L’économie tunisienne à la recherche de nouveaux repères (4)

Stabilisée et mise sur une trajectoire de croissance
crescendo, depuis plus de vingt ans (+5%), l’économie tunisienne, fondée sur la
corrélation entre le social et l’économique, subtil dosage associant
libéralisation progressive, équilibre macroéconomique, a besoin, aujourd’hui et
plus que jamais, de transcender le stade de la rente sociale dont elle a
bénéficié jusqu’ici (bas salaires, paix sociale…) à celui de la création de
nouveaux avantages comparatifs dignes d’une économie moderne immunisée contre
les chocs exogènes (crises) et endogènes (aléas climatiques).

L’objectif est de doter l’économie du pays d’une nouvelle image-identité qui
satisfait, en priorité la communauté nationale, et dans une seconde mesure les
bailleurs de fonds et les partenaires commerciaux de la Tunisie. Le mot d’ordre,
après 53 ans d’indépendance, est, désormais, de faire profiter les Tunisiens des
richesses que leur économie crée.

Pour mieux comprendre l’urgence d’une réflexion stratégique sur les moyens de
consacrer cette mutation qualitative et immunisante, il n’est jamais inutile de
rappeler les moments forts par lesquels est passée l’économie nationale.

Pourtant l’essentiel reste à faire

En dépit de ses performances, fussent-elles internationalement reconnues,
l’économie tunisienne n’a pas encore atteint l’immunité souhaitée. Elle demeure
une économie basique, une économie de sous-traitance et de bout de chaîne.

Deux secteurs qui ont vampirisé, des décennies durant, de substantielles
incitations fiscales et financières méritent d’être signalés. Il y a d’abord les
industriels du textile dont le secteur assure environ 50% des exportations. Ces
derniers se sont avérés, après plus de quarante ans d’activités, n’être que de
simples poseurs d’étiquettes, voire des sous traitants aux ordres de maisons
mères. Pis, ce ne parvient pas, après un demi siècle d’indépendance, à habiller
la population locale dont plus de 45% continuent, selon le bureau d’études
suisse Gherzi, à s’habiller chez…… les fripiers.

Vient ensuite l’industrie agroalimentaire. Cette filière n’a pas réussi à
valoriser les produits agricoles locaux et à créer la valeur ajoutée souhaitée.
En dépit d’une prise de conscience de cette lacune, des produits de grande
qualité (huile d’olive, vins, agrumes…), sont exportés, jusqu’à ce jour. Ceux-ci
continuent à être exportés, non comme des produits de terroir, précieux et
chers, mais comme de vulgaires produits anonymes de coupage. Il en est ainsi de
l’huile d’olive qui fait la réputation de la Tunisie et qui est exportée en vrac
vers l’Italie. En contrepartie, l’huile conditionnée ne représente même pas 1%
du total exporté contre 45 à 65% chez nos principaux concurrents, l’Italie et
l’Espagne.

Une prise de conscience est heureusement enclenchée pour certains produits.
C’est le cas notamment des dattes dont l’exportation commence à se faire dans
les règles de traçabilité exigée par la clientèle étrangère.

A titre indicatif, le Plan d’ajustement structurel, tout autant que celui la
Mise à niveau de l’industrie, n’ont jamais été une fin en soi mais juste une
étape pour permettre à la Tunisie d’être au niveau de la compétition
internationale.

Même, l’Investissement direct étranger, en dépit de son apport certain à
l’économie, doit être toujours perçu comme un appoint à l’épargne nationale.

C’est pourquoi, même si ce type d’investissement permet au pays de résoudre
certaines contraintes dont l’emploi (création, d’ici 2016, d’un million de
postes à la faveur des mégaprojets), sa mobilisation, à tout prix, ne doit pas
figurer dans des stratégies à long terme.

En plus clair encore, les niches prisées par les investisseurs étrangers en
Tunisie, en l’occurrence le textile-habillement, les composants automobiles et
aéronautiques sont volatiles et candidates, à tout moment, à la migration. Elles
ont migré d’Europe vers le sud-est asiatique et en Afrique, et sont toujours
appelées à migrer vers les sites qui offrent des coûts de production plus bas

Le site Tunisie doit son attractivité, certes aux bas salaires mais surtout à
l’apport de l’Etat tunisien.

On ne le dira jamais assez : si, aujourd’hui, les investisseurs étrangers
peuvent tout acheter en Tunisie comme dans un duty free grandeur nature,
logements, aéroports, ports, villes, cimenteries… ce n’est pas parce que la
Tunisie se prévaut d’un environnement incitatif à l’investissement (Doing
Business classe la Tunisie à la 76ème place), ou encore au seul climat de
sécurité et de stabilité dans le pays, mais tout simplement parce que l’Etat
tunisien leur offre la meilleure garantie au monde, sa propre garantie.

Pour s’inscrire dans la durée et se targuer d’un minimum d’immunité,
l’économie tunisienne ne doit plus se contenter des avantages comparatifs
naturels et bruts mais créer ses propres avantages compétitifs.

A cette fin, la seule alternative consiste à valoriser ses ressources
naturelles et humaines et à les doter de valeurs ajoutées durables et
renouvelables.

Elle doit valoriser, entre autres, les produits du terroir. Dans cette
optique s’inscrit toute stratégie devant favoriser le développement d’industries
agroalimentaires structurantes, durables autour des produits de terroir phares
comme l’huile d’olive, les agrumes, les dattes, les céréales et le vin.

A signaler, ici, cette tendance heureuse de certains groupes qui commencent à
investir dans le développement des oliveraies et de la viticulture. C’est le cas
du groupe Chaibi qui va planter, moyennant une enveloppe de 30 millions de
dinars, des oliviers dans le bassin minier de Gafsa. C’est le cas aussi du
groupe Bousbiaa qui a investi dans la viticulture.

Le tourisme, en tant que ressource durable et renouvelable, gagnerait à être
valorisé et diversifié. La variété des sites naturels (mer, montagne, Sahara…),
tout autant que les nombreux vestiges archéologiques du pays, constituent des
gisements inépuisables qui peuvent être exploités à des fins touristiques ?

Last but not least, l’accent doit être mis sur la valorisation des
qualifications humaines du pays à des fins développementales ? Dans cette
optique s’inscrivent la coopération technique et l’exportation des services
(santé…) et de tout autre savoir faire crédible.

Pour y arriver, le mot d’ordre est de faire de la promotion de la qualité de
l’homme, des produits et services un projet de société. Tout un programme.