C’est
tout un esprit qui commence à changer. Chez maints brocanteurs, l’espace est
encore un fatras de bric-à-brac où chercher l’objet rare est aussi
fastidieux que chercher une pièce de rechange dans une ferraille. D’autant
moins agréable est cette présentation des choses que l’on ne vient pas
chercher chez le brocanteur une pièce utilitaire mais un objet d’art. Pour
le moins bizarre, donc, est que les pièces d’art soient hébergées dans un
environnement où fait défaut la moindre note artistique. En cela, la Galerie
Didon, à Carthage, tranche une fois pour toutes avec l’habituel et
l’ordinaire.
Nous sommes plutôt dans une galerie d’art au plein sens des termes.
D’environ 6 mètres sur 3, la galerie, très coquette, séduit d’abord par
l’agencement de son espace où, flirtant ensemble sans jamais se toucher, les
pièces, très diverses, rivalisent de beauté, d’éclat et d’harmonie, servies
de surcroît par une lumière blanche joliment discrète. Elle séduit ensuite
par l’opulence des couleurs et des formes des meubles émergeant d’époques
surannées, les uns remontant à la dynastie ottomane, les autres évoquant les
17ème, 18ème ou 19ème siècles. Des secrétaires aux sièges, fauteuils et
lustres antiques, en passant par divers ustensiles, vases et services à eau
en cristal coloré ou autre matière, sans oublier certains coffrets argentés
et gravés d’hiéroglyphes datant du début du siècle dernier, le spectacle
envoûtant que présente la Galerie tient en ceci que certains objets ont été
restaurés et retapés à neuf tout en gardant leur originalité. On réalise
qu’à l’évidence c’est un artiste et orfèvre en la matière l’artisan ayant
rétabli ce que le temps a pu endommager.
Egalement espace d’art, la Galerie Didon propose des tableaux de peinture
anciens, qu’ils soient de l’Ecole de Tunis ou d’avant, de Tunisie ou
d’ailleurs. C’est que la gérante, Mme Afef Ben Chérif, est elle-même
collectionneuse de tableaux de peinture. A cette passion qu’elle caresse
depuis de nombreuses années, s’est greffée celle des objets anciens qu’elle
va débusquer chez certaines familles ou chercher carrément à l’étranger.
La Galerie Didon, qui a ouvert ses portes en décembre dernier, est un cas
d’entreprise assez particulier. C’est bien évidemment un commerce, mais un
commerce qui, outre la passion –une condition sine qua non–, exige souffle
et patience. Car s’agissant de pièces rares et uniques, donc inestimables,
leur écoulement sur le marché n’a rien d’évident mais est tributaire de la
rencontre entre l’acquéreur sensible à la beauté et les pièces d’art en
question. Tout le monde, certes, peut admirer, mais tout le monde ne peut
pas acheter. C’est peut-être là la seule fausse note des brocantes des temps
modernes.