Tunisie : Tahar Ben Lakhdar ou l’universitaire militant tunisien

taher-ben-lakhdar1.jpgDans
les couloirs de l’université «ESPRIT», la moyenne d’âge atteint
difficilement 25 ans. Dans l’enceinte d’un bâtiment flambant neuf, inauguré
il y a à peine quelques mois, se meut la silhouette d’un septuagénaire à la
forme physique surprenante. Il gravit les nombreux escaliers du bâtiment
d’un pas accéléré et court d’une réunion à l’autre avec entrain. Sous son
allure d’étudiant, Tahar Ben Lakhdar est un retraité heureux.

Retraité, dites-vous ! «Je suis un soixante-huitard, mal fagoté et rempli
d’ambitions pour cette Tunisie que j’aime. C’est grâce à l’école que j’ai
quitté ma montagne de Makthar et que ce sont ouvertes grandes devant moi les
portes du savoir. Je ne sais pas être autre chose qu’un militant
universitaire
». Tout est dit, ou presque, par celui qui a été le fondateur
d’un bon nombre d’institutions universitaires telles que l’Institut
préparatoire de Nabeul, l’Institut supérieur de technologies de Nabeul, ou
l’Ecole supérieure des postes et télécommunication de Tunis -devenue Sup’Com
aujourd’hui….

Résumant plus de 40 ans de bons et loyaux services à la formation et à
l’éducation nationale tunisienne, Taher Ben Lakdhar (TBL) ne peut s’empêcher
de clamer que des efforts incroyables ont été fournis au lendemain de
l’indépendance pour construire l’école de l’avenir pour le pays. D’ailleurs,
la Tunisie moderne n’en est-elle pas un pur produit? Il est indéniable que
les pays qui investissent plus de 21% du budget de l’Etat dans ce secteur
sont rares. TBL surenchère : «Nous avons vraiment fait des miracles avec des
moyens très limités. Nous sommes un petit pays qui a beaucoup investi dans
l’éducation. Même les pays les plus riches du monde n’ont pas démontré une
politique aussi volontariste et acharnée à parier sur leurs ressources
humaines
».

La formule marche et l’éducation est incontestablement un acquis
considérable pour la Tunisie. Cependant, la formation n’échappe pas à la
massification. La quantité se développe au détriment de la qualité.

Aujourd’hui, le chômage des diplômés pose de sérieux problèmes. Ce segment
de la société devient un véritable souci pour l’Etat tunisien, tout en
restant son plus bel atout. Cela crée un malaise chez une jeunesse sans
perspectives d’avenir, à qui l’on hurle qu’ils sont surdiplômés et
sous-qualifiés. L’Etat fait justement de ce défi majeur un dossier
prioritaire.

De fait, réussir la quantité et rattraper la qualité sont les principaux
obstacles que l’Université tunisienne se doit de relever à l’avenir. C’est
précisément à partir de ce constat que Tahar Ben Lakhdar décide d’agir. Il
entreprend de lancer une université pleine «d’esprit», dont la qualité est
le principal leitmotiv et l’ingénierie et les nouvelles technologies sont
l’univers.

Voilà donc qu’il s’entoure de plus d’une soixantaine d’universitaires et
d’ingénieurs qui deviennent alors des actionnaires. Le projet repose sur un
réseau d’experts tunisiens expatriés qui a la lourde tâche
d’internationaliser le projet. S’appuyant sur un noyau de références et
soucieux de garantir tous les ingrédients de succès à l’Ecole Supérieure
Privée d’Ingénierie et de Technologies (Esprit), il ne lui reste plus qu’à
s’entourer des entreprises concernées par ces nouveaux métiers.

Au total, une vingtaine d’entreprises innovantes et pas des moindres
adhèrent au projet : GlobalNet, SSS, Telecom, TelNet, Matech, Equinoxes…
faisant d’elles des partenaires, mais aussi et surtout des futurs employeurs
pour ces jeunes diplômés.

