Les perspectives d’évolution des marchés bancaires et
financiers en intégrant les préceptes de “la finance islamique”, en tant qu’une
variable d’ajustement, pour asseoir une finance durable ancrée dans le cœur de
l’économie réelle, source de croissance et d’équité, ont permis à M. Mokdadi
Hamadi, banquier, homme de la finance et gestionnaire de fonds de placements et
d’investissements, de se projeter dans une réflexion à ce sujet.
L’analyse a été scindée en deux parties :
– La première concerne les pays émergents, ainsi que les produits et lagestion du risque.
– La seconde s’intéresse aux cas de la France et du Maroc, avec une partie introductive sur l’histoire des systèmes financiers dans les pays musulmans.
Une
économie émergente a besoin d’une épargne suffisante à long et moyen terme
et des financements directs étrangers dans le cadre des Investissements
Directs Etrangers (IDE). L’objectif premier est d’alimenter, et en
permanence, le niveau d’investissement qui serait nécessaire au maintien
d’une croissance économique forte et stable, et ce en l’absence
d’importantes ressources naturelles. Nul ne doute que l’investissement et
l’épargne sont deux variables fortement corrélées.
Ceci étant, l’épargne dans les pays émergents est en outre constituée,
d’importants avoirs liquides et à vue souvent volatiles. Ainsi, la structure
de l’épargne se caractérise par une maturité trop courte pour financer des
investissements à long terme. Si les mesures prises permettent d’améliorer
la gestion et la canalisation de l’épargne, cela a certainement un impact
sur son niveau, mais sans majeurs changements dans les comportements de
certains ménages. Parmi ces déposants figurent des personnes, même
fortunées, et par conviction religieuse, n’acceptent pas de recevoir des
intérêts et rejettent toutes rémunérations ; elles refusent toute
mobilisation à échéance, autrement dit, s’interdisent tout placement à terme
générateur d’avoirs additionnelles non justifiés.
Quant aux IDE, ils progressent et se profilent sur tous les secteurs et à
travers tous les pays, avec une particularité de l’afflux massif des
capitaux provenant des pays du Golfe et qui devrait se développer davantage.
Ces investisseurs sont de plus en plus favorables au développement à long
terme, basé sur un circuit économique soutenu par la croissance, l’ouverture
commerciale, le capital humain et l’investissement local d’infrastructure.
Ce tableau en face, le comportement des financiers conjugué à des facteurs
objectifs, le facteur culturel, dominé entre autres par l’aspect religieux,
où l’usure et la spéculation sont bannis, explique la raison pour laquelle
le financement islamique peut constituer un levier puissant de mobilisation
et d’affectation d’une épargne additionnelle, avec le renforcement du
secteur financier, pour but de développer l’économie réelle.
La finance islamique intervient à deux niveaux : l’apport participatif en
capitaux propres, investi directement dans les circuits de production, et
des facilités bancaires pour consolider ses outils (voir plus loin les
produits). Ainsi, ces techniques de financements, réputées plus solidaires,
conjugué aux compétences, aux capacités et au savoir-faire des
établissements de crédit, permet aux entreprises de se financer par des
ressources complémentaires stables, mobilisés directement et exclusivement
pour soutenir la croissance de l’économie réelle.
Les entreprises peuvent profiter de cet élan de partenariat dynamique et des
liquidités drainées par les supports mis en place. La mobilisation de ces
fonds est primordiale pour en tirer des rentabilités et des profits
récurrents. Ceci peut aider à développer davantage un ensemble de secteurs,
y compris par exemple les économies du savoir et des technologies
nécessaires à la valorisation d’un capital humain qualifié et disponible.
Une réelle constatation, c’est que cette dynamique ne fait que consolider et
accélérer le rythme de la croissance de l’économie productive. Pour ce
faire, des produits islamiques, en plus des comptes de dépôts, existent et
peuvent s’adapter aux besoins des investisseurs compte tenu des évolutions
de l’ingénierie financière des produits comme : Ijara (Crédit-bail), Wakala
(Agence), Salam (Forward), Istisna’a (Contrat de traitance), les comptes
d’investissement, les sukuk (obligations) où le sous-jacent est représenté
par les premiers produits tels que: Murabaha (intermédiation) ou financement
commercial avec marge bénéficiaire, Moudharaba (commandite) ou partenaire
passif, Musharaka (association) ou partenaire actif, les fonds actions et
immobiliers et la private equity.
S’ajoute à cela toute la gamme de produits existants, respectant, sous
certaines conditions, les préceptes de la Chariàa.
