Adrianus Koetsenruijter : L’idée de l’UPM n’est pas née du souci énergétique européen

Avant, il y a eu l’accord de Barcelone. Accord qui n’a pas été à la hauteur
des ambitions et des attentes des pays du Sud qui ont dû, faute du respect
de certains engagements par les pays du Nord, prendre le taureau par les
cornes et assurer la réalisation de leurs programmes de mise à niveau et de
libéralisation économique par leur propres moyens. Ensuite, ce fût la
Politique européenne de Voisinage (PEV) dont on vantait l’approche
compréhensive, une approche qui met à profit la méthode bilatérale pour
engager dans chaque pays une dynamique de mise à niveau cohérente.
Aujourd’hui on parle de l’Union pour la Méditerranée prêchée par le
Président français Nicholas Sarkozy.

Un projet qui peine à décoller à ce jour. Divergence de points de vue ? On a
du mal à imaginer une Méditerranée aussi harmonieuse que l’on veut bien le
croire. La stratégie européenne de sécurité et de partenariat stratégique
avec le Méditerranée et le Moyen-Orient serait-elle en train de sombrer ?

Pour répondre à ces questions et à d’autres, son excellence Adrianus
Koetsenruijter, Ambassadeur de la Commission Européenne en Tunisie.

Webmanagercenter : Processus de Barcelone, Politique européenne de
Voisinage, Union pour la Méditerranée, autant d’appellations qui définissent
à chaque fois la nature des relations établis entre le Nord et le Sud. L’UPM,
réussira t-elle, là où les autres formules ont eu du mal à réaliser les
résultats escomptés ?

Adrianus Koetsenruijter : De tous les temps les efforts qui ont été déployés
visaient à rapprocher les pays de part et d’autres, du Nord comme du Sud. De
faire de la Méditerranée, une zone stable et prospère. C’est la même idée
qui a animé le processus de Barcelone depuis 95, la politique de voisinage
et aujourd’hui, l’Union pour la Méditerranée. C’est une évolution avec des
différences importantes. De nos jours, nous assistons à plus de partage des
responsabilités entre les deux rives, plus d’initiatives de la part des pays
du Sud dans la gestion des affaires communes. Avant, on se contentait de
discuter les propositions qui venaient du Nord en matière de partenariat euro-méditerranéen, d’investissements et de coopération. Le Sud se
contentait de la position de celui qui recevait. Aujourd’hui, dans l’optique
de l’Union pour la Méditerranée, le Sud a également un rôle d’initiateur,
nous sommes des partenaires, nous partageons les responsabilités et nous
dialoguons plus. Un secrétariat de l’UPM partagé entre le Nord et le Sud
impliquera le lancement d’un véritable processus basé sur le principe de
l’égalité pour la réalisation d’intérêts stratégiques. Nous espérons que les
décisions politiques à ce niveau se traduisent dans la réalité sous forme de
projets concrets.

Que voulez-vous dire par concret ?

A.K : il existe d’ores et déjà des projets sur lesquels nous travaillons
ensemble dans le cadre de l’UPM. Le fait de désigner autant de secrétaires
généraux adjoints représentant l’ensemble des pays est garant de la vision
égalitaire de l’UPM et de la volonté de ses concepteurs d’affirmer ses
dimensions pratiques. N’oublions pas également la présence de la ligue des
Etats arabes.

La ligue arabe, c’est un peu pour contrebalancer la présence israélienne
mais ce sont là des considérations politiques dans lesquelles nous éviterons
de nous lancer.

A.K : Qui sont très importantes pour la région.

Je voudrais insister sur l’enjeu énergétique que comporte le projet d’UPM,
certains experts en parlent comme étant le garant d’une certaine
indépendance européenne en matière énergétique, alors qu’aujourd’hui,
l’Europe est dépendante du Gaz russe, une union avec le Sud lui permettre
d’accéder à d’autres sources d’énergie et là nous parlons entre autres de
l’Algérie.

Oui, l’enjeu énergétique est important, il est vrai que l’Europe a besoin
d’une certaine stabilité sur le plan énergétique et il y en a beaucoup dans
le Sud. L’Union pour la Méditerranée, n’a, cependant, pas pour objectif de
garantir à l’Europe des ressources énergétiques et une autonomie par rapport
à la Russie. Si tel avait été notre objectif ou en tout cas notre seul
objectif, nous aurions pu nous mettre d’accord avec l’Algérie ou avec la
Libye. Ce pays qui ne veut d’ailleurs pas faire partie de l’Union pour la
Méditerranée. Ces deux pays sont les plus importants en matière de
richesses énergétiques. L’énergie compte pour nous tous, aussi bien pour la
Tunisie, le Maroc ou pour d’autres. C’est toutefois la recherche de
l’énergie solaire ou de ressources renouvelables pour l’énergie qui
importent aujourd’hui. Il y a toute une série d’initiatives à prendre
ensemble parce ce qu’en définitive  nous pouvons souffrir des mêmes
difficultés. Ce qui découlerait de cette initiative est
un meilleur rapprochement entre les pays et les peuples d’une même région.
Et c’est la ligne directrice de cette nouvelle phase au niveau des relations
entre l’Europe et les pays de la rive Sud de la Méditerranée y compris même
certains nouveaux membres comme la Yougoslavie, la Croatie, Monaco ou le
Monténégro. Il y a tellement de problèmes que nous devons gérer ensemble
comme ceux en rapport avec l’environnement, une exploitation plus
rationnelle des ressources de la mer méditerranéenne, il y a tellement d’intérêts à partager dans le cadre de cette initiative. Réduire le projet à
intérêt énergétique est complètement faux.

