La participation de la femme tunisienne à la vie économique en
Tunisie, a connu un développement rapide au cours des trente dernières années. A
titre d’exemple, la chambre des femmes chefs d’entreprises qui comptait au début
de sa création moins de 200 adhérentes, en compte aujourd’hui plus de 18 000
toutes catégories confondues.
De celles qui gèrent des entreprises employant plus d’une centaine de personnes
à celles qui ont des micro-entreprises de deux personnes.
Le poids de la femme dans le tissus entrepreneurial national est de plus en plus
important « Nous pesons quelque centaines de millions de dinars » affirmait
récemment Leila Khaïat, vice-présidente à la centrale patronale.
Les femmes sont très présentes dans secteur des textiles, des services et
aujourd’hui, elles s’intéressent de plus en plus aux nouvelles technologies de
l’information.
Pourtant, en 1984, elles représentaient uniquement 0,4% du nombre total des
patrons, elles étaient pratiquement inexistantes, comparées aux hommes.
Grâce à la relance économique du pays à la fin des années 80, à une
libéralisation économique de plus en plus affirmée et des mesures incitatives
comprenant des lignes de financement mises en place par l’Etat en direction des
jeunes promoteurs, les femmes ont pu intégrer la sphère productive. Un grand
nombre d’entre elles sont des universitaires. Les fréquentent de plus en plus
les écoles supérieures, instituts et universités. C’était le moyen le plus sûr
pour développer un leadership féminin.
Les débuts des femmes dans l’entrepreneuriat ont été assez difficiles. Une étude
publiée en 1998 par l’Organisation internationale du Travail cite l’exemple
d’une femme entrepreneur à Sfax, gérant une entreprise de textile occupant une
quarantaine d’employés. Lors de l’obtention d’un crédit, cette femme s’est vue
opposer un refus de la part du chef d’agence bancaire, qui a réclamé une
garantie de son mari. Etant veuve, cette entrepreneure s’est vue également
requise de fournir une garantie paternelle, bien qu’elle soit quadragénaire. «
L’attitude du responsable de la banque confine à l’arbitraire, d’autant qu’il
n’existe aucune disposition juridique prévoyant ce type de garantie » commente
l’étude. De tels exemples sont légion, Raoudha Ben Saber, présidente actuelle de
l’Union régionale de l’Ariana (UTICA) nous parlait récemment des difficultés
auxquelles elle a dû faire face, alors que jeune promotrice à la fin des années
80, elle essayait de développer son entreprises, les banques étaient de la
partie, sans oublier la concurrence déloyale.
L’accès au crédit était difficile, il l’est encore. Doublement s’agissant des
femmes qui ne possèdent pas de garanties propres au démarrage de leurs projets.
Les hommes en souffrent aussi. Mais il n’y a pas que cela, on ne parle pas assez
des difficultés inhérentes à l’environnement sociao-culturel de la femme qui ne
lui accorde pas autant de liberté que l’homme en ce qui concerne les activités
para-professionnelles, importantes pour le développement des affaires et de la
dimension relationnelle. Les femmes sont « soumises aux contraintes de la
concurrence et privées de certaines pratiques sociales qui leur sont défendues,
telles que celles qui consistent à fréquenter des clubs ou des restaurants, afin
de recueillir des informations sur l’évolution des prix, des marchés et plus
globalement sur l’état du secteur. Ce capital de relations sociales n’est, en
effet, permis que dans l’enceinte de l’entreprise. Or, certains marchés ou
affaires se réalisent, parfois, lors d’un cocktail ou d’un dîner d’affaires »
(1)..
Six facteurs pour réussir
Selon des études publiées par l’Ecole Nationale de l’Administration publique au
Canada sur les femmes cadres et dans laquelle la Tunisie faisait partie des cas
cités, « il existe six facteurs de réussite liés au développement de bonnes
relations avec les hommes dans un milieu dominé par les hommes (voir aussi
Ragins, Townsend et Mattis, 1998). Ces aptitudes s’avèrent nécessaires pour
faire tomber les préjugés selon lesquels les femmes sont faibles, peu disposées
à prendre des risques et ont peur du succès. Malheureusement, la
définition stricte de ce que sont les comportements acceptables pour une femme
renferme des contradictions. Les plus évidentes sont : « prends des risques,
mais réussis à tout coup », « sois rigoureuse, mais conciliante », « sois
ambitieuse, mais ne t’attends pas à être traitée sur un pied d’égalité » et «
accepte des responsabilités, mais sois réceptive à l’avis des autres »
Pour réussir à s’imposer dans un milieu traditionnellement réservé aux hommes,
elles déploient plus d’efforts pour s’intégrer et s’imposer. En Tunisie, la
plupart des recherches précédemment menées, mettent l’accent sur le fait que les
femmes qui réussissent sont dans un rapport d’adversité, d’opposition et de
lutte(2).
D’où l’importance d’une structure d’encadrement.
Les femmes de l’UTICA
Non. Le « plafond de verre (3) » n’existe pas à l’UTICA ou du moins, c’est ce
que semble indiquer différents indices que nous pouvons observer à travers
l’accès des femmes entrepreneures aux postes de responsabilités au sein de la
centrale syndicale. Même si l’on ne peut pas affirmer ou infirmer si
l’atmosphère qui y règne est des plus encourageantes pour Mesdames les chefs
d’entreprises adhérentes, ne disposant pas de données scientifiques issues d’une
étude.
