Un jour, on a demandé à Alfred Hitchkook : qu’est-ce que le cinéma ? Il a
répondu : “un tas de sièges à remplir dans une salle obscure”. La réponse peut
choquer, émanant de l’un des plus grands cinéastes de tous les temps. On se
serait plutôt attendu à un développement académique, à des considérations
technico-artistitico-culturelles. Rien n’en fut. Pourtant, dans sa simplicité
lapidaire, elle en dit bien plus long que n’importe quel discours. Car, pour
remplir lesdits sièges, il ne faut pas proposer n’importe quoi au spectateur.
Et à la question : “Qu’est-ce que le tourisme ?” La réponse serait la même, s’il
ne s’agissait du transport multimodal qu’empruntent les voyageurs pour se rendre
à leur destination. “Tant de sièges avion !” Ce serait simple et pratique. Ce
n’est cependant pas de sièges avion qu’il s’agit, ni de nuitées à l’hôtel, ni de
taux de remplissage des lits, ni de recettes per capita. Ni séparément, ni même
réunis, ces critères ne suffisent à rendre compte de la réalité qui est toujours
en devenir, en puissance ; évolutive et toujours porteuse d’un potentiel à
mettre en oeuvre. Ce qui, au demeurant, fonde l’approche comparative entre deux
acteurs : “Avec moins, telle destination a fait plus”. Ou l’inverse. La
“philosophie” histchkookienne inspirerait une autre formulation. Comme, par
exemple : “L’art de créer des opportunités de dépense à chaque pas qu’effectue
le touriste dans le pays d’accueil”. Car c’est bien de l’art -et de la
technique- de vendre qu’il s’agit.
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Le capital disponible : nature, culture, capitaux et même logistique, ne suffit
pas, à lui seul, à créer une dynamique touristique, encore moins à en assurer un
succès durable. En dépit de ses ressources fabuleuses dans tous ces domaines,
l’Inde est encore un pays sous-développé en matière de tourisme, comparativement
à la minuscule Tunisie, par exemple. En retour, les ressources naturelles et
civilisationnelles de notre pays -et encore moins ses moyens financiers- ne nous
permettront de soutenir la concurrence de l’Algérie ou de la Libye, le jour où
ces pays décideront d’y mettre les moyens. Déjà que nous nous essouflons à tenir
le rythme avec le Maroc et bien plus encore l’Egypte, tard venus sur la scène…
Nous parviendrons certes à garder un certain avantage grâce à l’avance que nous
confère notre technicité, mais pour combien de temps encore, sachant l’effet de
“vases communicants” le jour où les voisins s’y mettront ?
En vérité, dans l’état actuel des choses, nous sommes pris dans la nasse d’une
organisation obsolète du secteur touristique, héritée de pratiques fortement
dirigistes qui mettaient le tourisme sous tutelle, directe ou indirecte,
d’autres départements ministériels qui avaient, en fin de compte, le derrnier
mot, lorsqu’il y avait litige. L’exemple le plus achevé de cette tutelle qui
perdure -encore que, heureusement et seulement depuis peu, de manière moins
rigide : celui de l’autorisation d’ouverture d’un gîte rural. Celle accordée par
le ministère du Tourisme devrait suffire. Il n’en est rien. Il faut encore
celles du ministère de l’Agriculture, celui, éventuellement, des Domaines de
l’Etat, celui, éventuellement aussi, de l’Environnement et enfin celui de
l’Intérieur.
C’est peu dire que c’est un parcours du combattant. Chacune de ces instances
peut tout bloquer. Et elles ne s’en privent pas. Résultat : la Tunisie ne compte
à ce jour que moins des doigts d’une main de gites ruraux. Il en va de même pour
les chambres d’hôtes. Et ce n’est pas le seul hébergement qui souffre de ce
handicap. Ce qu’on appelle le para-touristique, c’est-à-dire l’infinité
d’activités destinées à faciliter ou agrémenter le séjour du touriste, à le
retenir, le faire revenir ou lui faire recommander la destination est soumis aux
mêmes tracasseries, que dis-je, à la même strangulation.
Au tout début des années 90, a été mis sur pied un Conseil supérieur du tourisme
comprenant des repésentants de tous les départements concernés par l’industrie
touristique ainsi que des diverses professions et associations du secteur et des
communicateurs. L’objectif visé par cette initiative était de favoriser l’essor
de l’activité touristique par la mise en oeuvre de mécanismes de consultation,
d’intervention et de coordination de l’action sous l’égide du ministère du
Tourisme. A ce jour, aucune action concrète n’a été enregistrée à son actif. Du
moins à notre connaissance. Pourtant, et en attendant que soit réellement mise
en pratique la philosophie de la liberté d’entreprendre, seul ce Conseil est
susceptible de dégripper la machine et de libérer un formidable potentiel qui
croupit faute de conditions appropriées pour son essor. Et c’est seulement à ce
moment-là que nous nous dégagerons du piège dans lequel nous nous sommes
enfermés depuis des décennies.
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