Dans un discours intitulé «Leçons de la crise. Réflexions d’un banquier
central sur certains enjeux de politique comptable» à l’occasion de la
Rencontre européenne de la profession comptable à la fin de l’année 2008,
Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France déclarait : « À bien des
égards, la crise actuelle est une crise de valorisation…. l’incertitude
relative à la “véritable” valeur d’instruments financiers complexes a
ébranlé la confiance des marchés mondiaux, accru l’incertitude quant au
risque de contrepartie et entraîné une contagion entre classes d’actifs,
marchés financiers et zones économiques. La crise a souligné que la
valorisation des instruments financiers n’est pas seulement une question
comptable». Pour Christian Noyer, cette crise soulève des enjeux de mesure
et de gestion du risque dans les institutions financières des enjeux
prudentiels. Il estime importante l’évolution vers la comptabilisation des
instruments financiers en «juste valeur».
De passage à Tunis, à l’occasion de la célébration du cinquantième
anniversaire de la Banque centrale, Christian Noyer s’est plié de bonne
grâce à notre jeu de questions/réponses à propos d’une thématique qui reste
d’actualité : celle de la crise financière et son impact sur le système
bancaire.
Webmanagercenter
: Vous avez déclaré, il y a quelques mois que le système financier français
était solide et qu’il pouvait faire face à la crise. Est-ce toujours le cas
?
Christian Noyer : Oui, c’est toujours le cas. Si je mets à part le cas de
Dexia qui n’est pas une banque française mais une banque
franco-belgo-luxembourgeoise dont le centre était à Bruxelles et qui a été
capitalisée plus fortement par les différents gouvernements. Toutes les
banques françaises ont des fonds propres tout à fait suffisants et ont une
capacité avec leurs bénéfices naturels à absorber les pertes venant des
difficultés américaines et des actifs à problèmes en provenance titrisation
des Etats-Unis. L’aide offerte par le gouvernement pour ce qui est du
complément de capital était uniquement pour leur permettre de continuer Ã
assurer leurs activités de crédits dans une période où les marchés
fournissent difficilement des fonds propres.
C’est dû à une perte de confiance ?
Je ne crois pas que c’est dû à une perte de confiance. Je pense tout
simplement que lorsqu’une banque veut augmenter ses activités de crédits et
son bilan, elle a besoin d’augmenter en parallèle ses fonds propres. Si le
marché ne permet pas de recueillir des fonds propres complémentaires, à ce
moment là , c’est aux Etats d’intervenir en apportant un petit complément.
Juste après le déclenchement de la crise, on a remarqué que certaines
banques françaises se replient sur elles-mêmes, il y a eu baisse du crédit.
Ceci s’explique. D’une part, dans une période économique difficile où le
risque de défaillance d’entreprises augmente, les banques deviennent un peu
plus frileuses et hésitantes. Et puis, deuxièmement, les difficultés de
circulation de la liquidité ont été réelles. En France par exemple, les
SICAV monétaires sont un grand apporteur de liquidités. D’une façon
générale, ces instruments de marché en apportaient beaucoup aux banques et
souscrivaient des certificats de dépôt à trois et six mois. Ils étaient un
fournisseur de refinancement des Banques centrales. Or, il se trouve
qu’elles ont commencé à raccourcir leurs prêts et leurs dépôts et s’orienter
vers les bons du trésor. Par conséquent, il y a eu incontestablement des
tensions par rapport aux liquidités. C’est pour cela que les Banques
centrales de l’Euro-système ont cherché à contrecarrer ces évolutions
défavorables en améliorant le financement des banques. C’est pour cela
également qu’elles sont progressivement allées vers de plus en plus de
refinancement des banques à trois mois et à six mois au lieu de huit jours.
Lorsque la crise s’est aggravée en septembre 2008, elles ont finalement
décidé de passer à des opérations de refinancement à taux fixe et à montant
illimité pour briser la psychose un peu négative des banques.
