*On n’accorde pas de crédits bancaires aux Tunisiens !
*La chimie textile n’est pas vraiment connue par une bonne partie de
nos industriels, ni par le législateur ni par le citoyen moyen
Mami SA a été parmi les premières entreprises tunisiennes textiles
offshore. Née aux années 60 alors que le textile tunisien en était à ses
premiers balbutiements, elle est aujourd’hui l’une des plus importantes sur
la place et se caractérise par la diversité de ses produits. De la
buanderie, matériel progiciel et de confection à la broderie et passant par
la sérigraphie et le finissage, Mami offre à ses différentes clientèles en
Tunisie une large gamme de machines, accessoires et matières première pour
les industries textiles, habillement et autres branches rattachés à ces
derniers.
Aux destinées de cette une maison de représentation et de négoce, préside
Nazeh Ben Ammar, vice-président. Entretien.
Webmanagercenter : Le textile est un secteur qui a démarré en 1976, il
est aujourd’hui composé de 2050 entreprises dont 85% travaillant uniquement
pour l’exportation, il emploie 200.000 personnes. Pensez-vous qu’il peut
passer à un pallier supérieur, c’est-à-dire à une phase d’industrialisation
à l’instar de la Turquie ?
Nazeh Ben Ammar : des opportunités réelles sont offertes pour le moment à
la Tunisie. Les pays de l’Europe de l’Ouest cherchent toujours des pays pour
la délocalisation de leurs usines. L’expérience de L’Europe de l’Est a été
très courte vu que des pays tel que la Roumanie et la Bulgarie ont rejoint
la Communauté européenne et par conséquent, ne sont plus aussi compétitives
qu’elles l’étaient. Nous sommes en train de vivre de la sous-traitance
provenant de pays tel que la Turquie qui cherche principalement de la main
d’œuvre bon marché en Syrie et en Egypte. Nous devons aussi passer à un
autre palier pour sortir du produit textile qui se limite à la vente des
minutes de confection, de broderie, de sérigraphie et du délavage à une
véritable industrie textile comprenant des phases plus industrielles à
savoir le tissage, le tricotage et la finition. Nous devons aussi nous
inspirer du modèle turque pour aussi proposer les produits finis et
démarcher de nouveaux marchés tels que l’Amérique du Nord etc.…
La Tunisie était le 4ème fournisseur de l’union européenne en produit
d’habillement, par conséquent, elle est familiarisée avec le marché
européen, qu’est ce qui explique le fait qu’elle se laisse devancer par des
pays comme la Chine ou la Turquie mis à part le démantèlement de l’accord
multifibres ?
Nous ne pouvons malheureusement pas nous comparer à des géants du textile
tel que la Chine, la Turquie, l’Inde ou le Pakistan. Ce que nous devrions
faire, c’est plutôt de chercher de véritables opportunités par rapport au
secteur. Le textile haut de gamme (modèle Italien), le textile technique
(industrie automobile, aéronautique, etc.…) peuvent nous permettre d’avoir
une position plus intéressante que celle du n° 4 estimé au kilogramme. Nous
pouvons prétendre à une meilleure position stratégique et qui permettrait de
laisser un peu plus de marge en Tunisie. Ceci au lieu de vendre des minutes
pour être dans les cinq premières positions en n’ayant pas assez de
débouchés au niveau de l’emploi ce qui est très important. Nous devrions
viser mieux et plus.
Quels sont les facteurs qui bloquent le développement d’une industrie du
textile et de l’habillement dans notre pays. Est-ce le déficit de formation
et de l’encadrement au niveau du secteur? Un manque de volonté de la part du
secteur privé, une absence d’encouragements au niveau de l’Etat ?
Nous ne disposons pas de matières premières (tissu, je ne parle pas de
fil car nous ne pouvons pas être compétitifs à ce niveau à l’échelle
mondiale). Nous n’avons pas de sociétés structurées. Et pour couronner le
tout et contrairement à ce que l’on pense, on n’accorde pas de crédits
bancaires aux Tunisiens !