Il ne restait plus qu’à trouver de l’argent. Avec les financements des
principaux «capitaux-risqueurs» de la place et la force de frappe de
Tunivest Finance Group, TITF et Tunisie Leasing, la boucle est bouclée. Ces
derniers mesurent la portée du projet. Il est une carte pour l’avenir. Un
avenir qui ne peut être que radieux, car il accompagne la volonté de l’Etat
de faire de la Tunisie un pays phare en termes de nouvelles technologies. Le
secteur devant jouer un rôle majeur au niveau de l’économie nationale
tunisienne, à l’horizon de 2020.

TBL précise justement que «l’ambition de notre pays est de devenir un acteur
régional et international reconnu dans le cadre du développement de
l’économie de l’immatériel et de la connaissance. Ce domaine est le moteur
de la croissance de demain. Il est impératif de prendre part à la révolution
mondiale de l’industrie des services
». Le projet repose sur une équipe
solide, certes, mais opère aussi dans un secteur d’avenir : les TIC.

Ces derniers sont au cœur de l’univers moderne et constituent une véritable
source de changements et d’enjeux multiples. L’influence des TIC dans le
monde augmente de jour en jour et l’université Esprit se place au cœur de la
modernité. Elle s’y positionne judicieusement, ne reculant devant rien pour
anticiper les demandes et développer les expertises. «A ce jour, nous
n’avons versé aucun dividende à aucun de nos actionnaires. C’est presque une
université privée à but non lucratif où nous exerçons notre citoyenneté. Le
projet est porté par une volonté commune de construire l’avenir
», résume Ben Lakhdar.

Les Tic au cœur de l’innovation et de l’avenir

Le chef de file d’Esprit est conscient que désormais le marché de l’emploi
est un marché unique dans le monde. Pour lui, il s’agit de s’approvisionner
en les meilleurs atouts et compétences pour affronter la mondialisation. La
recherche ne connaît ni les frontières ni les nationalités. En chercheur
qu’il est, TBL en sait suffisamment sur le sujet pour affirmer que : «s’il y
a un domaine où l’on est jamais autosuffisant, c’est bien dans celui de la
Science. S’ouvrir sur l’autre est une règle d’or pour être au diapason des
grandes civilisations et de la modernité
». Convaincu que «la qualité n’est
pas un discours mais bel et bien un comportement
», il s’évertue à appliquer
le théorème au quotidien. Son modèle repose sur l’essentiel, à savoir le
métier. Son approche s’inspire de l’école américaine et allemande. Elle a
fait ses preuves en Asie du Sud-est.

Faire en sorte que la formation réponde aux besoins du marché de l’emploi
est une option, que certains contestent. L’instrumentalisation de l’école au
service du monde du travail dérange.

Pour certains, c’est un réel danger. Pour d’autres, c’est une option
complètement revendiquée. Aujourd’hui, une formation réussie répond
incontestablement aux exigences de la modernité. Entre faire de l’université
un pourvoyeur de diplômés «clés en main» pour l’univers du travail et se
cantonner à une formation passéiste et décalée, il y a un équilibre à
trouver. Serait-ce aussi à l’entreprise d’y mettre du sien, pour mettre les
jeunes diplômés à ses propres standards. Le débat reste ouvert.

Pour le moment, il est clair que dans nos cursus scolaires et
universitaires, il est de plus en plus rare que l’épanouissement personnel,
le plaisir d’apprendre et le développement de l’esprit critique soient un
objectif. Dans nos formations, les études sont trop théoriques. Les langues
et la culture générale sont des handicaps qui pèsent lourds pour un étudiant
qui se doit d’affronter le recrutement et l’entreprise.

