Le
secteur textile habillement a toujours été considéré comme une locomotive
pour l’économie nationale étant l’un des secteurs qui ont accompagné les
premières marches vers la construction de la Tunisie nouvelle. Néanmoins et
tout au long de son parcours, il a connu des difficultés qui ont
relativement ralenti son développement. La toute dernière en date : la crise
financière internationale. La dépendance du secteur vis à vis des marchés
européens a accentué sa vulnérabilité.
En fait, la Tunisie se positionne comme étant le 5ème fournisseur de
l’Europe, son premier marché. L’Europe unie absorbe 99% des exportations
tunisiennes et assure 82% des approvisionnements des entreprises en matières
textiles (tissus, fils et filés, matières premières). 95% des entreprises
étrangères ou à participation s étrangères sont européennes. Les
investissements européens représentent 87% des investissements étrangers
réalisés dans le secteur (887,2 MDT sur 1023 MDT en 2007). A noter également
que 94% des emplois sont crées par des investissements à participation
européenne.
Au cours de ces derniers mois, le secteur a en partie subit les effets de
la crise financière. Au mois de novembre 2008, les exportations dans le
secteur du textile/habillement ont accusé une baisse de 6,4% en valeur (en
dinars) et de 7,4% en quantité par rapport à la même période en 2007. De
même pour les importations qui ont baissé de 7,8% en valeur et de 4,2% en
quantité. On pressentait cette baisse avec une régression de -0,1% des
exportations déjà au mois d’octobre 2008. Une régression qui pourrait
paraître insignifiante mais en fait elle est annonciatrice du recul du
secteur pour les mois à venir.
Seulement 1% de croissance en 2008
Les exportations dans le secteur des textiles ont progressé de 1%
uniquement (en valeur), dans la période allant du 1er janvier au 31 novembre
2008 par rapport à 2007.
Selon le CETTEX, l’année 2008 s’est soldée par une légère hausse en
dinars. Soit 0,9% pour les exportations et une baisse de 4,1% pour les
importations. La même source affirme que la baisse des exportations est
quasi générale sur toutes les branches d’activités du secteur. La baisse en
valeur et en volume dans la branche confection se confirme, avec
respectivement 3,91% et 14,95%. Toutefois, une augmentation des exportations
a été enregistrée au niveau de la branche fils et filés (90%), la friperie
(70%) et les revêtements, tapis et tapisserie (22%). Cette situation
pourrait se répercuter sur les performances et l’image du secteur à
l’étranger.
Le fait de se restreindre à la sous traitance sans envisager de passer à
une autre vitesse, vers la modernisation du secteur et pourquoi vers son
industrialisation accentue la vulnérabilité des textiles tunisiens et
approfondi le fossé qui existe déjà entre et d’autre pays qui ont la bonne
idée d’oser le passage à l’industrialisation telle la Turquie. La crise
financière internationale accentue d’autant plus les conséquences de cette
dépendance suite au ralentissement de la demande au niveau des marchés
européens due à la baisse du pouvoir d’achat ce qui a engendré une baisse
des commandes qui contraindraient les textiliens tunisiens à une baisse
d’activité.
Selon une enquête récente menée par le CEPEX auprès des 50 premières
entreprises exportatrices du secteur, 22 % des industriels tunisiens étudiés
ont enregistré une baisse de plus de 20 % de leurs exportations alors que 10
% parmi l’échantillon étudié ont enregistré une baisse d’au moins 10 % de
leur chiffre d’affaire à l’export.
Cette situation dénote des appréhensions des opérateurs dans le secteur
des textiles et qui risquent de se prolonger encore plus. Est-ce la première
fois que les textiles tunisiens vivent une crise pareille ? Ce n’est pas
sûr. Les raisons diffèrent, les résultats sont les mêmes, enfin presque.
Retour d’histoire…
Le textile en Tunisie a actuellement près de 40 ans d’existence. A la fin
des années soixante, fussent créées les premières sociétés Sogetex et Sitex.
Les premières unités de tissage, de finissage et de filature ont été
installées. Le Jeans fut le premier jalon de cette industrie. Ce n’est qu’au
début des années 70 que l’Etat a promulgué une loi pour introduire le régime
« off shore », ce qu’on appelle communément la loi 72 qui a incité les
entreprises étrangères, essentiellement françaises, italiennes et allemandes
à venir s’installer en Tunisie. En parallèle, l’Etat a promulgué un nombre
d’incitations fiscales. Depuis, la principale activité du secteur fût la
sous-traitance pour les donneurs d’ordre étrangers. Ce qui fait que la
tendance exportatrice est très ancrée dans les traditions du secteur jusqu’à
aujourd’hui. D’ailleurs, les entreprises totalement exportatrices et mixtes
représentent 80% d’un ensemble de 2100 entreprises au total.
Mais si cette étape était nécessaire pour le lancement de l’activité du
secteur, qui est principalement la sous-traitance, elle n’a pas été suivie
par une autre et qui consiste à avancer encore plus dans l’industrialisation
du secteur et ne pas se suffire des demi-mesures et en l’occurrence, la
condition éternelle de sous-traitants. « Dans les années 70, il y avait deux
branches qui ont évolué dans les deux sens : le textile et l’habillement.