Excellence, Vous dites que parmi les objectifs de l’UPM, figure une
composante importante, la stabilité, expliquez-nous?

A.K : Stabilité veut dire ne pas avoir de perturbations dans des sociétés
qui sont équilibrées socialement, sécurisées, des pays où ne sévit pas la
guerre, où il n’existe pas de déséquilibres régionaux ou internes et où il n
y a pas de différences de classes trop accentuées. Nous vivons dans un monde
de globalisation ou tout le monde dépend de l’autre. On le voit bien avec la
crise économique et financière. Ce qui peut toucher un pays peut se
répercuter directement sur ses voisins. D’où l’intérêt de la stabilité, un
intérêt commun que ce soit dans les pays du Maghreb, du Moyen-Orient que
d’Afrique. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas, nous espérons par cette
initiative qui vise avant tout le rapprochement des points de vue de
résoudre les conflits qui existent. Car une guerre au Moyen-Orient est
mauvaise pour nous, des dissensions entre l’Algérie et le Maroc vont
forcément à l’encontre de nos intérêts et représentent un élément
d’instabilité. Israël et la Palestine ont vraiment intérêt à trouver une
solution à leurs conflits car c’est mieux pour eux et pour nous aussi de
faire la paix que la guerre et avoir des relations bien définies sinon ce
sera négatif pour nous également. L’Europe doit prendre un rôle actif
là-dedans…

Pour parler de l’Europe, pouvons nous-dire que la crise économique actuelle
et avec ce quelle produit comme dégâts, renforce sa position en tant que
puissance mondiale ?

A.K : Dans chaque crise il y a une redistribution des cartes ou des rôles si
vous préférez. L’économie européenne est beaucoup plus en équilibre au
niveau des ses critères macro économique, ses bilans de paiement, de finance
publique, que les Etats-Unis, 1ère puissance économique mondiale. La Chine
ou l’Inde sont aussi dépendants de nous que des Américains et continuent
quand même avec des taux de croissance appréciables. Ce sont même les seuls
pays qui vont continuer dans leurs croissances d’une manière positive en
2009. Pour les pays africains, certains secteurs se développer beaucoup
mieux que d’autres…

Pour revenir à un autre problème, celui de l’émigration. La question
éternelle, celle des visas difficiles à accorder. La difficulté des
formalités pour assurer les déplacements des personnes et les échanges
économiques persiste à ce
jour. S’il est vrai que plus de 30 milles personnes ont été accueillies en
2008 en Europe, il n’en reste pas moins que des milliers sont morts avant
d’arriver à destination. Je parle de l’immigration clandestine, est ce que
l’Europe a statué sur cette question. Est ce qu’il y a des politiques
claires par rapport à cette problématique ?

A.K: Nous parlons là de l’immigration clandestine et ces chiffres touchent
uniquement les personnes partis de la Libye vers l’Italie. A partir du
Maroc, nous pouvons parler du double. Nous comprenons parfaitement le
problème de l’émigration parce qu’il touche des populations fragilisées par
le chômage, la pauvreté ou les guerres. La Somalie en est le grand exemple
type. Dans tous les pays du Sud, dont la Tunisie, on commet l’erreur de
considérer l’Europe comme une région de grande prospérité et un paradis.
C’est à cause du manque d’informations et ensuite on bute aux problèmes et
aux mauvaises surprises. Bien sûr il faut stigmatiser certaines pratiques
mais le plus important est de traiter le problème du sous-développement.

Et alors que fait l’Europe de concret pour contrecarrer ce problème ?

A.K : L’Europe fait beaucoup. Elle est très présente en Afrique même si les
Chinois sont là maintenant et avec des initiatives très positives au niveau
des investissements. L’Europe s’attaque aux problèmes liés à la mauvaise
organisation sociale et politique pour aider les pays là où ils ont en
besoins. Il y a des régions où c’est vraiment difficile d’agir comme le Zimbabwe ou
la Somalie. C’est ce qui explique qu’on a défini une stratégie Union
Européenne/Afrique qui s’étend sur un an. Nous espérons d’ailleurs une
contribution efficace de la part de la Tunisie et du Maroc en la matière. Il
est impératif aujourd’hui de travailler sur le développement dans le sens
global du terme dans ces pays là pour pouvoir traiter le problème de
l’émigration. Dans le même temps, il ne faut pas perdre de vue que les
mouvements des personnes et des peuples font partie de l’histoire de
l’humanité. Nous ne pourrons pas changer grand-chose à ce mouvement donc
nous estimons que le système social doit traiter en profondeur ce genre de
problème afin de résoudre la question de l’intégration et de conflit
culturel.

