A
peine remise de mon voyage, je profite d’un beau soleil radieux et pars à la
découverte de Dubaï. Dubaï la folle, Dubaï miracle, Dubaï hautaine, Dubaï
aubaine… Incroyable ! Énorme ! Ahurissante ! Grandiose ! Démente! Impossible
d’échapper au lyrisme. Dubaï conjugue parfaitement les superlatifs.
Mon guide m’assomme de records. «Emirates Tower est la plus haute tour du
monde», «Borj El Arab est l’hôtel le plus luxueux du monde». Le «plus
grand» par-ci, le «plus énorme» par-là, le plus fantastique, le «plus
haut», «le plus du plus». Le record semble devenir obsessionnel dans
cette ville. Ma première impression est de penser que Dubaï a été conçue
comme un énorme terminal. La ville, après ma première journée de balade, me
fait en fait penser à un énorme «Guiness book».
20% des grues du monde se trouvent à Dubaï. Les tours et les projets se
concurrencent l’excentricité, les budgets et les prouesses techniques. La
valse des camions ponctuent la vie des automobilistes qui, une fois sur deux,
sont détournés de leur chemin. Les palaces les plus chers du monde offrent
des suites à plus de 1.000 dollars avec vue sur grue. Les embouteillages
bloquent la ville qui continue, paisiblement, sa révolution urbaine. Le
meilleur dit-on, le plus fou, assurément ou peut-être, resterait à venir.
Qu’en est-il dans la vie de tous les jours? A quoi correspond cette ville
dans la tête de ceux qui y passent et surtout dans celle de ceux qui y
vivent ? Qui sont les dubaïotes, «locaux» et «expat»? Pourquoi vient-on à
Dubaï ? Certains revendiquent le côté pluriculturel, alors que d’autres
insistent sur diverses populations qui se mélangent peu. Qu’en est-il au
juste des rapports sociaux dans cette ville ? La crise aura-t-elle des
répercussions sur la nature des rapports établis?
Durant mes premières rencontres avec les populations locales, c’est le mot «hub» qui revient en boucle dans toutes les bouches. Dubaï est un hub. Un
point de rencontres, où l’on amasse de l’argent, certes, mais le hub est
littéralement un nœud. C’est-à-dire un point central, un pôle d’échanges,
une plateforme, qui finit, peut-être, par vous capter.
«Les jeunes cadres y trouvent la plus belle des vies. On reconnaît leurs
compétences, ils gagnent de l’argent, ils s’éclatent dans et après le
boulot. C’est l’Occident, les impôts en moins. Un mixte entre Sillicon
Valley et Las Vegas», résume David H., 29 ans, travaillant dans les nouvelles
technologies et vivant à Dubaï depuis 9 mois. «J’adore Dubaï, je suis
amoureuse de cette ville, ou peut-être de ma vie ici. Je suis comme un
poisson dans l’eau. J’y ai une qualité de vie que je n’ai trouvée nulle part
ailleurs ayant vécu à Paris, Strasbourg, Tunis et au Caire et j’ai
vadrouillé pas mal», renchérit Selma N., une jeune tunisienne travaillant à
la «Dubaï School of Governement», une institution qui se veut l’équivalent
de l’ENA pour le Monde arabe.
“Melting-pot” ou “Meeting point”?
Pour comprendre Dubaï, il faut garder en tête que les locaux représentent
950 mille personnes. De fait, 80% de la population sont des expatriés.
Comprenez, un étranger pour qui Dubaï est l’Eldorado. Un étranger qui signe
un contrat pour s’y établir, travailler et s’enrichir. Dubaï, à ce titre,
justifie sa réputation. Elle est la ville de tous les possibles. L’essor de
cette ville, alimenté par le secteur immobilier, a provoqué une ruée
d’étrangers attirés par des salaires alléchants, la quasi-absence d’impôts
et la garantie d’un climat ensoleillé toute l’année. Dubaï est surtout une
réponse à des jeunes brillants issus de milieux aisés qui ont, en moyenne, 30
ans et moins, et qui ont fait des écoles internationales. Ils vivent à l’ère
de la mondialisation. Beaucoup se sentiraient à l’étroit dans une vie
rangée. «Entre midi et deux heures, nous sommes 12 au restaurant et 8
nationalités», précise Nebil, installé à Dubaï depuis septembre 2008.
