Tunisie-Consommation : La restauration sera-t-elle touchée par la crise?

Il n’y a vraiment pas de quoi tirer la sonnette d’alarme, la
situation générale n’étant pas inquiétante. Pourtant, dans les restaurants de
Tunis, certaines habitudes ont dû changer.

fast-food1.jpgIl
y a un phénomène nouveau et tout à fait inhabituel qui ne peut ne pas
attirer l’attention ; on le croyait le propre des artisans du Souk de la rue
Jemaâ Zitouna qui –ces derniers– invitent les touristes (dans toutes les
langues possibles) à entrer et admirer les articles. De nos jours, ce sont
les garçons des restaurants qui, sur le seuil de leurs établissements, vous
souhaitent la bienvenue et vous invitent à entrer pour apprécier leur
cuisine. Du jamais vu autrefois (ou très rarement). C’est même bien le
contraire. Avant, à votre accès au restaurant, le chef des lieux vous jauge
de la tête aux pieds, vous juge selon votre mise vestimentaire et serait
même capable dans certains cas de vous dire très poliment : «Pardon, mais
toutes les tables sont réservées». C’était la période faste des restaurants
qui se permettaient de sélectionner leurs clients. Aujourd’hui, vous êtes
toujours le bienvenu malgré votre jean et vos espadrilles. A cette nouvelle
attitude laxiste, deux explications possibles.

D’abord le foisonnement ahurissant des bouis-bouis et gargotes de tous
genres. Un seul exemple suffit : dans la rue Ibn Khaldoun, on compte au
moins une dizaine de gargotes alignées l’une après l’autre. C’est,
évidemment, le règne du fast-food avec son corollaire tunisien fait de
Chawarma, poulet rôti, lablabi, plat tunisien, ojja et toutes sortes de
sandwich. Un commerce très juteux qui a frappé d’un bémol très sérieux la
superbe des restaurateurs. Du coup, la concurrence s’est déclarée entre les
restaurants eux-mêmes. (Bien sûr, on parle ici des restaurants plus ou
moins populaires, on ne parle pas des restaurants chics). Ainsi est née il
y a environ deux décades la formule du ‘‘Menu au prix unique’’. L’on était
parti –pour une entrée, un plat principal ou de consistance comme on dit,
et un dessert– avec des prix oscillant entre 9 à 15 dinars. La formule
s’est tant et si bien généralisée qu’il existe aujourd’hui dans les
environs de la rue de Marseille un restaurant vous proposant le menu à…
5,500 dinars.

Autre secousse –mais qui profite au client–, l’on ne tolérait jamais
autrefois de servir un seul plat à la carte, mais obligatoirement l’entrée,
la suite et le dessert. Aujourd’hui, vous commandez un seul plat et le chef
vous sourit de toutes ses dents. Pis : dans les restaurants où l’on sert de
l’alcool, jamais, au grand jamais vous ne pouviez, avant, commander une
boisson alcoolisée sans avoir commandé au moins un plat. Aujourd’hui, dans
certains restaurants ayant même pignon sur rue, vous pouvez apporter un
petit paquet d’amandes ou de pois chiche, boire à volonté et même profiter
de la Kémia maison (amuse-gueule). Encore un petit détail : certains
établissements n’acceptaient pas autrefois les tickets (banques ou autres) ;
aujourd’hui, la majorité des restaurants placardent sur l’entrée : «Nous
acceptons les tickets…».

A l’évidence, certaines habitudes ou principes ont été bousculés. Et
c’est tout à fait normal : pourquoi jouer au sélect et à l’exigeant alors
que les clients se font de plus en plus clairsemés ?

Où sont les femmes ?

On ne s’autorise pas, ici, de parler de la sécurité ou de l’insécurité de
l’ambiance nocturne, mais le constat est flagrant : on ne voit plus de
couples ou familles s’offrir un dîner, le soir, dans quelque restaurant que
ce soit (sauf peut-être dans les hôtels 5 Etoiles). Une habitude qui s’est
peu à peu émoussée pour ne revenir sur la scène qu’en été dans la banlieue
nord. Cela veut dire que Tunis, le soir, est devenu la capitale des hommes.
Et c’est assez curieux.