Ces deux secteurs ont vécu dans l’ignorance l’un de l’autre. Les entreprises
tunisiennes n’ont pas su profiter de plusieurs marchés. Tous les produits
proviennent de l’étranger. Cette situation a duré plusieurs années comme
cela dans l’ignorance du marché potentiel sur le plan local seulement. Ce
qui nous a fait perdre une longueur d’avance par rapport aux autres pays»
précise Nabil Sghaër, un industriel du secteur. Et comme lui, plusieurs
autres pensent que le secteur souffre de l’absence d’une stratégie de
développement cohérente et efficiente qui fait qu’il n’a pas réalisé le saut
qualitatif qu’il devrait faire depuis des années déjà.
Du rôle de l’Etat…
Sur le plan institutionnel, l’accompagnement du secteur par l’Etat ne
s’est fait opéré qu’à la fin des 90 avec la mise en place d’un programme de
mise à niveau. Disons qu’à cette époque, le secteur textile vivait l’un de
ses plus grands cauchemars. Plusieurs entreprises étaient en faillite et
plusieurs autres ont fermé leurs portes. Certains professionnels du secteur
estiment que ceci était à l’absence de l’Etat. On aurait apparemment laissé
le secteur à lui-même sans aucune assistance. Ajoutons à cela l’ignorance
des entreprises elles-mêmes de leurs potentiels «les entreprises classiques
ont été touchée de plein fouet par la crise. Seules les entreprises qui ont
investi dans les nouvelles technologies ont tenu bon», explique M. Sghaër.
Ceci dit et malgré cette situation, certaines branches du secteur ont
réussi à s’imposer sur le marché européen avec plus de 73% des exportations.
Ce sont les vêtements de travail (2ème fournisseur) avec 14,5%, les
pantalons jeans et de ville (4ème fournisseur) avec 26,3% et la lingerie
(3ème fournisseur) avec une part de 12,2%.
230 entreprises travaillent actuellement dans la lingerie. 60% parmi
elles, sont de nationalité tunisienne et 20% de nationalité française. Elles
sont 88% qui travaillent totalement à l’export. Des marques prestigieuses
sont fabriquées en Tunisie, à savoir Etam, Dim, Simone Pérèle, Ravage, etc.
Le chiffre d’affaires généré à l’export est de l’ordre de 620 MDT en 2007.
Le nombre d’emplois dans la filière est estimé à plus de 20.000 personnes.
Samir Ben Abdallah, président de la chambre syndicale nationale des
fabricants de lingerie, nous a indiqué que la notoriété de la Tunisie dans
cette branche est dû essentiellement à un savoir faire confirmé et une haute
technicité de la main d’œuvre spécialisée dans la fabrication de la
lingerie. «Cette activité est devenue un métier difficile. Il s’agit de la
confection des articles qui se mesurent au millimètre près. L’erreur n’est
pas permise», nous a-t-il expliqué. Par rapport à la Chine – qui devance la
Tunisie dans cette branche -, M. Ben Abdallah a affirmé que les entreprises
tunisiennes se distinguent par un savoir faire et une spécialisation dans
les produits haut de gamme.
Le passage obligé…
Ceci dit, garder ce bon positionnement dans certaines branches serait
l’un des défis auxquels le secteur doit faire face à l’heure actuelle. Le
passage de la sous-traitance à la co-traitance et au produit fini s’avère un
passage obligé. «Pour réaliser l’intégration du secteur, il faudrait
réorienter les aides de l’Etat vers le textile classique (hors confection),
à savoir le tissage et le finissage mais aussi vers le textile technique. Je
voudrais insister sur le rôle de l’Etat. Si nous revenons à l’histoire, nous
remarquons que c’est lui qui a catalysé le développement de l’industrie
textile, puis il s’est retiré. Même chose pour les autres secteurs. C’est à
lui d’initier les activités qui n’existent pas» a déclaré Fawzi Sakli,
président de l’Association Tunisienne des Chercheurs en Textile.
Pour sa part, M. Sghaër a indiqué que le passage à l’industrialisation
exige beaucoup de moyens. «Il est important de préparer l’infrastructure, à
savoir les zones industriels et les technopoles tels que le technopole de
Monastir» a-t-il précisé. En fait, cette étape nécessite un investissement
technique et dans les ressources humaines qui devraient recueillir un savoir
faire en adéquation avec les nouvelles exigences. Ceci est susceptible
d’attirer encore plus les entreprises étrangères et incitera les entreprises
tunisiennes à se mettre à niveau pour répondre aux demandes de leurs
clients. Le rôle de l’Etat est crucial dans la réactivation des structures
de soutien et d’aide. «Il est important d’avoir des structures très
puissantes pour encourager l’investissement local. On ne peut pas donner des
avantages extravagants aux étrangers alors que les Tunisiens se trouvent
éloignés», a souligné M. Sakli.
Effectuer un saut technologique ne pourrait se faire que par un
engagement des uns (l’Etat) et des autres (les entreprises) dans une
dynamique de réforme du secteur. Crise économique oblige, les faiblesses du
secteur sont d’autant plus visibles. Anticiper les mesures de soutien et
d’aide pour les entreprises textiles s’avère d’une grande urgence.
Il n’y a pas longtemps, une structure de réflexion a été mise en place
par la Fédération Nationale du Textile pour étudier les moyens de faire face
à la situation de crise vécue actuellement. Espérons que ça serait un
premier pas vers l’établissement d’une stratégie efficiente pour la
promotion du textile & habillement en Tunisie.
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