Loin des cadres qui gagnent des salaires à 5 zéros par mois, Marie Lou jeune
technicienne en manucure pédicure, résume la situation à sa manière : «Je
viens des Philippines. Mon salaire, même s’il est de misère, est à
multiplier par 11 fois dans mon pays. Je viens de finir la construction de ma
maison et j’attaque les travaux de la maison de mes parents. C’est ici et
nulle part ailleurs que je peux réaliser mes rêves aussi vite». L’émirat a
récemment fait voter des lois pour protéger les droits des travailleurs. Le
sujet ayant soulevé diverses interrogations.
“La Dubai way of life” se résume à “shopping, eating et meeting”. Les malls
(centres commerciaux) sont au cœur de la vie. Ils sont de plus en plus
nombreux et rivalisent en excentricité. Qui y va d’une piste de ski, qui y
va d’un aquarium gigantesque. Les marques les plus prestigieuses du monde se
bousculent au portillon. Cela peut vous paraître futile. Je conviens que ce
n’est pas le meilleur des indicateurs économiques ou sociaux, de surcroît
reconnu par aucune instance de référence, mais la concentration de sacs
griffés à plus de 1.000 euros et de voitures à plus de 100.000 euros, fait
ici légion.
Mon sentiment envers les femmes et leurs interminables robes noires est
encore confus pour la Tunisienne et laïque que je suis. Au bout de quelques
jours de séjour à Dubaï, il est certes vrai, que voir des couples et des
familles entières en tenue traditionnelle se promener est un véritable joli
tableau.
Les hommes sont vêtus de leur «dechdacha» blanche, parfaitement repassée
qui tranche avec le noir des robes des femmes. Le contraste me semble
écrasant. Sans mauvaise foi aucune, les femmes portent joliment et fièrement
leur «aabaya». Beaucoup d’entre elles la laissent légèrement ouverte. En
dessous, on aperçoit des sandales magnifiques et des bouts de «jeans Slim». Elles sont tout autant si ce n’est plus «Fashion Victim» que les
femmes sous d’autres cieux.
La beauté et la séduction ont toujours été au cœur de la psychologie arabe.
«Cela ne nous rend que plus belle», résume évasivement et rapidement Meriem,
non sans ironie ! Telles des princesses, leurs yeux sont magnifiquement
maquillés du célèbre Khôl. Ils peuvent se transformer en de véritables armes
pour qui oserait s’y perdre. Les parfums qui les embaument sont capiteux et
forts. Ils sont aussi puissants qu’elles le paraissent lorsqu’elles se
promènent dans les centres commerciaux, au bras de leurs maris qui portent
galamment les paquets souvent nombreux.
Aller à la plage publique à Dubaï ressemble à aller à la plage comme
partout au monde. Les hôtels pratiquent des prix drastiques pour préserver
leur clientèle. Les gens en maillot se baignent. Les enfants construisent
des châteaux de sable. Les uns vont et les autres viennent. Sauf qu’ici,
plus qu’ailleurs et par rapport aux plages publiques de bien des pays, les
gens sont tous beaux, bronzés, riches et en bonne santé.
A Dubaï, on ne rigole pas avec la santé. A la signature du visa de travail.
«On nous fait passer une batterie de tests sanguins incroyables, et gare à
celui qui choppe quelque chose!», chuchote A.B. C’est, je le découvrirais
plus tard, un des sujets dont on parle le moins dans la ville.
De retour de la mer, j’ai été frappée par l’absence de «locaux» sur
certaines plages. Il y a comme une forme de «gentlemen agreement» qui
régit les relations entre les expatriés et les locaux. Une ligne rouge
subtile, mais bel et bien réelle.