En Europe, l’accompagnement de l’individu par le système social est
tellement développé que tout nouveau arrivé pèse d’une manière considérable
sur lui et pour nous, c’est un grand défi.

Revenons à la crise, la Tunisie a sollicité la communauté européenne pour
l’aider à soutenir l’économie réelle qui bien évidemment a été touchée par
la crise. Qu’en est-il concrètement ?

A.K : Nous avons une bonne relation de coopération avec la Tunisie. L’Europe
est présente par rapport à tout ce qui touche le développement économique et
social du pays. Nous sommes là et nous continuerons à suivre l’économie
tunisienne. Le fait que la Tunisie a réussi à identifier ses problèmes
économiques et sociaux sert pour nous de base pour contribuer à solutionner
ces problèmes. Pour l’instant, nous sommes en train de négocier pour une
plus grande intégration de la Tunisie avec l’Europe. Le libre échange pour
les produits industriels et manufacturiers a été réalisé, nous sommes en
train de négocier au niveau des produits agricoles et des services. D’autres
facteurs ont stimulé les investissements économiques européens en Tunisie.

Nous avons l’impression quand même que certains de nos produits sont
pénalisés comme l’huile d’olive que beaucoup considèrent comme le pétrole
tunisien. Ce produit subit le système de quota et les préférences
européennes vont à l’Italie et à l’Espagne. Sans oublier la question de
conditionnement de notre huile d’olive.

A.K : Oui, c’est vrai. Mais plusieurs facteurs doivent être pris en
considération en la matière. La façon de faire l’huile d’olive, c’est-à-dire
d’une façon plus élaborée, plus sophistiquée tant au niveau de la fabrication
que de la présentation. Il y a la question de la qualité, il y a également
celle de l’ accès aux marchés qui est sujet à discussion maintenant dans le
cadre des négociations sur la libéralisation des produits agricoles dans
laquelle la Tunisie défends son point de vue par rapport à un plus grand
accès de l’huile d’olive en Europe.

Mais vous savez que l’huile d’olive tunisienne est pénalisée suite à la
dernière décision de l’union européenne de préciser l’origine d’un produit.
L’Europe serait-elle prête à soutenir les efforts tunisiens pour la
labellisation de l’huile d’olive tunisien afin de pouvoir l’exporter
ailleurs ?

A.K : Oui. Nous l’avons fais dans le secteur industriel, où des produits
tunisiens se vendent à côté des produits européens, et ça peut se faire dans
le secteur agricole et concernant l’huile d’olive. Il faut aussi le
conditionner et trouver le moyen de le faire parce que l’autre handicap
est le fait de voir que les productions de l’huile d’olive sont trop
limitées. L’huile d’olive est très appréciée pour ses vertus pour la santé.
Ceci ne date pas d’hier. Depuis des milliers d’années, c’est le cas. En
Europe, c’est un produit voulu et apprécié et dans tout les pays et non
seulement en Grèce et en Espagne, les produits producteurs de l’huile mais
dans le Nord aussi. Tout le monde veut consommer de l’huile d’olive parce
qu’on sait que c’est très sain sur la plan santé.

Nous n’avons pas les moyens de le vendre sans label et sans stratégie
marketing en direction de l’Europe.

A.K : En ce moment on parle en Tunisie du programme de mondialisation
industriel, ensuite on va avoir un programme de mondialisation agricole, ça
va dans le sens des négociations que nous sommes en train de faire et de la
politique tunisienne…

Où en est le statut d’avancement de l’accord d’association Tunisie Europe ?

A.K : La Tunisie est déjà très avancée avec l’Europe et c’est pour ça qu’on
veut bien lui donner cette appellation politique d’un pays avancé et
justement le secteur agricole est parmi les secteurs au niveau desquels on
va faire plus d’efforts.

La sécurité alimentaire est très importante, l’Europe est-elle prête à nous
soutenir à ce niveau ?

A.K : Absolument, nous avons assisté en 2008, à la hausse des prix des
produits alimentaires et leurs conséquences sur l’économie. Le secteur
agricole tunisien a un grand potentiel.

Mais il n’a pas les financements nécessaires.

A.K : Oui tout comme la gestion de l’eau, un aussi un grand problème. Nous
en discutons avec le ministère de l’Agriculture pour y apporter des
solutions.

Il y a des programmes pour cela, des budgets ? Pouvez-vous nous citer des
chiffres ?

AE : Nous sommes en train de discuter le programme de coopération 2010 avec
le ministère de la Coopération, nous voulions avec le ministère de
l’Agriculture mettre la grande part dans le secteur agricole parce qu’il est
vraiment porteur. Nous comptons accompagner les réalisations et les
programmes de mise à niveau de ce secteur qui est vraiment grand mais qui
doit être plus performant pour être plus adapté aux exigences du marché
international, du marché européen et local.