
l’histoire pour le triangle Economie de Marché – Capitalisme – Démocratie. S’il
est facile de tirer sur l’ambulance, de « trouver » des coupables et
responsables, il est beaucoup plus difficile ensuite de proposer un système de
remplacement qui soit cohérent, réalisable et qui ne relève pas que de la
chimère, de l’utopie, de l’incantation.
In fine, il y a donc loin de la coupe des critiques aux lèvres des
propositions…
Source :
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=49889