Finance islamique et crise financière : Quelles répercussions sur l’Afrique?

Par : Autres

Malgré une participation assez faible sur les marchés financiers
internationaux, bon nombre d’experts prédisent que l’Afrique subira à moyen
terme les conséquences de la crise financière qui se propage dans toute
l’économie et fait craindre une récession mondiale de grande ampleur.

Les puissants de ce monde sont à la recherche de modèles alternatifs et,
remettant en cause les théories les plus libérales, en arrivent à
nationaliser les grandes banques afin de sauver ce qui peut encore l’être et
d’éviter l’effet «château de cartes».

Utilisant des critères très rigoureux d’investissement, la finance islamique
est désormais sous le feu des projecteurs et apparaît comme une alternative
aux modèles qui ont fait les beaux jours des établissements bancaires de
renom mais qui sont aujourd’hui à l’origine de leur effondrement.

Suite au succès rencontré lors de l’édition 2008 du forum africain de la
finance islamique, une nouvelle rencontre tenue en avril a été l’occasion de
réfléchir sur les nouveaux enjeux mondiaux. Le deuxième forum de la finance
islamique s’est tenu à Casablanca les 1er et 2 avril 2009 ; et outre les
acteurs de l’industrie financière, de nombreuses entreprises opérant en
Afrique du Nord, Afrique de l’Ouest, Europe et Moyen-Orient y étaient
conviées.

Zoubeir Ben Terdeyet, fondateur de Isla- Invest, cabinet spécialisé
dans la finance islamique et organisateur de ce forum, évoquant la crise
financière qui secoue l’économie mondiale, a rappelé les vertus de la
finance islamique.

Les répercussions de la Crise financière au Maghreb…

L’impact au niveau financier n’est pas très important en Afrique du Nord,
car il n’y a pas de libre convertibilité des monnaies, ce qui a préservé les
investisseurs maghrébins de placements à risque tels que les subprimes,
fonds d’investissements Madoff et autres produits toxiques. Les avoirs des
banques maghrébines sont investis au niveau du marché local étant donné que
cette région n’est pas dans une situation d’excédent comme la Chine ou, dans
une moindre mesure, le Japon.

L’Algérie n’a pas subi la crise financière sur son territoire car son
système financier n’est pas développé, la bourse étant quasi inexistante.
Par contre, les avoirs algériens à l’étranger ont baissé en raison de la
crise mais le pouvoir algérien est très opaque et ne communique aucune
information sur ses placements effectués à l’étranger.

La Tunisie tire son épingle du jeu car sa place boursière est l’une des
rares épargnée par la crise financière avec une croissance insolente de
10,7% en 2008 de son indice phare, Tunindex.

La bourse de Casablanca a, quant à elle, baissé de 13% en 2008 malgré la
faible part des investissements étrangers dans l’indice MASI. On peut
néanmoins penser qu’il s’agit d’une correction nécessaire et non d’un
effondrement.

Les possibilités de privatisations sont nombreuses au Maghreb, ce qui peut
éventuellement préserver de la crise si les investisseurs locaux restent
convaincus de l’utilité d’investisseur en Bourse.

…et les conséquences sur l’Afrique subsaharienne

L’Afrique subira les conséquences de la crise économique mondiale,
résultante de la crise financière.

Les prix des matières premières sont en baisse, ce qui ne favorisera pas les
pays africains et accentuera la précarité et donc l’instabilité politique.
Pour parer à cela, il faut s’unir, être solidaire et créer des zones de
libre-échange en Afrique. Dans ce contexte précis, l’Union maghrébine se
doit d’être une réalité et devenir un exemple pour tout un continent. Or,
aujourd’hui, il n’existe toujours pas de convertibilité entre les trois
monnaies maghrébines. Et les transferts d’argent relèvent du parcours du
combattant entre le Maroc et l’Algérie tant les tracasseries administratives
sont nombreuses.

Pour l’heure, l’Afrique noire n’est pas partie prenante à ce projet, et les
relations économiques sont plus basées sur la concurrence que sur les
alliances. Il faut que cela évolue et que l’Afrique soit prise au sérieux en
parlant d’une seule voix. Les Africains doivent se détacher de leur
dépendance vis-à-vis de la vielle Europe qui est en perte de vitesse. Mais
sans pour autant succomber aux chants des sirènes asiatiques qui se
préoccupent encore moins des intérêts et du développement pérenne de
l’Afrique.

On notera que depuis peu, les Investissements directs à l’étranger (IDE) en
provenance du monde arabe sont en passe de dépasser les IDE européens ;
c’est peut-être une tendance prometteuse pour ces pays qui peuvent profiter
d’une manne financière importante sans subir l’hégémonie ou l’ingérence qui
les ont maintenus dans une situation de vassal.

Dans ce contexte, la finance islamique peut devenir un complément à la
finance conventionnelle.

Mais, aujourd’hui encore son poids reste bien faible, malgré la
médiatisation et l’engouement de grands établissements bancaires pour ce
mode de financement.

Les 700 milliards de dollars de la finance islamique au niveau mondial
n’équivalent même pas aux actifs du Crédit Agricole…

La croissance et les perspectives de la finance islamique sont par contre
très alléchantes pour l’avenir.

Les pays du Golfe devraient, grâce au pétrole, passer très facilement la
crise et seront (avec la Chine) les bailleurs de fonds du monde ; or ils
choisissent de plus en plus souvent la finance islamique afin de gérer leurs
avoirs.

Les banques historiques telles que Qatar Islamic Bank, Kuweit Finance House
ou Dubai Islamic Bank ont toutes affiché des résultats plus que positifs en
2008. Elles sont donc dans une situation très favorable pour attaquer de
nouveaux marchés et engager des relations commerciales et financières
durables.

Les critères du financement islamique : valeurs anti dérapage ?

Les banques islamiques n’avaient pas de CDO, de CDS, de produits dérivés à
leurs actifs, ce qui les a préservées d’une chute brutale de leurs avoirs et
bien sûr de leur cours en bourse. Toutefois, il existe aussi la réalité
d’une économie mondiale dominée par une finance que tout remet en cause
aujourd’hui. Les banques islamiques sont touchées par la chute de
l’immobilier qui est un de leurs investissements favoris. La chute de la
demande mondiale va toucher les entreprises dans lesquelles elle sont
investisseurs, etc.

Aujourd’hui, la finance islamique fait partie du paysage économique mondial
et, en tant qu’acteur, elle en subit les soubresauts. Les interactions et
les interdépendances sont nombreuses et complexes ; c’est pourquoi il est
encore prématuré de juger la finance islamique sur des critères exogènes et
qui ne peuvent s’appliquer pleinement.

Il est cependant vrai que deux arguments de choc devraient lui permettre de
connaître une croissance forte ces prochaines années : tout d’abord, compte
tenu de son organisation, la finance islamique bénéficie d’une élasticité
qui amortit les effets négatifs de la crise et doit donc rassurer les
investisseurs.

Mais surtout c’est que c’est un système qui véhicule des valeurs, une
certaine éthique des affaires.

Aujourd’hui, l’Afrique et les autres régions en développement tel que
l’Amérique latine ou l’Asie du sud peuvent être de fort relais de
croissance. Il faut y soutenir la consommation. La finance Islamique a une
carte à jouer. L’Afrique ne doit pas rester à l’écart de cette nouvelle
industrie financière.

Il serait tout de même aberrant de voir des banques islamiques investir en
Afrique à travers leur filiale en Europe, or c’est ce qu’il risque d’arriver
si les Africains ne font pas le nécessaire pour adapter leur cadre
réglementaire et montrer des signes positifs pour leur accueil !