Le salut par l’alcool

Il y a une vérité qu’il serait mesquin de passer sous silence : seul
l’alcool fait encore bouger les choses. On va même risquer une extrapolation
: sans l’alcool, tous les restaurants de Tunis pourront fermer boutique.
Inévitablement. D’ailleurs, l’alcool dans les restaurants devient de plus en
plus cher. Mais il ne faudrait pas être grand économiste pour le comprendre
: les restaurateurs, en raison d’une cuisine qui ne fonctionne plus à pleins
tubes le soir, se rabattent sur l’alcool pour renflouer leurs caisses. Un
abus, oui, mais qui s’explique quelque part.

Le marché en demi-teinte

Souvenez-vous : autrefois, à peine vous êtes attablé que le garçon vient
vers vous en poussant un chariot à poissons, question de vous laisser tenter
par telle ou telle espèce. Plus jamais ça. Ou très rarement. Au mieux des
cas dans le meilleur des restaurants, on vous propose tout juste deux sortes
de poissons. Trois, au maximum. Mais là, c’est la faute aux prix devenus
franchement rédhibitoires. Quand on vous facture à… 7 dinars des spaghettis
aux fruits de mer, à combien voulez-vous qu’on vous facture des rougets
super ? Attendez : vous devriez tourner dans tous les sens votre fourchette
dans les spaghettis aux fruits de mer pour tomber sur quatre ou cinq
malheureuses chevrettes. A 7 dinars, SVP !! Car on semble oublier une chose
: ce ne sont pas les hommes d’affaires qui fréquentent lesdits restaurants
plus ou moins populaires, mais bien les fonctionnaires moyens.

Quoi qu’il en soit, la bouffe, le soir, ne marche pas vraiment. Ce qui a
fait que certains restaurateurs, au bon matin, font le marché en demi-teinte
: juste le nécessaire pour la carte (ou le menu) du jour, et très peu de
choses pour le soir.

Quelle musique ?

Jusqu’à il y a moins d’un an, la plupart des restaurants (même ceux dits
chics) employaient de petites troupes de musique avec même, pour quelques
uns, une danseuse du ventre. La toute première à être vite rentrée chez elle
est justement la danseuse. Plus jamais de spectacle. Sont restées dans
quelques restaurants de petites troupes. Elles étaient, selon les
établissements, au nombre de quatre, généralement. Et elles travaillaient,
le soir, six jours sur sept. Petit à petit, elles se sont vu prier de ne se
produire que le week-end (jeudi, vendredi, samedi). Puis, elles se sont vu
limiter à trois. Ensuite à deux. Et au final, il n’en est plus resté qu’un.
Il se sent tellement orphelin, le pauvre, qu’il n’arrive plus à chanter
correctement. Un restaurateur nous dit : «Je vois tous les soirs mes
employés la peur dans le ventre. Bien sûr, je ne vais licencier personne.
Mais de là à faire appel à des musiciens, non, franchement. Quelle musique ?
De la musique pour deux ou trois tables ? Allons donc… ».

Crise ou pas crise ?

Encore une fois, nous nous empêchons, ici, de parler de véritable crise.
Aux Etats-Unis et en Europe, nous apprenons presque tous les jours que des
entreprises ferment çà et là, alors que d’autres remercient par centaines
leurs employés. Ce n’est pas le cas de la Tunisie. Et nous n’irons pas, non
plus, jusqu’à dire que notre pays est à l’abri de la crise qui secoue le
monde. Aux experts de nous éclairer.

Mais tout de même, comment expliquer le marasme qui pèse sur nombre de
restaurants ? Pourtant, il y a un qui se montre ferme sur la question. C’est
un chauffeur de taxi : «Bien sûr qu’il y a crise. Mais regardez donc !…
Regardez tous ces taxis qui sont en rade le soir sans parvenir à dénicher un
client. En tout cas, une chose est sûre : la crise sévit dans les esprits.
Les Tunisiens ont peur… ».