La formation professionnelle doit être mieux étudiée par ailleurs au
niveau des ISET et des Ecoles d’ingénieurs. Le produit est meilleur depuis
quelques années, mais pourrait être encore plus amélioré et ceci en faisant
appel à de meilleurs formateurs, encadreurs, et pourquoi pas à des experts
européens dans une démarche qualité.
Je ne suis pas pour l’intervention de l’Etat d’une manière générale : les
choses doivent se développer d’une manière naturelle mais les banques et les
structures d’appui, doivent jouer un rôle plus important dans le soutien des
projets qui dépassent les tailles des entreprises familiales. (Nous avons
trop peu de grandes sociétés tunisiennes ou de capitaux à majorité Tunisiens
qui permettent de faire face aux gros donneurs d’ordre Européens ou outre
atlantique)
La Tunisie est un pays qui ne dispose pas de matière première et est
aussi incapable de fournir des intrants aux conditions de prix et de qualité
des pays concurrents. Comment dans ce cas espérer développer une industrie
des textiles et de l’habillement ?
Encourager les sociétés européennes et autres à s’installer en Tunisie me
paraît être une meilleure solution que de mettre les clés sous le paillasson
et créer de nouvelles entités pour les articles qui sont, soit disant, les
plus importés en Tunisie tels les Tissus pour corsetterie, chemise,
gabardine, etc.…
Les nouvelles orientations du marché européen vers des produits plus
respectueux de la préservation des ressources naturelles et la
réorganisation des labels dans ce sens, ne peuvent-elles pas représenter une
chance pour le secteur tunisien de se doter des équipements qui prennent en
compte ces facteurs et s’engager dans l’industrialisation ?
Nous avons vu dernièrement des tendances qui incitent les industriels à
livrer des produits organiques (ou à base de matière première organique),
bio ou les clients doivent trouver des fournisseurs de fibres, de fil ou de
tissus qui n’utilisent que des produits biologiques. Ces dernières années
nous avons aussi vu de nouveaux standards ex GOTS (global organic textile
standards) qui est un label qui permet l’harmonisation des certifications
des textiles biologiques dans le monde, ou des réglementations très sévères
pour l’enregistrement, l’évaluation, et l’autorisation des substances
chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH).
Des restrictions aussi pour l’usage d’encre dans la sérigraphie sans pvc et
les formaldéhydes des pH talâtes ont été mis en œuvre depuis le début de
l’année dernière. Nous avons aussi vécu des restrictions sur l’usage du
Perchloroethylène, produit qui est utilisé dans les usines pour enlever les
taches mais qui est aussi le produit utilisé par les laveries à sec et qui
est aussi un produit simplement toxique, très probablement cancérigènes, et
très dangereux pour l’environnement. Votre question me permet là de
transmettre les quelques connaissances que j’ai sur le domaine de la chimie
textile qui n’est pas vraiment connue par une bonne partie de nos
industriels, ni par le législateur ni par le citoyen moyen. La thématique de
la chimie textile devrait faire l’objet d’une journée d’étude qui
permettrait d’informer les industriels sur les restrictions citées plus haut
et de changer la législation tunisienne pour l’adapter aux lois européennes.
Nous devrions plus agir pour protéger notre santé, l’environnement et la
nappe phréatique pour nos enfants. Pour conclure, nous pouvons avoir un
avantage par rapport aux autres pays si nous développons les industries
textiles écologiques, si l’on veut, nous devons également penser à d’autres
priorités qui touchent à notre santé, notre environnement. Je suis sûr que
si nous optons pour ces choix, les commandes nous tomberont dessus parce que
nous aurions donné une image de civisme et de propreté.
Lire aussi :
– Textile : réorienter le soutien de l’Etat vers le tissage, le finissage et
le textile technique
– Ali Nakai, Fédération Nationale du Textile : jouer la carte de la proximité et de la réactivité