L’analyse de l’assistance financière de l’Union européenne aux pays tiers permet malheureusement de relever un triste constat : celui de la diminution de la part de la Méditerranée au profit des pays d’Europe centrale et orientales «PECO».
Il faut souligner toutefois que cette aide financière, bien que sensiblement accrue par rapport à ses niveaux antérieurs, reste limitée et risque de n’avoir qu’un effet marginal.
Elle ne dépassera pas en moyenne 0,2% du PIB des pays de la région et restera par habitant cinq fois moindre que celle consacrée aux «PECO».
La plus dynamique (Banque européenne d’investissement) montre que globalement les populations du Sud ont reçu en 1998 4,5 euros par habitant contre 23 pour leurs homologues de l’Est, soit un rapport de 1 à 5, alors que les niveaux de développement, les besoins en modernisation et en infrastructures devraient militer pour une inversion de ce ratio.
La mise à niveau du tissu industriel des PSEM Maghreb compris, les formules de financement du partenariat, de l’acquisition de la technologie européenne ou du capital-risque ainsi que leurs réalisations restent en deçà des déclarations et discours d’intention.
Les mécanismes d’octroi de crédits et de subvention sont tellement complexes qu’un grand nombre de projets issus de partenariat euro-maghrébin ne voient pas le jour et les promoteurs abandonnent au bout d’un certain temps.
Un rapport révélateur
Selon le rapport publié par la Cour des Comptes de l’Union européenne, entre 1995 et 2005, les engagements financiers de la CEE dans le cadre du programme MEDA, se sont élevés à environ 6.888 milliards €. Ces fonds ont été engagés auprès de 8 Etats arabes sur un ensemble de 10 pays (les 2 autres étant Israël et la Turquie).
4.043 millions € seulement ont réellement été versés à cause d’un manque d’efficacité dans les procédures de décaissement. Cela Signifie qu’uniquement 59% de cette aide communautaire ont été perçus au Sud de la Méditerranée.
Une analyse plus détaillée de ces engagements et déboursements montre que ce sont les projets d’ajustement structurel qui donnent lieu aux déboursements les plus rapides à l’inverse des projets liés à l’appui au secteur Industriel, au soutien à la PME, à la privatisation et à la formation au capital-risque.
Une ZLE euro-méditerranéenne à l’horizon 2010 n’est une priorité européenne
La faiblesse des engagements et des déboursements européens est certes imputable en partie à la capacité d’absorption limitée de certains pays, mais surtout elle est également due à la bureaucratie de la Commission de Bruxelles, à l’absence de procédures d’approbation et de décaissements précises et rapides, à tel point que certains y voient peut-être l’expression d’une volonté délibérée de freiner le décaissement des engagements déclarés comme si l’UE se serait engagée trop vite et qu’elle aurait découvert a posteriori : «Que la création d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne à l’horizon 2010, décidée en 1995 lors de la conférence fondatrice de Barcelone, n’était pas en réalité une priorité pour les européens».
A titre illustratif, dans le cadre de MEDA l’assistance financière de l’Union Européenne porte sur 30 projets pour les trois pays du Maghreb central et concerne une enveloppe globale de 870 millions d’Euros.
Ce montant global a fini par être engagé entre 1996 et 1999.
En termes de déboursements, 209 millions d’euros uniquement ont été payés, soit à peine le quart de l’enveloppe allouée.
Le constat est encore plus sévère si on signale que sur ces 209 millions d’euros de déboursés, 200 millions portent sur les Programmes d’ajustement structurel. Tout le reste n’aura donc bénéficié que de : 9 millions d’euros pour les trois pays du Maghreb.
C’est à cela que nous pouvons mesurer objectivement la lassitude, le désarroi et le doute de certains opérateurs maghrébins.
Le Commissaire européen aux Relations extérieures insistait en décembre 1999 sur la nécessité de rationaliser «les procédures de la Commission à tous les niveaux pour éliminer les retards superflus dans l’apport effectif de l’assistance».