La crise est l’épreuve de vérité
Depuis que je suis arrivée, j’entends parler «du syndrome des clefs dans le
contact». On murmure que tous les jours, des dizaines d’expatriés mettent
le cap sur l’aéroport et y laissent leurs voitures. On parle de l’annulation
de 1.500 visas de travail par jour. On mentionne le renouvellement de tout
autant, ou même plus. On parle de licenciements. On parle de «Target» des
commerciaux désormais impossible à atteindre.
La crise semble là. La crise est là. A Dubaï, l’hôtellerie a pris l’habitude
de fonctionner avec un taux d’occupation de plus de 80% en moyenne. Il a été
de 84% en 2008. Pour ce premier trimestre, les hôtels enregistrent une
baisse considérable. Le taux d’occupation de la destination vacillerait
entre 30 et 40% d’occupation.
«C’est lors des événements mondains que j’ai remarqué que la crise frappait
de plein fouet Dubaï : Les endroits les plus courus de la ville sont beaucoup
moins pleins qu’avant. La crise est mondiale. Certains medias s’acharnent sur
Dubaï, mais ce sont les mêmes qui s’acharnaient contre elle avant la crise
pensant que son modèle n’est pas viable…. Les gens ont profité énormément des
avantages qu’offrait le modèle “dubaïote” avant la crise. Maintenant, on
parle plus de la nouvelle loi fédérale qui empêche les compagnies de
licencier des Emiratis, ce qui a une répercussion directe sur le
licenciement des étrangers…», résume Selma.
Aujourd’hui, la question que se posent les observateurs autant qu’une large
frange de ceux qui vivent à Dubaï est la suivante : Comment Dubaï, qui n’a
connu que des années de faste et de croissance à deux chiffres, va-t-elle
s’adapter à la morosité qui frappe?
«Dubaï affronte la crise. Elle l’affronte comme le reste du monde, à sa
manière et même mieux. Combien même elle serait ruinée, la ville et ses
infrastructures valent quelque chose. Les infrastructures et les ressources
humaines autour d’elle sont réelles. Cela n’est pas du virtuel, même si la
ville a littéralement flambé», résumera un observateur qui souhaite garder
l’anonymat. Les plus pessimistes voient en chaque indice les prémisses de
difficultés financières majeures pour Dubaï. Les uns la voient aliénée à Abu
Dhabi qui aurait imposé un cahier de charges draconien pour venir à son
secours. D’autres s’alarment devant les annulations de projets et les
premiers licenciements. Les caisses sont vides et il n’y a plus de cash flow
! L’émirat va mal et l’immobilier s’écrase !».
Les spéculations sont ouvertes et les commentaires se déchaînent. Les
licenciements sont repris en fanfare dans les medias étrangers. «Je ne peux
comprendre que Dubaï déchaîne autant de haine. Je suis en colère contre ceux
qui se font un plaisir de la voir s’effondrer», s’exclamera un jeune médecin
vivant à Dubaï depuis de nombreuses années. Certains considèrent que Dubaï
est la revanche des Arabes. La ville pour certains, et ils sont nombreux,
redéfinit la notion du respect des cultures. «Dubaï, nous l’aimons et lui
sommes reconnaissants. Dans cette ville, on ne nous traite pas de sale
arabe, quand nous immigrons pour travailler!». Sans commentaires.
J’étais loin de me douter que c’est à Dubaï que l’on me tiendrait ce genre
de commentaires. Vu d’ailleurs, le pays est perçu comme un Monopoly grandeur
nature. Au fur et à mesure que je rencontre des gens qui y vivent
paisiblement, je constate même un pseudo-nationalisme chez certains «expat».
Dubaï Game. Dubaï Play. Entre eux, les opportunistes résument Dubaï à «Do
Buy». Par temps de crise, on ne vend plus, on n’achète plus et on en joue
quasiment plus. La ville est down et le moral est morose. Les sujets qu’on
évite sont nombreux : les licenciements, l’argent, les retards des
chantiers,…On évite les sujets qui fâchent. On parle peu ou pas de demain.