En fait, cette ruée vers l’acquisition des fonds souverains de par le
monde, ne serait-elle pas dangereuse ?
Je pense qu’on a vécu effectivement une course à la montée des fonds
propres avant d’avoir fait la clarté sur les bilans. C’est ce qui est arrivé
dans quelques pays. Il faut reconnaître que la ruée vers les fonds
souverains a été le fait des banques d’investissement américaines avant
qu’elles n’exposent toutes les difficultés, très graves du reste, qu’elles
avaient. C’était sans doute une mauvaise expérience pour certains fonds
souverains, les banques anglaises et les banques suisses. Ce sont les pays
où les systèmes bancaires ont été les plus exposés et les plus affectés. Ils
ont souffert le plus. Je crois que les fonds souverains doivent être
sollicités au même titre que tous les autres investisseurs lorsqu’il y a de
bonnes opérations de complément de capital à faire.
Pour ce qui est du développement des banques, ce que nous voyons
principalement en Europe continentale, c’est que celles-ci, qu’elles soient
situées en France ou dans d’autres pays européens proches de la
Méditerranée, sont suffisamment capitalisées, mais qu’elles ne peuvent plus
faire appel aux marchés pour augmenter leurs fonds propres et accompagner
une politique de crédit. Le risque de rétraction du crédit étant assez fort,
il est utile que les investisseurs privés, qui souhaitent le faire, s’en
acquittent, en attendant que les gouvernements apportent un petit complément
de fonds propres.
Le phénomène de psychose persiste quand même. Sur la place de Tunis, nous
entendons dire que les banques françaises qui ont des participations dans
des banques tunisiennes ont appelé à plus de prudence quant à l’octroi des
crédits. Si cela se passe de cette manière à Tunis, on présume qu’en France
cela doit être plus accentué. Y a-t-il des mesures tendant à rassurer les
banques ?
Tout d’abord, il faut savoir que toutes les banques qui étaient engagées
dans des activités internationales ont subi les soubresauts de la crise même
si c’est très limité par rapport à leurs partenaires outre Atlantique.
A combien évalue t-on les pertes subies par les banques ?
Pour les grands réseaux bancaires, ça se chiffre à quelques milliards
d’euros chacune mais c’est un montant qui est tout à fait absorbable dans
les profits de l’année.
Ces quelques milliards d’euros, c’est combien plus précisément ?
Je n’ai pas des chiffres précis en tête mais pour vous donner une idée,
les pertes subies par les grands réseaux bancaires sont nettement inférieurs
aux bénéfices de l’année. Par exemple, au premier semestre de l’année 2008,
malgré les pertes qu’elles ont inscrites dans leurs résultats, les banques
françaises ont gagné, ensemble, 7 milliards d’euros. Donc, cela ne les
empêche pas quand même de vivre et de bien se développer mais ça les rend
beaucoup plus craintives.
Deuxièmement, on arrive dans une période de ralentissement économique, en
Europe c’est déjà très prononcée.
On accuse justement la Banque centrale européenne d’être à l’origine de
ce ralentissement économique.
A tort. Le ralentissement économique est dû, à mon avis, à trois raisons.
La première est que l’économie américaine a été la plus impactée par la
crise financière et par la crise immobilière. Les ménages ont arrêté
d’acheter des biens immobiliers, et donc cela entraîné un ralentissement
très fort de l’économie américaine et du coup de toutes les économies qui
commercent avec les Etats unis. C’est-Ã -dire le monde entier.
La seconde, c’est l’inflation, comme toujours quand on a une flambée des
prix de l’énergie, des matières premières et particulièrement des matières
premières agricoles, on a une perte du pouvoir d’achat. Le consommateur se
rétracte. On l’a remarqué dans le passé en France et en Allemagne où c’est
très fort. Lorsque l’inflation augmente, le pouvoir d’achat régresse.
