Leila Kaïat, vice-présidente de l’UTICA et président honoraire du FCEM, vantait
les mérites de ces femmes qui ne sont pas nées avec des «cuillères en or» et qui
ont dû batailler pour arriver à devenir des femmes chefs d’entreprise émérites.
Des femmes qui ont réussi à arracher leurs places de haute lutte. Raoudha Ben
Saber, PDG de Plastiform et présidente de l’Union régionale de l’Ariana, en est
la parfaite illustration. Professionnelle jusqu’aux bouts des ongles, une
ambitieuse que le travail ne rebute pas, elle a réussi à développer une activité
qui n’existait pas dans les années 80 en Tunisie, celle de l’emballage
personnalisé.
«Mon
rêve, raconte Raoudha Saber, était de pouvoir construire une grande usine
pour mon entreprise». Un rêve qui n’en est plus un puisqu’il va se
concrétiser en 2009. «A ceux qui me disent, pourquoi une telle aventure ?
Un aussi grand projet, en as-tu vraiment besoin ? Tu vas t’embourber dans de
crédits, dans la récolte des fonds, je réponds, je le ferais et je le fais
pour mon pays et pas pour moi, j’ai mis mon empreinte et d’autres
continueront après moi. Il faut préparer la relève et donner leurs chances
aux jeunes…».
C’est du tout Raoudha Saber, simple mais tenace, décidée, bouillonnante,
boulimique du travail. Elle qui, malgré l’adversité, a su résister. Car il
n’était pas facile pour cette petite diplômée en marketing de s’engager
toute seule dans le milieu de l’entrepreneuriat. C’était les années 80, il
fallait oser ! «J’ai commencé mon affaire d’emballage en plastique très
petite avec des outils de production manuelle. En 1981, je commercialisais
deux articles, des calages en plastique pour les verreries et les boîtes de
fraises».
A partir de 1987, la concurrence l’a contrainte à sacrifier ses deux
articles. Son fournisseur en matières premières, qui était pourtant une
grande entreprise, a préféré s’emparer lui-même du marché en se montrant
plus compétitif. «Mon fournisseur en feuilles qui flairait le gain et qui
réalisait que le marché était porteur après l’avoir testé à travers ma
petite entreprise, a mis en œuvre tout ce dont il disposait pour m’éliminer.
Il en avait les moyens. Il était plus fort, et j’ai perdu ma barquette de
fraise». Dure leçon pour la jeune Raoudha qui découvrait ainsi que les
affaires, ce n’est pas du gâteau ou un cadeau…Elle n’a pas baissé les bras.
Et contre vents et marées, elle, qui avait la passion de son métier, a
retroussé les manches et s’est remise au travail. L’or véritable ne craint
pas le feu, n’est ce pas ? Ok, on veut lui mettre des bâtons dans les roues,
elle ne se soumettra pas. Redéploiement ! Ca sera l’emballage des barquettes
de biscuits : «La première barquette de biscuit commercialisée sur le marché
local a été fabriquée par Plastiform et était ma création».
“Avec du temps et de la patience, les feuilles de mûrier se transforment
en robe de soie”
Les biscuitiers développaient en 85 et 86 de nouveaux produits et le
secteur de l’agroalimentaire en Tunisie commençait à se réformer. Les
biscuits Saïda, qui ne les connaît pas, ont partagé l’aventure de la jeune
promotrice et ont accepté d’emballer leurs produits dans ses barquettes.
Et comme le dit le proverbe, «Avec du temps et de la patience, les
feuilles de mûrier se transforment en robe de soie»… Le marché a bien
réagi à cette première expérience, et depuis, la microentreprise a commencé
à se développer petit à petit bravant les difficultés, les «peaux de
bananes» et les entraves d’ordre financier. «C’est un tout petit projet
qui n’avait pas une assise financière solide, un petit noyau de production ;
sans aucune garantie, tout a été difficile, aujourd’hui, c’est un succès, ça
marche et l’expérience reste toujours passionnante».
