«Sur les 200 premières entreprises, 75 sont familiales et seulement 30%
d’entre elles passent le cap de la deuxième génération et 10 à 15% seulement
arrivent à assurer le passage à la troisième génération.» Ce constat de
M.Chokri Mamoghli, secrétaire d’Etat auprès du ministre du Commerce et de
l’Artisanat chargé du Commerce extérieur, en ouverture de la conférence
internationale sur «succession, transmission et gouvernance de l’entreprise
familiale; état des lieux et perspectives», rappelle toute l’acuité de la
question de la transmission des entreprises familiales, et les pertes
qu’elle occasionne à l’économie nationale. Donc, ce n’est pas demain que
l’on risque de voir une entreprise tunisienne faire son entrée dans l’un des
regroupements mondiaux les plus fermés : l’Association d’Entreprises
Familiales et Bicentenaires, les Hénokiens, qui, ainsi que l’a rappelé Moez
Joudi, chargé de la Recherche à l’IFA (France)- lors de cette conférence
organisée par l’Institut des Hautes Etudes de Tunis, l’Association des
Sciences de la Gestion, et l’ambassade de France à Tunis –avec le soutien de
l’Institut Français des Administrateurs (IFA), le Cabinet Ghazouani Avocats
et «Magasin Général»- ne compte que 40 membres (14 italiens, 11 français, 4
allemands, 2 hollandais, 1 irlandais du Nord, 5 japonais, 1 belge et 2
suisses.
En attendant, qu’une entreprise ou un groupe familial tunisien ait plus de
deux siècles d’existence, on peut se satisfaire de voir quelques uns
franchir avec succès la terrible épreuve de la succession au fondateur et de
la transmission de son patrimoine à ses descendants. Au nombre de ces «happy
few» figure le groupe Bayahi, dont l’un des dirigeants actuels, M.Tahar
Bayahi, p-dg en particulier de la chaîne de supermarchés «Magasin Général »
-racheté en partenariat avec Poulina en 2007- était invité à témoigner de
l’expérience de sa famille en matière de succession. Et c’était la première
fois que l’un des frères Bayahi le faisait depuis le décès du fondateur du
groupe, feu Haj Youssef Bayahi, en octobre 2007.
En se référant à cette expérience, M.Tahar Bayahi identifie plusieurs
facteurs clefs conditionnant la réussite dans la double épreuve de la
succession-transmission.
Le premier d’entre eux est que le fondateur de l’entreprise doit avoir le
souci d’assurer la pérennité de son œuvre. Haj Youssef Bayahi «a œuvré tout
au long de sa vie à assurer à la fois le développement et la pérennité » du
groupe, assure le junior des trois descendants masculins de l’homme
d’affaire.
Ensuite, il est «fondamental que le fondateur soit là pour apporter une
harmonie, d’abor au niveau de la famille.» De même, l’entrepreneur «doit
réaliser, à un moment donné, qu’on ne peut pas imposer à ses enfants de
prendre la suite, et qu’il faut plutôt les initier. »
Cette initiation, est également une période probatoire durant le Père
«essaie de faire prendre goût, et à tester les qualités de l’éventuel
successeur», note le patron de «Magasin Général ».
Cette initiation-test «démarre très tôt, dès l’âge de 10-15 ans», estime
M.Tahar Bayahi. Et plus «cet apprentissage est long –il se fait sur une
période de 15 à 20 ans-, plus grandes sont les chances de réussite. »
Mais cette phase ne sera fort probablement pas un long fleuve tranquille.
D’où la nécessité –autre facteur clé de réussite- de la présence de «gens
indépendants pouvant servir de facilitateurs des relations –toujours très
compliquées- au sein de l’entreprise familiale et de passerelle pour faire
passer des messages dans les deux sens. »
La cooptation-validation du ou des successeurs «se fait par petites touches
», analyse le junior des frères Bayahi. «On commence par confier au
successeur de petites entreprises, on l’observe et on la fait
progressivement monter en grade, jusqu’à lui permettre d’initier lui-même de
nouveaux projets. Et quant cela se produit, cela veut dire que la
transmission et la succession son faites », affirme Tahar Bayahi.
Mais pour que ce processus réussisse, il faut également que «le fondateur
comprenne que la transmission doit se faire de son vivant ». Et le grand
mérite de Haj Youssef Bayahi a, justement, été de le comprendre et de passer
lui-même le témoin à ses enfants.