La troisième raison, c’est la crise financière en elle-même en
progression depuis le mois de septembre2008, et donc, la Banque centrale
européenne a essayé de réagir aussi au facteur de ralentissement qu’était
l’inflation.
On reproche d’ailleurs aux institutions financières de ne pas avoir réagi
très vite.
Ecoutez, les Banques centrales ont réagi très vite en matière d’injection
de liquidités. Je crois que la Banque centrale européenne a été Ã
l’avant-garde en la matière, on a bien réagi. Il fallait rassurer les
consommateurs qu’ il fallait convaincre que la flambée de l’inflation est
très temporaire et qu’elle n’allait pas trop durer. Le risque était que le
recul de la consommation soit beaucoup plus prononcé. Si on avait craint
qu’on abandonne notre objectif de stabilité des prix, la chute de
consommation aurait pu être plus forte. Donc, on a été conduits à faire en
sorte de convaincre les consommateurs que nous déployons tous les moyens
pour ramener les prix sur notre objectif de stabilité.
Depuis le mois de septembre 2008, nous sommes dans une autre logique. Il
est clair qu’avec la baisse des prix de l’énergie, des matières premières et
des produits alimentaires et le ralentissement économique qui s’est accéléré
brutalement, nous sommes dans une autre phase de la crise qui est nouvelle.
Depuis le mois de septembre, la BCE a autant baissé ses taux que la FED.
Vous avez déclaré que les Banques centrales devaient répondre à la
réalité de l’économie et aux besoins de l’économie, c’est de cela que vous
voulez parler lorsque vous faites allusion à la baisse des taux d’intérêt ?
Nous faisons effectivement ce qui nous paraît nécessaire par définition.
Dans la période qui s’est étendue jusqu’à l’été, il fallait convaincre les
opérateurs économiques, les ménages, les entreprises qu’on ferait tout ce
qu’il fallait pour que l’inflation revienne à des bas niveaux. Nous avons,
par conséquent, entrepris une politique de maintien des taux d’intérêts
stables. Depuis le mois de septembre, nous pensons que le ralentissement
économique et la chute de l’inflation et les prévisions de l’inflation sont
telles que nous avons été dans une autre dynamique.
Notre politique devait être différente et nous avons été très réactifs en
baissant nos taux, significativement.
En parlant de la rémission des systèmes financiers, le vice-président de
la Deutsch banque a dit qu’elle pourrait été longue et même douloureuse. Un
commentaire ?
Les systèmes financiers comportent de multiples aspects. Je crois que
derrière l’interprétation dans les bilans, les comptes de résultats, les
pertes de valeurs sur quelques actifs, qui doit se faire aussi rapidement
que possible et qui ne s’est pas fait d’un coup tout simplement parce qu’on
suit les valeurs des marchés qui évoluent… Donc, si à chaque trimestre les
valeurs de marchés baissaient, c’est chaque trimestre qu’on devrait
constater des pertes ou des provisions supplémentaires.
Maintenant ce que les banques doivent entreprendre, c’est la
restructuration de leurs bilans. C’est-à -dire revoir beaucoup d’opérations
qui étaient désintermédiées, qui donnaient lieu à une titrisation de
crédits, donc l’émission de titres représentatifs vers ces crédits
ré-intermédiées dans les bilans des banques. Il faut faire des ajustements,
injecter plus de fonds propres pour pouvoir réintégrer ces actifs et suivre
une politique de crédits qui fera plus appel aux bilans des banques…
L’impératif aujourd’hui n’est -il pas que le secteur financier doive être
lié à l’économie réelle de manière inconditionnelle?
Je crois que le secteur financier a toujours été lié à de projets
économiques réels. Ce qui se passait, c’est que cela prenait la forme
d’instruments très sophistiqués. A la base, il y avait bien une véritable
économie, c’est-à -dire des constructions immobilières liées à la
consommation.
Mais on ne s’y retrouvait plus.
