La crise économique que connaît le monde ne cesse de susciter
les débats portant sur ses origines, son étendue, son ampleur et surtout ses
répercussions. La preuve en est que, après avoir changé de terrain, la crise a
bel et bien attaqué la sphère économique, bouleversant ainsi toutes les
convictions, même les plus optimistes, sur une prochaine reprise de l’activité
économique. Pis, les plans de relance successifs préconisés par les grandes
économies n’arrivent pas à évincer l’idée de la catastrophe économique
imminente.
Il y a un consensus général sur le fait que la crise financière et économique
est la plus grave depuis la grande dépression n’en finit pas d’empirer. Un
clivage de positions est remarqué de part des gouvernements et des économistes,
où les plus optimistes prévoient une accalmie dès la fin 2009, et les autres qui
ont la foi qu’elle est une décennie perdue à la japonaise. Entre le chaud et le
froid, remettre l’économie internationale à flot demeure la question la plus
primordiale.
Etant donné l’importance du sujet, l’Association des parlementaires
tunisiens a organisé, au siège de la Chambre de député à Bardo, une
conférence nationale sur la crise financière internationale et ses
répercussions. Un sujet sensible, compte tenu le nombre important
d’interrogations sur l’état de lieux en Tunisie, d’autant plus que les
interventions ont été assurées par M. Taoufik Baccar, gouverneur de la
Banque centrale, M. Ferid Ben Bouzid, fondateur de l’IMBANK, M. Ahmed El
Karam, directeur général de l’Amen Bank, et M. Mohamed Ridha Chalghoum,
président du Conseil du Marché Financier.
Crise de confiance au départ… crise économique internationale à la fin
Au départ la crise était américaine. La politique monétaire de la FED entre
2001 et 2006, alors dirigée par Alan Greenspan, est responsable d’un fort
surplus mondial de liquidités, qui a provoqué des bulles sur le prix des
actifs (immobilier, Bourse, etc.), du surinvestissement dans certains
domaines, et favorisé l’endettement des ménages américains au-delà de
niveaux raisonnables. En d’autres termes, la crise des «subprimes» débute
durant l’été de 2007 ; elle est liée à des défaillances en masse sur des
prêts hypothécaires accordés aux ménages américains et entraîne des
difficultés majeures des institutions financières américaines.
«La cause principale de la crise financière actuelle est la prolifération
des crédits hypothécaires dits “subprimes”, accordés à des taux d’intérêt
variables au cours des dernières années par les banques américaines à une
catégorie de clientèle à risque élevé, à un moment où les taux d’intérêt
étaient faibles. Ces prêts ont été transformés par la suite en titres sur le
marché financier. Dès le relèvement des taux directeurs de la Fed, pour des
raisons de politique monétaire, un pan entier de cette clientèle s’est
trouvé dans l’incapacité de rembourser», a précisé M. Taoufik Baccar. En
outre, il a souligné que le double mouvement de remontée des taux d’intérêt
directeurs de la Fed (qui ont atteint 5,25% en juin 2006) et de baisse des
prix de l’immobilier aux Etats-Unis (depuis 2006) a conduit à des défauts de
paiement de nombreux emprunteurs, et partant à la mise en situation de
faillite ou de quasi-faillite des établissements spécialisés en crédits
hypothécaires à risque.
D’une crise financière locale rattachée à un secteur dont la taille est
proportionnellement limitée au départ, selon M. Baccar, elle s’est propagée
comme une épidémie pour devenir une crise financière économique et
Internationale inquiétante.
Les étapes de la crise…la contagion
Le gouverneur de la BCT a rappelé les trois étapes de la crise économique.
La première étape avait une dimension financière, et elle a commencé par la
crise des «subprimes» durant l’été 2007. Elle s’est propagée à travers des
produits financiers composites et non transparents, ce qui a induit la chute
des liquidités et la paralysie du marché monétaire à la suite de la perte de
la confiance entre les intervenants économiques, y compris les banques, et
surtout après la faillite de Lehman Brothers ou Bear Stearns, le rachat de
Merrill Lynch par Bank of America et les difficultés encore vécues par
d’autres institutions financières. De telles difficultés qui ont été
exportées vers les institutions financières européennes, ont failli induire
une crise systémique globale si les autorités monétaires et financières
n’avaient pas intervenu à temps.
Les dernières données montrent que les pertes pourraient frôler le seuil de
2.200 milliards de dollars et que les plans de relance nécessitent encore
l’injection de sommes fabuleuses pour les années 2009 et 2010.
La deuxième étape a commencé durant le dernier trimestre de 2008, et a
affecté tous les marchés financiers et monétaires pour camper dans la sphère
réelle surtout avec la paralysie du mouvement de financement, appelé «Credit
Crunch».