Côté développement, et si l’on se focalise par exemple sur les fonds
d’investissements, la finance islamique trouvera un terrain favorable pour
adapter sa technique du fait que le principe du partage des pertes et des
profits est clairement identifié. Les actifs sont tangibles et la logique du
marché est clairement appréhendée pour ajuster directement l’économie
réelle, où il est interdit d’exiger des garanties supplémentaires en dehors
du projet et des apports du promoteur. Dans ces conditions, les pourvoyeurs
de fonds deviennent des véritables partenaires de l’entrepreneur-emprunteur,
afin de le soutenir dans son entreprise et assurer ainsi une activité
économique saine et profitable aux deux protagonistes, sans oublier les
encouragements et les avantages fiscaux non négligeables.
Quant à l’investissement direct en actions (cotées ou non), il est soumis à
la logique du marché. En cela, les titres ainsi détenus sont un bien comme
un autre. Pour autant, l’achat et la revente d’actions, pour être validés
par la finance islamique, doivent satisfaire à des conditions.
La première en est que l’activité principale de la société doit être
«licite». Une autre condition qui s’impose, c’est de conserver ses actions
pour bénéficier des revenus annuels attachés légitimement et distribués sous
forme de bénéfice. Il est du principe de la morale de ne pas vendre l’action
avant cette échéance, quand bien même sa cotation est volatile à la hausse
ou à la baisse. Cette alternative, à potentiel très important, demeure
plausible dans le cas des offres publiques de souscription, lors d’une
augmentation de capital (OPS), opérations de portage sans rémunération
préalablement fixée, ainsi que toute opération indispensable pour lever des
capitaux en fonds propres nécessaires au développement durable, sans oublier
l’émission des certificats d’investissement, des ADP, des titres
participatifs…
Parallèlement , la finance islamique représente un marché important pour la
gestion privé collective, ce qui serait d’un bénéfice formidable pour
l’économie qui pourrait profiter d’une source alternative de financement à
moyen et long terme, compte tenu des principes analysés plus loin. La
création des fonds souverains peut s’envisager avec l’objectif de drainer
des capitaux plus importants.
Pour ce qui concerne les placements collectifs, et quant à ceux qui voudront
se tourner vers les fonds OPCVM (sicav et fonds communs de placement) pour
faire fructifier leur épargne, ils vont se préoccuper en permanence de la
composition de leurs actifs. Bien entendu, les placements dans les OPCVM
obligataires, tout autant que ceux diversifiés (basés sur des actions et des
obligations) sont abordables. Ce dernier type de fonds doit intégrer au
minimum 60% d’actions, le reste pouvant être constitué d’obligations. Ainsi,
les OPCVM profilés dégagent des revenus (et non pas des intérêts), générés
par la politique de gestion, et qui sont distribués en totalité entre les
porteurs de parts.
De plus, les gestionnaires sont tenus de communiquer la liste des titres
constituant leurs fonds, ce qui reflète la situation relative à des choix
bien déterminés. Les OPCVM sont très diversifiés où les publications sont
trimestrielles, ce qui permet aux souscripteurs de vérifier la nature des
actifs constituant le portefeuille.
Il faut rappeler qu’on doit se réserver une marge de flexibilité pour
segmenter la clientèle intéressé par les préceptes de la finance islamique.
Chaque catégorie a ses propres exigences qu’il fallait scrupuleusement
identifié. La standardisation est une technique qui permet de fluidifier au
maximum le marché dans sa globalité.
Pour gérer efficacement ces produits et pour atteindre l’ensemble des
objectifs, la finance islamique développe ses propres outils de gestion du
risque qui exigent de nouveaux standards de gestion. Cette logique a incité
la Banque du Liban et la Global Association of Risk Professionnels (GARP) de
faire valoir un Certificat de gestion du risque dédié aux institutions
financières appliquant les préceptes de la religion musulmane.
“La demande croissante pour les produits financiers islamiques est le
facteur qui a motivé le développement du Certificat de gestion du risque
pour les institutions financières islamiques”, a déclaré le Dr Ahmad Jachi,
vice-gouverneur de la Banque du Liban. Et d’ajouter : “la croissance de ce
marché sera freinée s’il n’y a pas d’amélioration en matière de gestion des
risques et si aucune approche normalisée n’est élaborée. Notre objectif est
d’établir des pratiques de gestion du risque reconnues au sein des
institutions financières islamiques et utiles aux banquiers du monde
entier”.
Analyse faite, la finance islamique présente un atout important pour
développer le secteur financier et bancaire par la collecte d’épargne
additionnelle à moyen et long terme auprès d’une nouvelle catégorie
d’épargnants, ainsi que par la création de nouveaux produits et services.
Elle est à la disposition de l’économie réelle pour la servir, l’éthique des
affaires devient plus prononcée ; où fondamentalement l’argent ne doit pas
produire que de l’argent, mais en priorité la création d’une réelle richesse
: moteur du développement intégré la dans la sphère internationale et à
moindre risque.
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