On ne s’y retrouvait plus, parce que les instruments étaient trop
compliqués et trop opaques. Donc on va aller vers des instruments beaucoup
plus simples. J’espère qu’on va garder la titrisation parce que c’est un
instrument utile. Il faudrait surtout opter pour des produits plus sains,
plus clairs et plus transparents que l’investisseur pourra comprendre et
suivre.
Donc, je pense qu’on va retourner vers davantage de financements directs
par les banques et en ce qui concerne la titrisation, des produits plus
simples et plus clairs. C’est une bonne évolution.
Nicolas Sarkozy a déclaré que quand un responsable de banque réussit, on
le récompense, et quand il fait des erreurs, il devrait être sanctionné,
vous croyez que c’est juste?
C’est la politique naturelle des actionnaires. Bien entendu, quand les
Etats doivent intervenir massivement, il est normal que les dirigeants
soient changés et c’est ce qui s’est passé dans le cas de Dexia. Les
gouvernements belge, français et luxembourgeois ont décidé de changer le
management. Lorsque les banques n’ont pas commis d’erreurs importantes et
que l’Etat se contente d’apporter un peu de capital pour favoriser le
développement du crédit, il n’y a pas de raison de faire des reproches
particuliers aux managements.
Différentes banques ont été correctement jugées et évaluées par des
actionnaires. Il y a eu quelques changements de direction, dans la majorité
des cas, il n’y a pas eu de reproches importants à leur adresse.
On a parlé d’un partenariat entre les banques européennes. Quid de votre
partenariat avec les banques maghrébines ?
La Banque de France a des partenariats importants avec beaucoup Banques
centrales des pays du Maghreb et celles des pays méditerranéens, d’une façon
générale. Avec le Maghreb, nous partageons des éléments de culture, de
langue et de traditions et ca rapproche beaucoup. Nous avons, par exemple,
la même façon d’aborder un certain nombre de sujets de recherches, d’études
économiques, de fonctionnement des systèmes bancaires et financiers et des
systèmes de paiement. Et donc, nous pouvons coopérer et échanger des idées
techniques, voire monter des projets d’assistance technique et de
coopération pour la modernisation des institutions financières.
Il y a eu des projets concrets ?
Nous avons une coopération importante en matière de contrôle bancaire,
puisque nous avons été très actifs dans la préparation et la définition des
systèmes de contrôle des banques de Bâle, Bâle II en particulier.
On dit que Bâle II n’est plus d’actualité ?
Si. Il est tout à fait d’actualité. Je rappelle que Bâle II n’existait
pas lors du déclenchement de la crise, car il était en préparation. Tous les
superviseurs s’accordent à reconnaître que s’il était prêt et appliqué, la
crise n’aurait pas été aussi grave. S’il avait été appliqué, toutes ces
erreurs qui ont eu lieu au niveau des structures financières US auraient été
évitées. La crise nous a permis de le moderniser, de le compléter et le
corriger là où c’était nécessaire, mais la base demeure.
Pour revenir à la coopération avec les Banques centrales maghrébines,
nous collaborons en matière de supervision bancaire pour ce qui touche la
circulation fiduciaire, de façon à garantir la qualité des billets qui
circulent. Nous avons des programmes de coopération en matière de lutte
anti-blanchiment d’argent, dans les opérations, la gestion des réserves de
changes ; le système de paiement et autres.
Nous entreprenons des échanges réguliers entre Banques centrales, nous
essayons d’approfondir nos relations pour œuvrer à une meilleure
compréhension de l’évolution économique qui intéresse les pays de la région.
D’ailleurs, nous tenons annuellement une réunion entre les gouverneurs des
Banques centrales, la dernière réunion a eu lieu à Alexandrie en Egypte.
Nous contribuons du mieux que nous le pouvons entre gouverneurs de Banques
centrales afin d’approfondir la coopération technique. En fait, nos
programmes de coopération fonctionnent bien.