Un exemple de mauvaise gestion est celui d’Euro-Tunisie Entreprise (ETE), initiative européenne devant contribuer à travers une enveloppe de 20 millions d’euros, à financer l’expertise en direction de la PME tunisienne pour sa mise à niveau.
Quatre ans après l’installation des équipes d’experts, ETE n’a fait que consommer son budget de fonctionnement. La convention de financement devant mettre 12 millions d’euros d’expertise tuniso-européenne à la disposition des PME tunisiennes vient à peine d’être signée.
L’organe a précédé la fonction, il a dévoré le budget. Le tout est de rester confiant et de ne pas perdre patience …
L’une des principales défaillances de ce programme réside dans son caractère trop modeste et peu efficace.
Pourtant conçu pour tenter de réduire la fracture économique Nord-Sud en Méditerranée, en consacrant des aides financières et une assistance technique aux dix pays partenaires méditerranéens dont le Maghreb.
Cet instrument financier traite simultanément des coopérations bilatérales et régionales et couvre les trois volets de coopération du Partenariat (politique, économique, socioculturel).
Il a connu deux phases de programmation : MEDA I de 1995 à 1999 (enveloppe globale de 3,435 milliards €), et MEDA II pour la Période 2000-2006 (enveloppe globale de 5,35 milliards €).
L’écart entre les niveaux de vie des deux rives au point mort
En dix ans, l’écart de niveau de vie entre les deux rives de la Méditerranée n’a pas diminué mais les écarts de revenus vont se creuser davantage entre l’UE et le Maghreb : le PIB par tête du Maghreb passerait de 1.410 $ US en 1990 à 1.750 $ US en 2010, celui de l’Europe passerait de 16.000 $ US à 24.000 $ US sur la même période.
Si l’on retient un indice 100 pour le PIB par capital de l’Europe, l’indice du Maghreb régresserait de 17% en passant de 8,8 à 7,3.
Il est peut-être temps que l’Europe soit moins égoïste, plus visionnaire et adopte des positions plus généreuses et plus intelligentes.
Une Europe toujours aussi protectrice dans le secteur agricole
L’Europe continue à subventionner largement sa production agricole et à surprotéger ses marchés. La plupart des produits agricoles en provenance de la zone méditerranéenne, font l’objet de restrictions de la politique agricole commune.
Les barrières tarifaires des fruits et légumes varient selon les produits et les saisons, avec un prix plus élevé imposé durant les périodes où les importations communautaires sont susceptibles d’entrer en compétition avec les produits locaux.
Des quotas et des calendriers sont établis pour chaque produit dépassés ces derniers les droits et taxes s’appliquent sur les produits.
L’huile d’olive pénalisée
Première richesse agricole en Tunisie, l’huile d’olive est soumise à un quota de 56.700 tonnes, nonobstant les subventions à hauteur de 2,3 milliards d’euros perçues par les producteurs d’huile d’olive des Vingt-Cinq. Environ 0.7 /0.9 EURO/KG.
A partir de janvier 2007, une nouvelle directive de l’UE oblige la Tunisie de ne pas disposer de la liberté de vente de son contingent et son écoulement se fera suivant un calendrier mensuel afin de ne pas gêner l’écoulement de l’huile communautaire (journal officiel de l’U.E 26.01.2006) :
· 1.000 tonnes pour les mois de janvier et février,
· 4.000 tonnes pour le mois de mars,
· 8.000 tonnes pour le mois d’avril,
· 10.000 tonnes pour tous les mois de mai à octobre
(à évoquer l’affaire retour huile).
D’autre part, les délocalisations industrielles vers les pays de la rive Sud et du Maghreb continuent à être bannies car assimilées à une destruction d’emplois en Europe. (Le dernier cas est celui d’une usine de chaussures françaises vers la Tunisie).
On voit mal pourquoi et comment l’Europe continuerait à bannir les délocalisations industrielles vers les pays du Maghreb et de la rive Sud de la Méditerranée alors que derrière les accords de libre-échange, il y a implicitement l’idée fondamentale que les pays de la rive sud doivent se préparer à abandonner un certain nombre d’activités protégées (monopoles) et qui ne correspondent pas à un avantage compétitif.
