Les organisateurs tunisiens de séminaires et de colloques
traitant de questions sud-méditerranéennes et maghrébines ont tout intérêt à
inviter, le plus souvent possible, des intellectuels et experts algériens, ne
serait-ce que pour enrichir le débat régional, et surtout pour le placer sur une
trajectoire qui sert les véritables intérêts de la zone maghrébine. C’est du
moins mon avis. Je suis convaincu que les Algériens ont ce courage inné de ne
pas mâcher leurs mots face au nord et d’aller droit vers ce qui devrait leur
être dit.
Invité par la revue L’Economiste maghrébin à intervenir à son traditionnel
colloque, placé cette année sur le thème «Tunisie – Maghreb – Europe,
quelles réponses communes à la crise économique?», M. Hadj Nacer, ancien
gouverneur de la Banque centrale d’Algérie (BCA), n’a pas failli à ce
constat et s’est distingué par son plaidoyer pour une pure et simple
réinvention des modèles de développement caducs adoptés, jusqu’ici, par les
pays maghrébins (Tunis, 7 mai 2009).
Selon lui, les modèles de développement actuels ne font que servir l’intérêt
des occidentaux, particulièrement, des Européens. En plus clair, même en
cette période de soi-disant indépendance, les Européens profitent plus de
nous qu’ils nous en donnent. A titre indicatif, il estime que les pays du
sud transfèrent, chaque année, au profit des pays du nord, l’équivalent de
10 milliards de dollars.
L’Occident importe à bas prix des matières premières, attire et débauche
presque des milliers de jeunes compétences formés au prix fort dans leurs
mères patries. Pis encore, la tendance des jeunes qui suivent des études à
l’étranger, même ceux qui ont un patrimoine juteux dans leur pays d’origine,
ne veulent pas retourner au bercail. C’est pour dire que l’emprise étrangère
sur ces jeunes est, désormais, structurelle, voire totale.
Même les investissements directs occidentaux dans les pays du sud de la
Méditerranée profitent plus aux maisons mères qu’aux entreprises locales.
A défaut de maîtrise des technologies de prospection, de forage et
d’exploitation des hydrocarbures disponibles au sud, les entreprises
locales, à l’instar de l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières
(ETAP) et la Sonatrach (Algérie) ne reçoivent qu’un pourcentage des recettes
pétrolières. Le reste revient aux compagnies étrangères.
Idem pour les IDE : quand «Messieurs IDE en Tunisie» disent que l’off shore
assure plus de 70% des exportations, il faut comprendre que 80% des recettes
de ces exportations reviennent aux donneurs d’ordre occidentaux contre des
miettes qui reviennent aux sous-traitants locaux (10 à 20%). Le pays n’en
récolte lui que les emplois créés par les points francs, mais à quel prix,
fût-il celui de maîtriser la contrainte chômage…
Dans cette optique d’engraissement et d’enrichissement de l’Occident,
s’inscrit également la dépréciation des monnaies nationales
sud-méditerranéennes. Cette dépréciation dope les exportations locales et
leur confère une compétitivité artificielle sur les marchés extérieurs.
Conséquence : en fonction d’une parité en faveur des fortes devises (euro,
dollar), les Européens achètent, à prix bradés, nos meilleurs produits
(maltaises, dattes, huiles d’olive, vins, séjours touristiques …), tandis
que les Sud-méditerranéens achètent à prix élevé les produits manufacturés
européens (avions, voitures, biens d’équipement….).
Pour le cas de la Tunisie, il n’est pas besoin de signaler que le trend
baissier du dinar, au regard des glissements qu’il a connus trois décennies
durant, a même tendance à devenir structurel.
Depuis 2001, le dinar s’est déprécié par rapport à la monnaie européenne
(euro) à un rythme moyen de 5% par an, avec une pointe de 8,6% en 2003.
Aujourd’hui, un euro s’échange contre 1,843 dinar (-67% en termes relatifs).
Pour mémoire, le dinar n’a cessé de baisser, depuis le début des années 80.
Deux périodes méritent d’être signalées.
De 1983 à 1991, le taux de change effectif nominal (TCEN) du dinar (taux qui
ne tient pas compte de l’évolution des indices des prix), a connu une
période de dépréciation d’un peu moins de 5% par an.
A l’inverse, tout au long des années 90, le taux de change effectif réel
(TCER) du dinar est resté beaucoup plus stable, avec une dépréciation
moyenne d’environ 1% par an.
Pour mettre fin à ces échanges déséquilibrés, M. Hadj Nacer propose aux
Maghrébins et aux Sud-méditerranéens de réfléchir sur les moyens de
«maintenir, chez eux, leurs jeunes compétences et une partie des richesses
qu’ils exportent vers les pays du nord».
Le conférencier s’est prononcé pour un partenariat équilibré et a appelé à
dépasser la principale difficulté, en l’occurrence l’absence d’une
intégration régionale, d’où l’enjeu de commencer par établir une véritable
solidarité régionale et de réinventer les business-modèles de la zone
Maghreb en général. A bon entendeur.