La troisième phase, la plus dangereuse, a été contagieuse, puisque même les
pays émergents n’ont pas été épargnés par les retombés de la crise. D’après
M. Baccar, ceci est dû à l’influence de l’interactivité entre la sphère
financière et la sphère réelle. Ses répercussions deviennent plus
dramatiques avec la vague des licenciements et la baisse de plusieurs
indicateurs économiques.
Un futur sombre…
La détérioration de la situation sur les marchés financiers internationaux,
la propagation de cette crise au système bancaire européen et la persistance
d’un climat de profonde incertitude, donnent à cette crise un aspect sans
précédent.
Par ailleurs, les dernières prévisions du FMI stipulent que la croissance
économique internationale sera négative en 2009, avec -3% pour l’Union
européenne, -2.5% pour les Etats-Unis d’Amérique et -5% pour le Japon.
«Les réels dangers résident dans l’éventuelle régression au niveau de la
croissance économique et les prix, c’est-à-dire une situation de déflation à
l’instar de la décennie perdue à la japonaise. Pour pallier à cette menace
imminente, plusieurs plans de relance ont été entamés visant essentiellement
l’injection de liquidité, des réductions successives au niveau des taux
d’intérêts directeurs, la garantie des transactions interbancaires et la
nationalisation partielle de certaines institutions financières», a précisé
M. Baccar.
D’autres mesures d’ordre économique ont été préconisées, ici et là, tels que
l’adoption de divers programmes d’appui à l’économie, ou de programmes de
soutien orientés vers des secteurs bien déterminés (l’industrie automobile
et ce pour une enveloppe de 3.000 milliards de dollars), sans un grand
succès.
Plusieurs experts expriment leurs inquiétudes à l’égard des mesures
protectionnistes préconisées par un certain nombre de gouvernements. Le
protectionnisme sous sa nouvelle enveloppe s’est traduit, selon M. Baccar,
par des mesures touchant les secteurs commercial et financier, des
incitations aux investisseurs locaux pour ne pas délocaliser leurs unités de
production, des réductions compétitives du taux de change de certaines
devises et même les encouragements aux immigrés pour ne pas transférer leurs
économies à leurs pays d’origine. De telles dispositions peuvent impacter
tout le tissu de libre-échange et mettre en péril tout le système mondial.
Et la Tunisie ?!
En ce qui concerne la Tunisie, sur le plan macroéconomique, et dans une
perspective à moyen et long termes, il s’agit, selon lui, de continuer les
programmes d’amélioration de la compétitivité de l’économie, de
rationalisation des dépenses et de maîtrise des charges afin d’essayer de
remplacer l’impact de la récession mondiale par des gains de parts de
marché.
«Dès les premières prémisses de la crise financière et face à la gravité de
la situation à l’échelle internationale et pour parer à tout risque pouvant
affecter le système bancaire national et, partant, l’économie tunisienne
dans son ensemble, une cellule de veille sous la responsabilité de la Banque
centrale de Tunisie a été instituée, sur instructions du président de la
République, pour suivre de très près l’évolution de la situation sur les
marchés financiers internationaux. L’objectif étant de prendre à temps les
dispositions qui s’imposent pour préserver les acquis de l’économie
tunisienne», a-t-il souligné.
Ce contexte a généré un ensemble de mesures présidentielles qui visent à
soutenir l’entreprise afin de dépasser la crise, lors du conseil ministériel
du 23 décembre 2008, des mesures de deux sortes, conjoncturelles et
structurelles. Les premières touchent les domaines financier, social et le
soutien aux exportations, alors que les secondes visent à améliorer le
climat des affaires et à renforcer la compétitivité des entreprises.
Ainsi et afin d’assurer une réaction optimale face à la crise et à ses
effets éventuels, une cellule d’assistance et d’information a été mise en
place au sein du ministère au profit des entrepreneurs.
Outre ces mesures, la conjoncture actuelle impose un redéploiement des
efforts en vue de parier sur l’amélioration de la productivité et la
diversification de la trame économique par la consolidation des
potentialités de l’exportation.
La conclusion du gouverneur de la BCT a de quoi rassurer le monde des
affaires, d’abord quand il invite à miser sur le rehaussement du volume des
échanges bilatéraux, voire multilatéraux et ce par le renforcement des
partenariats au niveau des pays du Maghreb et les pays arabes, mais ensuite
lorsqu’il affirme “la nécessité de profiter de l’image et de la crédibilité
de la Tunisie dans les milieux internationaux afin de propulser le cycle de
développement”