Dans l’univers plus spécifique de TBL, les entreprises se plaignent de
difficultés de la communication, de l’insuffisance de la formation
économique et de gestion et d’une formation pas assez opérationnelle sur le
terrain. Pour y répondre, précise TBL, son université «parie sur la
créativité, l’approche par compétences et l’apprentissage de métiers. Nous
travaillons sur des projets réels et concrets. L’oral et les langues sont au
cœur même de note formation. Le tout étant de répondre aux besoins évolutifs
dans des domaines de spécialisations pointus parfaitement certifiés et
internationalement reconnus
». Chez Esprit, les ingénieurs en herbe sont
entourés d’enseignants résidents et travaillent nuit et jour. Les jeunes
diplômés sont recrutés au terme de leur cursus universitaire.

Bien qu’il soit vrai que l’ingénierie échappe à la massification, le système
de formation d’Esprit a pour double objectif «de contribuer à la formation
d’ingénieurs opérationnels qui font défaut au tissu économique et
d’accompagner les mutations technologiques des entreprises par une activité
de recherche de développement et d’innovation». C’est là que réside le
secret. Dans les couloirs de l’université, les étrangers représentent déjà,
ou seulement, 15% du nombre total des étudiants. Les femmes commencent aussi
à investir cet univers -jusque-là réservé aux hommes- et représentent
désormais 35% du total des effectifs.

L’objectif d’une Université qui s’outille à «diplômer» des étudiants de
2010, 2020 ou 2030 ne doit-il pas se composer de savoirs, de savoir-faire et
de savoir-être ? Ne doit-il pas justement répondre aux attentes de la
société et des entreprises pour des expertises et des produits de la
recherche qui pourraient être exportés et valorisés ? TBL et Esprit
proposent des réponses. Ils sont dans l’œil du cyclone et tentent de
répondre aux insuffisances dans les formations d’ingénieurs aussi bien en
quantité qu’en qualité. A l’aube de 2011, le marché tunisien aurait besoin
de 7.000 ingénieurs par an, contre 2.000 ingénieurs en 2003.

Le défi de la qualité est énorme. Celui de répondre à la quantité n’en est
pas moins important.

A vrai dire, il est gigantesque. Des études affirment que la Tunisie aura,
dès 2011, à répondre à près de 500.000 étudiants qui seront en position de
demande de formations. (Contre 100.000 en 1996 et 300.000 en 2003).

La volonté des pouvoirs publics d’associer le secteur privé à la solution du
problème ou d’une de ses parties est en marche. Une loi de l’enseignement
supérieur privé est parue en 2000 et modifiée en 2008. Elle constitue
désormais le cadre politique et juridique de ce gros chantier.

Tahar Ben Lakdhar insiste bien qu’il n’est nullement question de se
détourner de l’école publique et précise que «l’école est un formidable
ascenseur social, où la méritocratie est le seul moteur et unité de valeur.
Aujourd’hui, il s’agit de monter en qualité. L’école peut être considérée
comme l’un des meilleurs relais disponibles. C’est la meilleure des
transmissions, la plus directe et la plus prometteuse. La science n’est pas
objet de commerce
».

Les diplômes privés sont reconnus par l’État. Les établissements agréés sont
placés sous la «tutelle» du ministère de l’Enseignement supérieur, qui est
d’ailleurs représenté dans leurs conseils scientifiques. Il veille sur la
pertinence des formations, la qualification des enseignants et le sérieux
des examens. Considéré comme une composante du système universitaire
tunisien, le privé peut se déployer dans le quantitatif.

TBL l’a saisi. L’université Esprit colle à ce besoin. Elle adhère donc aux
besoins de formation de la nouvelle économie du savoir. La démographie du
pays ne peut que lui prévoir de beaux jours devant elle.

Au bout de 6 ans d’existence, TBL se félicite du bouillonnement créé autour
de sa faculté. Une société des anciens d’Esprit est en train de s’y créer.
Les parents contraints de débourser autour de 20 mille dinars pour la
formation de leurs enfants seraient ravis. Esprit affiche 0% de taux de
chômage.