«Ceux qui pensent que Dubaï est dissociable des Emirats Arabes Unis n’ont
rien compris»
Certains murmurent que l’avenir est l’émirat d’à-coté, Abu Dhabi. L’émirat
dévoile son jeu et affiche des prétentions dont il a largement les moyens.
Il est l’un des pays les plus riches du monde et son fonds souverain s’élève
à 875 billions de dollars. Même dans le rang des expatriés, certains
louchent sur Abu Dhabi, un autre Dubaï résolument tourné vers la culture, le
sport et l’événementiel. De colossaux investissements y sont disponibles et
engagés. 13 000 chambres ont été annoncées, il y a quelques semaines, sur le
salon du tourisme à Berlin, l’ITB et la compagnie aérienne «Ettihad», a
participé pour la première fois cette année, au salon du tourisme de Moscou.
On y voit pousser des hôtels de luxe et se créer des plages paradisiaques.
Abu Dhabi entend ajouter une dimension culturelle à son développement. La
capitale y accueillera des extensions de musées (Louvre et Guggenheim), et
l’université de la Sorbonne y a déjà ouvert une antenne. En sport, un Grand
Prix de F1 offrira aussi un parc de loisirs, consacré à Ferrari, où les
cadres fortunés et les touristes du monde entier pourront jouer les Schumacher, une fois la crise passée. «Ceux qui pensent que Dubaï est
dissociable des Emirat Arabes Unis n’ont rien compris. Abu Dhabi est là,
aussi pour Dubaï», résume ce même observateur. Les plus sceptiques observent
le modèle et doutent de sa résistance.
Cet Eldorado du travail a aussi fonctionné comme une porte d’entrée à
l’Arabie Saoudite, où beaucoup de compétences se sont vu débauchées et
offrir des contrats en or pour quelques années de labeur dans le royaume. «En Arabie saoudite, il est beaucoup plus dur de s’épanouir et d’y rester. A
Dubaï, tout est permis. On gagne de l’argent et en dépensons beaucoup. Y
vivre coûte cher mais nous avons vécu quelque chose de fort. La ville nous
a plongés dans l’euphorie des années durant. C’est à nous, aujourd’hui de la
soutenir».
Dubaï est sans doute le fruit de la plus belle opération de ressources
humaines de ces dernières décennies. Un «melting-pot» d’un genre nouveau,
y serait-il né ? Les plus réfractaires précisent que Dubaï est un «meeting
point», mais en aucun cas un «melting-pot». La ville est pour la région
un poumon. «Tout le monde, tous les argents et tous les projets passent à Dubaï. C’est le lieu où il faut être, crise ou pas crise. Les opportunistes
et affairistes reviendront dès qu’il fera meilleur. Nous nous y restons et
nous l’aimons. God bless Dubaï».Voilà un commentaire sans appel.
Dubaï a, dans ses entrailles, les moyens financiers et humains pour trouver les
sorties de secours aux périodes difficiles. Les matières grises du monde
entier y sont recrutées à prix d’or. Les plus accros à Dubaï reconnaissent
qu’il y est encore difficile de se faire des amis locaux et de pénétrer dans
les familles. «La nouvelle génération de dubaïyotes évolue beaucoup et
rapidement. Ils ont fait des études à l’étranger et reviennent au pays. La
femme a dans la ville un rôle plus important. En cela, Dubaï change aussi».
Autant croire en de jours meilleurs.
En attendant, Dubaï continue de s’étendre, les édifices entamés se
construisent. Les milliers de grues continuent de balayer le ciel. Certains
hôtels sont même détruits pour être reconstruits. Une troisième Palm sort de
la lagune. «The world» est visible de «Borj Al Arab», «Dubaï Land»
concurrencera «Disneyland». Le métro y fait ses premiers essais. La énième
tour du monde est annoncée à coup de panneaux, pancartes et affiches
publicitaires…
Plus de 900 des 1000 sociétés les plus importantes du monde sont présentes à
Dubaï, la ville du futur. Abu Dhabi, celle de l’avenir. Les Emirats Arabes
Unis sont-ils le pays de tous les possibles?
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