Comment l’Europe pourrait prôner le libre-échange avec ses voisins du Sud tout en continuant délibérément à les priver d’un moyen de rééquilibrage de leurs balances commerciales à travers un accès plus libre de leurs produits agricoles au marché de l’EU.
Aujourd’hui, le Maghreb doit faire face à des défis majeurs en matière d’emploi et d’acquisition de technologies. Seuls des investissements directs importants pourraient l’aider à les relever. L’Europe, celle occidentale, et du Sud plus particulièrement de par sa proximité géographique, ses liens historiques, son identité culturelle et ses relations économiques et commerciales privilégiées doit y jouer un rôle fondamental. Ceci est sa portée, financièrement et technologiquement, et lui procurera de multiples avantages.
C’est à ce prix que le Maghreb et la Méditerranée pourrait retrouver sa vocation de lac de paix et de prospérité….
La politiqué de l’UE de l’élargissement et le Maghreb
Pour la plupart des analystes, les mutations qu’induirait l’élargissement à l’Est auront un impact direct sur l’aide financière accordée aux pays du Maghreb et sur certains secteurs économiques largement dépendants du marché européen.
L’agriculture et l’industrie textile qui constituent l’essentiel des exportations maghrébines pourraient souffrir de la concurrence.
La question des investissements directs européens qui pourraient miser sur les pays de l’Est au détriment du Maghreb inquiète également les pays de la rive Sud.
L’absence d’une intégration régionale rend plus vulnérables les économies maghrébines.
Une question surgit : l’appui européen se ferait-il au détriment de sa politique d’aide aux pays du Maghreb ?
Pour la période 2000-2006, les nouveaux pays adhérents ont bénéficié d’une enveloppe budgétaire de 21 milliards d’euros, répartie de la façon suivante : 10,5 milliards pour le programme Phare ; 3,5 milliards pour l’aide au développement agricole et 7 milliards pour l’aide structurelle[1].
A l’horizon 2013, cette tendance se confirme. Le coût net prévisionnel de l’élargissement est estimé à 29 milliards d’euros. En 2006, les trois pays du Maghreb ont bénéficié de 280 millions d’euros d’aides budgétaires et de financement direct sous forme de dons.
Comparé au volume d’aides accordées aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, le choix européen est clairement favorable aux nouveaux adhérents à l’Europe. L’Union européenne verse 545 euros par habitant et par an dans les douze pays nouvellement adhérents, contre 14 euros, prêts compris, dans les pays du Sud de la Méditerranée.
L’Europe centrale et orientale privilégiée
A l’instar des autres partenaires de l’Union européenne en Méditerranée, les pays du Maghreb fortement tributaires de l’aide européenne risquent donc de faire les frais d’une politique communautaire en matière d’aide et d’investissement qui avantagerait les pays de l’Europe centrale et orientale (PECO). Les conséquences d’une telle politique trop favorable à l’Est ne tarderaient pas à se faire sentir. L’effort financier consenti permettrait aux économies des pays de l’Est d’être plus compétitives que celles des pays maghrébins.
Il est fort probable que certains secteurs productifs maghrébins souffriront de la concurrence directe de certains produits en provenance des pays de l’Est (produits agricoles, textiles…).
L’allocation de fonds supplémentaires pour certains secteurs menacés est plus que vitale. Cela suppose qu’un effort financier plus considérable soit consenti. Le lancement, en 2007, de l’instrument européen de partenariat et de voisinage doté d’un budget de 15 milliards d’euros donnerait une nouvelle impulsion à la coopération financière entre l’Union et le Maghreb… Encore faut-il respecter une certaine équité entre voisins de l’Est et ceux du Sud.