Hédi Djilani, affirmait récemment qu’au sein de la centrale patronale « La
représentativité féminine n’est pas une affaire de figuration. Les femmes
exercent des responsabilités effectives et agissent en partenaire qui croit en
sa mission et son rôle vital dans la marche du pays sur la voie du progrès ».
Les femmes sont en effet présentes dans toutes les instances dirigeantes au
niveau des structures de l’UTICA et des représentations nationales qu’au niveau
des régions. Dans quelle mesure et à quelle proportion ? La question mérite
d’être posée. En tout cas, il est certain, que du chemin reste à parcourir pour
que la femme arrive à la parité au niveau de notre centrale patronale.
En attendant, c’est au sein de la Chambre Nationale des Femmes Chefs
d’Entreprises (CNFCE) créée en 1990 que les femmes entrepreneurs trouvent
refuge. La création de la Chambre sous l’impulsion de l’UTICA avait pour but de
renforcer la communication entre et sur les femmes entrepreneurs, de développer
leurs performances, d’identifier de nouvelles opportunités d’exportation et
d’échanges commerciaux, de consolider le réseau en recrutant de nouvelles
adhérentes et de développer les relations avec les organisations internationales
homologues.
Depuis sa création la CNFCE a réussi à briser l’isolement des femmes
entrepreneures et à rassembler leurs énergies. L’entrepreneuriat féminin a fait
pas mal de chemin depuis et a franchi pas mal de barrières.
La CNFCE couvre tout le territoire tunisien, du Nord au Sud, elle est
représentée dans 23 régions de la Tunisie par des bureaux régionaux dirigés
chacun par un bureau exécutif régional regroupant 15 femmes chefs d’entreprises
élues.
Rayonnement à l’international
La CNFCE est depuis 1992 membre actif de l’Association Mondiale des Femmes Chefs
d’Entreprises (FCEM), a assuré en 1995 la vice-présidence du RASEF, est membre
fondateur du conseil des femmes chefs d’ entreprises Arabes (CABW) en 1999, et
membre fondateur de l’ association Maghrébine des Femmes chefs d’ entreprises (AMFCE).
En 2007 la CNFCE a participé à la création du réseau des femmes d’affaires MENA-BWN.
Parmi les programmes mis en place par la chambre, des sessions de formation pour
renforcer les capacités de la femme chef d’entreprise (FCE) et d’autres sur le
développement de l’entreprenariat sans oublier le programme de développement des
exportations mis en place par la CNFCE en partenariat avec le FAMEX.
En dépit de l’ émancipation de la femme en Tunisie et tous les droits dont elle
joui, il se trouve qu’ il y a encore beaucoup à faire pour développer la
capacité de la FCE, et plus précisément dans les régions et ce en matière de
formation, d’encadrement et de réseautage mais surtout en terme de
sensibilisation sur le plan social par rapport à son rôle actif dans le
développement économique.
Les femmes pourraient se révéler de meilleurs leaders dans les entreprises
d’aujourd’hui. C’est une étude réalisée par le cabinet américain Hudson, un des
leaders du conseil en recrutement et en ressources humaines, qui le certifie.
Dans la réalité tunisienne, les femmes entrepreneures, se battent
quotidiennement pour se frayer un chemin sur une voie qui n’est pas toujours
aisée à traverser. Elles résistent, s’imposent par leurs talents et leurs
professionnalisme tout en essayent de préserver cet équilibre fragile entre
leurs vies professionnelles et leurs vies familiales. Parce que concilier leurs
ambitions professionnelles avec leurs volontés de réussir leurs vies de mères et
de femmes n’est pas aisé. Quand elles arrivent à bon port, quand elles
réussissent à hisser leurs entreprises à l’excellence, elles l’ont amplement
mérité. On parle aujourd’hui de l’émergence d’un modèle féminin dans la gestion
de l’entreprise, parce qu’elles sont ouvertes d’esprit, qu’elles ont le sens du
consensus et qu’elles sont ouvertes au changement. Plutôt notre société le
réalisera et le reconnaîtra, mieux ça sera pour le pays. Aucune nation au monde
ne peut réaliser un développement équilibré et des performances économiques sans
une parité homme/femme.
La participation de la femme à la vie économique est aujourd’hui, une nécessité.
En attendant, c’est pour quand une Laurence Parisot (4) tunisienne ?
Les femmes de l’UTICA :
Leila Mabrouk Khaïat : vice-présidente chargée des relations avec les
institutions financières ;
Zohra Driss : vice-présidente chargée des relations avec les pays de l’Europe
5+5 et de l’environnement ;
Wided Bouchammaoui : vice-présidente chargée des relations avec l’Europe de
l’Est ;
Najoua Fhima : vice-présidente chargée de la formation professionnelle ;
Hayet Laouini : présidente de la Fédération du Transport ;
Raoudha Ben Saber : présidente de l’Union régionale de l’Ariana ;
Faouzia Slama : présidente du CNFCE ;
Monia Jguirim : présidente du CJD ;
Nadia Majoul : présidente de la chambre syndicale nationale des Antiquaires
Zohra Ben Mansour : présidente de la Chambre du Cuir et Chaussure
(1)Etude réalisée par l’Organisation internationale du travail en 1998
(2) Ouattara (2007, p. 56-57) dans son étude sur l’entrepreneuriat
(3)Le « plafond de verre » est une métaphore qui désigne une forme de
discrimination envers les femmes qui visent les postes les plus hauts placés de
l’organisation à cause de préjugés et d’idées préconçues.
(4) Laurence Parisot : présidente du MEDEF en France
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