Dans les années 80, les gens respectaient l’effort et le travail,
l’environnement de Raoudha Ben Saber était jonché d’industriels, c’était un
monde d’hommes. Beaucoup lui exprimaient leur sympathie et offraient de
l’aider tant son apparence frêle ne laissait en rien deviner la force qui
l’animait : «J’étais très jeune et je sentais qu’ils voulaient me
soutenir, il y en avait évidemment qui n’appréciaient pas». Ses plus
grosses difficultés se situaient …au niveau des banques, on s’en doutait…
Elle avait résisté. «Les banques ont vraiment compliqué ma vie, j’ai
commencé avec 1.000 dinars comme facilité de caisse et j’étais tout le temps
obligée de prouver à quel point j’étais solvable». A son habitude, elle
n’a pas baissé les bras et s’est imposée par les performances de son
entreprise. Il a fallu une dizaine d’années pour atteindre la vitesse de
croisière, le résultat en valait la peine : «Vous savez, je me considère
comme une véritable chef d’entreprise, j’ai commencé en bas de l’échelle, au
sous-sol même, c’est grâce à ma persévérance que j’ai eu le dessus».
Dans une société patriarcale, on a toujours tendance à exiger plus des
femmes plus que des hommes, même si la Tunisie est réputée pour être le pays
de la liberté et de l’égalité pour la femme. «Ce n’est pas facile, la
femme s’impose très difficilement. On doit toujours éviter les attitudes
hostiles, finement, de manière très subtile pour ne pas se faire des ennemis».
Raoudha a trouvé la riposte en se réfugiant à l’UTICA. En 1987, elle
avait besoin de certaines informations sur le secteur du plastique, elle
était allée à l’UTICA . Elle n’en est plus ressortie. Et depuis «on n’a
pas cessé de m’aider et de m’encourager». Son adhésion à l’UTICA lui a
permis de découvrir les milieux des affaires. Elle a participé à des foires
et a suivi un parcours qu’elle juge formidable au sein de la centrale
patronale.
«Les femmes chefs d’entreprise ne vont pas directement dans les
structures d’encadrement adéquates, c’est-à-dire les chambres syndicales
professionnelles parce que la centrale patronale est constituée de chambres
syndicales sectorielles, spécialisées, d’unions régionales … Je crois que
les femmes plutôt timides et ne vont pas s’imposer en tant qu’entrepreneurs
dans un secteur précis. Et c’est pour cela qu’en 1990, si Hédi Djilani a
pris l’initiative de créer la Chambre syndicale des femmes chefs
d’entreprise pour leur offrir un espace où elles peuvent se retrouver. C’est
une chambre multisectorielle, je faisais partie du premier noyau et je suis
membre fondateur». Elue 1ère femme présidente de l’UTICA à l’Ariana et
de ses 45 chambres syndicales dans différents secteurs, Raoudha a mis sa
patte dans la gestion de la représentation régionale de la centrale
patronale. «J’assume cette responsabilité alors que ma propre entreprise
est certifiée ISO et classée parmi les 100 premières entreprises à avoir
assuré une mise à niveau, a atteint sa maturité et a entamé la phase du
développement». Son chef-d’œuvre ? L’édition d’un annuaire économique où
figurent toutes les entreprises de la région par secteur. Il paraîtra
bientôt.
La chance n’y est pour rien
Raoudha qui a dû arracher sa place à la sueur du front, qui a su gagner
la confiance et le respect des gens, par son sérieux, son travail, son
intégrité morale, ne doit rien à la chance, elle a forcé le destin,
contourné les obstacles pour arriver là où elle est. Chef d’une entreprise
en pleine expansion, élue à la tête de l’Union régionale du patronat, elle
est toujours fière de ses acquis : «Je suis fière de mon entreprise, je
suis fière de mon expérience, je suis fière du fait que des entreprises
beaucoup plus grandes que moi reprennent mon savoir-faire et mes produits,
fière de récupérer des clients qui s’en vont pour une raison ou une autre et
reviennent par ce qu’ils se rendent compte que la qualité de mes produits
est meilleure, je suis fière d’avoir été choisie pour présider l’Union
régionale de l’Ariana».
Plus de Vingt ans après la fondation de Plastiform, elle reste branchée
sur la réalité commerciale du marché tunisien, ne croit pas en l’acquis et
est toujours en quête d’innovations. Les nouveaux concepts sont faits pour
être appliqués. Dans le monde des affaires, Raoudha représente le parfait
exemple d’une «self-made business woman» qui n’a jamais trébuché devant
l’adversité.
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