Les
randonnées dans le Sahara de Douz commencent généralement aux environs de 9
heures ou 9 heures et demie. Tête et visage couverts d’un chèche, bien carré
au dos de son chameau, le touriste éprouve, au départ, une sensation un peu
bizarre, celle de quitter un monde pour aller à la rencontre d’un autre,
terriblement silencieux. Un silence majestueux, solennel, dictateur à force
de régner en solo. Lui seul règne sur une immensité sablonneuse que le vent,
en la parcourant de son souffle, y construit, ça et là, des dunes qu’il
déplace à sa guise d’un endroit à l’autre.
Partout où il donne de la tête, le touriste ne voit que le sable et le ciel,
deux infiniment grands qui, l’un de couleur blanche, ocre ou jaune doré,
l’autre tout bleu et aveuglant de blancheur, semblent encore plus loin l’un
de l’autre tant le vide qui les sépare est immensément immense.
Ce départ vers le néant ne manque pas au début de donner la chair de poule,
le voyageur à dos de chameau ayant soudain le sentiment curieux d’être
lâché, abandonné, perdu pour tout dire. Quand, deux heures plus tard, la
pause s’impose, le sentiment d’abandon cède la place à l’impression magique
d’insoupçonnables retrouvailles de l’homme avec son être.
Durant toute sa vie, l’homme n’a fait qu’écouter ses besoins, ses désirs,
ses ambitions ; et soudain, le vide du Sahara fait le vide dans sa tête.
Plus rien ne vient hanter son esprit. Rien. Il est alors à l’écoute du
silence. Certains, subjugués par la force du silence, en profitent, les yeux
fermés, pour s’adonner à une méditation transcendantale, ou plutôt pour se
réconcilier avec eux-mêmes dans une étreinte intime à vingt mille lieues de
la vie, de l’existence… D’autres, comme désabusés, semblent découvrir pour
la première leur petitesse tonitruante face à la grandeur silencieuse… Et
l’infiniment petit ne tarde pas à se diluer dans l’infiniment grand…
A dire vrai, les randonnées d’un seul jour ne dépassent pas les limites de
la simple découverte. Seuls les séjours prolongés au cœur du Sahara
reconstituent l’homme, le refont, le purgent en quelque sorte. Le petit
déjeuner, sous la tente, est constitué de lait, de beurre, de miel ou de
confiture et, surtout, de dattes, le tout pris avec un certain pain dit
Malla, une spécificité de la tribu des Mrazigues.
Les deux randonnées de la journée terminées, retour sous la tente (comme les
dunes, les tentes sont tout le temps déplacées d’un endroit l’autre). Sauf
que là, le soir, la température est tout autre. Le blizzard saharien impose
un grand feu central autour duquel les hôtes de la nuit, tous des bédouins
en cette circonstance et même s’ils viennent de Hollywood ou de Stockholm,
se rabattent comme des goinfres sur leur soupe, leur salade, leur couscous
tout fumant.
Après le thé, l’animation, à coups de tambourins et de flûtes, perdure,
s’étire, semble n’en plus finir. Mais quand tout un chacun s’est défoulé et
a dansé jusqu’à l’épuisement, et que le silence de la tente s’installe, un
autre bruit s’annonce. Celui du fennec. Pourtant de face hideuse, de taille
ne dépassant pas les 60 cm, et doté de grandes oreilles, le fennec, animal
nocturne, a sa manière à lui de souhaiter la bienvenue. Tout le monde
s’accorde à dire qu’en criant il rappelle les youyous de la femme un soir de
fête ; mieux, on lui trouve une voix carrément agréable. Sinon, le jour,
c’est le lapin, la gazelle et les oiseaux qui meublent l’espace sans
vraiment l’ameuter.
Hurlez donc !
Est bien curieuse cette histoire que nous a rapporté un médecin de la
région, lui-même l’ayant découverte il y a juste un mois de là. Il paraît
que le Sahara serve de remède à certains malades mentaux, plus spécialement
les psychopathes et les stressés de tous genres. Leur thérapeute les amène
au cœur du Sahara et les invite à hurler à loisir toutes leurs déceptions, à
injurier, à invectiver, à fulminer, à dire tout haut toutes les obscénités
que, dans leur vie normale, ils n’ont pu évacuer par peur, timidité ou
pudeur.
Ce défoulement d’un genre un peu particulier, cette espèce de règlement de
compte avec l’autrui absent, semble les remettre d’aplomb, leur servir de
sédatif. Alors, à peine assis dans le giron du Sahara, ils se prennent à
hurler, hurler jusqu’à n’en plus pouvoir. Leurs hurlements fusent dans le
vide et s’y effilochent. Ils ont alors l’impression de s’être vengés des
injustices subies.
Dès que l’homme y apparaît, même le Sahara n’a pas droit à des moments de
vrai silence…
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