Comme les pays du Maghreb, les pays de l’Est se sont engagés dans un processus de libéralisation et de mise à niveau de leur tissu productif pour attirer les capitaux étrangers. Les tendances leurs sont nettement favorables en matière d’investissements directs étrangers (IDE) : avec 23 milliards de dollars de flux entrants, les douze pays adhérents (candidats en 2000) ont totalisé 1,8 % des investissements mondiaux alors que les pays sud-méditerranéens n’ont drainé que 8 milliards de dollars.
L’agriculture maghrébine et la politique de l’élargissement
Depuis quelques décennies, les pays du Maghreb considèrent le marché européen comme un débouché naturel pour certaines de leurs exportations agricoles. Dans les années 1980, l’élargissement à l’Espagne, au Portugal et à la Grèce avait relativement affecté les exportations agricoles marocaines et tunisiennes.
Rappelons que depuis les années 1970, la coopération commerciale entre l’Europe et les pays du Maghreb accordaient aux pays maghrébins un accès privilégié au marché européen.
Les accords ultérieurs ont généralement maintenu les avantages acquis.
Dans le contexte de libéralisation des échanges que connaît le monde d’aujourd’hui sous l’impulsion de la mondialisation, ces avantages sont appelés à disparaître.
Les produits exportés vers l’Union européenne par les nouveaux pays adhérents et les pays du Maghreb sont susceptibles d’entrer en concurrence.
Ceci étant, les produits agricoles en provenance du Maghreb et ceux de l’Europe de l’Est auront-ils les mêmes atouts pour être compétitifs sur le marché européen ? Absolument pas. Les aides financières en faveur des pays de l’Europe centrale et orientale dans le cadre de la politique agricole commune le montrent clairement : entre 2000 et 2006, ces pays ont bénéficié d’une allocation annuelle de 520 millions d’euros dans le cadre du programme SAPARD[2].
En 2006, plus de 4,147 milliards d’euros ont été accordés aux nouveaux pays membres dans le cadre de la politique agricole commune. Cet effort consenti pour moderniser le secteur agricole et le rendre plus compétitif peut s’avérer fort préjudiciable pour le secteur agricole maghrébin.
Pas de largesses pour les pays du Sud
Commentant l’inégalité de traitement entre agriculteurs de l’Est et ceux du Maghreb, Jean-Pierre Séréni* note que les premiers bénéficieront en principe des aides. En revanche, pour les pays du sud, signataires d’un accord de libre échange, il n’est pas question de bénéficier des largesses de la politique agricole commune.
Et l’auteur d’ajouter : «demain, les pays de l’Est comme ceux du Sud se retrouveront concurrents dans l’immense zone de libre-échange, mais pas à armes égales : les premiers auront financé leur mise à niveau par des subventions, les autres par des prêts qu’il leur faudra rembourser et qui pèseront sur leurs coûts de production».
En l’absence d’autres marchés, cette situation pourrait mettre en difficulté les exportations maghrébines représentant une part importante des rentrées en devises étrangères. L’industrie agroalimentaire pourrait aussi souffrir de cette nouvelle donne économique. Les investissements pourraient s’installer facilement en Europe de l’Est où ils sont avantagés par les subventions généreuses de l’Union européenne.
Le secteur agricole n’est pas le seul à subir les conséquences de l’élargissement. Le tissu industriel maghrébin, constitué en grande partie de petites et moyennes entreprises, pourrait faire les frais du nouvel environnement régional (élargissement de l’Europe) et international (adaptation aux règles de l’Organisation mondiale de commerce).
Il serait très souhaitable qu’un rapprochement se fasse dès à présent entre les Nouveaux Pays Adhérents à l’Union et les Pays du Maghreb.
Une «initiative Est-Sud», qui réunirait les nouveaux États membres de l’Union européenne et les dix pays du pourtour méditerranéen, aura pour objectif le renforcement de la coopération entre les deux ensembles.
À l’heure de la mondialisation, la réussite de l’intégration Nord/Sud reste largement tributaire d’une coopération Sud/Sud très poussée. L’une complète l’autre.
Les Maghrébins doivent dépasser leurs divergences politiques. Plus que jamais, un Maghreb uni et solidaire est plus que nécessaire.