La crise, les pays émergents l’ont subie sans l’avoir cherchée. A présent
que le G20 a accepté de donner la mission et les moyens au FMI d’orchestrer
la relance, leur souci légitime est de savoir s’ils vont en bénéficier et
dans quelle mesure. C’est bien dans cette perspective que l’Association des
Tunisiens Diplômés (ATD ) de l’Institut des Techniques de Banque de Paris a
inscrit le thème de son séminaire trimestriel qui s’est tenu à la Médina de
Hammamet le samedi 16 courant.
Le sujet a été abordé de trois versants différents. Le premier est
macroéconomique. Il s’agit de prospecter les pistes par lesquelles les pays
émergents pourraient bénéficier d’une quote part des ressources qui seront
mobilisées pour la relance économique mondiale. Le second est celui de la
nouvelle configuration de l’entreprise dans la nouvelle dynamique
économique. Peut-on faire de la prospective sans se pencher sur l’évolution
des devises.
Trois «guest speakers» ont animé ce séminaire. Leurs noms valent
présentation. Ils ont suscité un débat fécond. Ce qui est bien dans la
tradition de l’ATD –IRTB, selon les propos de Riadh Borjini, président de
cette Association.
N’diame DIOP : «Tout dépend de la vigueur de la reprise»
Directeur, représentant de la Banque mondiale en Tunisie
Le FMI disposera d’une cagnotte de 1.100 milliards de dollars. Est-ce
suffisant pour assurer la relance ?
Nous dirions que c’est toujours bon à prendre. C’est un bon début mais je
reste perplexe tout le temps que les plans de sauvetage américain et
européen n’ont pas prouvé la certitude de la stabilisation du système
bancaire et financier. En tout état de cause, cette enveloppe peut aider et
au besoin on peut aviser d’une rallonge. Tout dépendra de la durabilité de
la crise.
Il y aura 250 milliards de dollars pour dynamiser le crédit à l’export. Le
dopage du commerce international peut activer le retour de la croissance ?
Je pense qu’il faut le voir par rapport à un contexte beaucoup plus global
par rapport à la reprise des grands marchés. S’il y a un début de reprise,
ce fonds va aider. Financer l’exportation quand la demande n’est pas au
rendez-vous présente même un risque de sous-utilisation de ces fonds. Tout
dépend de la vigueur de la reprise. Certainement que ça va là où on a manqué
de crédit à l’export mais ça ne remplacera pas le recul de la consommation.
La BM disposera de 100 milliards de dollars. Quelles seront les clés de
répartition entre pays ?
A la BM nous disposons d’un modèle de répartition qui tient compte de la
taille du pays mais également du risque macroéconomique de chaque pays, et
c’est un modèle utilisé en temps normal. Depuis que la crise s’est
installée, des comités ont été mis en place pour examiner la situation des
pays avec lesquels nous travaillons et il y a plusieurs catégories. Il y a
des pays avec lesquels nous sommes engagés dans un soutien en matière de
développement et que nous continuerons à appuyer par des mécanismes
traditionnels.
Maintenant il y a une autre catégorie de pays qui, subitement, se trouvent
dans une situation de crise et de besoins de liquidités pressants. Et, il
peut s’agir de pays qui ne travaillaient pas avec nous auparavant car ils
ont un accès facile au marché financier international, et aujourd’hui on se
trouve les mieux placés pour les aider car nos spreads sont plus bas et que
sur le marché la liquidité est rare.
Comment aider ces pays sans manquer à l’appel des autres? Le débat est en
cours au sein de la Banque.
Comment ça se passe avec la Tunisie ?
Avec la Tunisie, ça se présente plutôt bien. Il faut rappeler que la Tunisie
n’est pas en récession mais seulement en ralentissement du fait de la baisse
de la demande européenne, principal client du pays. Il n’y a donc pas besoin
d’un appui financier massif. Le déficit de la balance courante est gérable
et les IDE continuent à affluer (+40% en 2008). L’on n’est donc pas dans un
schéma de crise financière, il convient de gérer la situation par des
politique contra cycliques.
Noureddine Hajji: «Opportunités et performances, les maîtres-mots en temps
de crise»
Associé Gérant, Cabinet «Ernst & Young»
Vous soutenez que la cartographie des sinistres laisse optimiste. Comment ça
?
C’est clair, les raisons de mon optimisme sont objectives. Si vous revenez
dans les cycles de crises, vous constaterez qu’à l’issue des crises, il y a
des perdants mais aussi des gagnants. Et, d’une façon générale, ceux qui
gagnent sont ceux qui se comportent de façon positive tout au long de la
crise en se concentrant sur les opportunités que recèle la crise. Quelle que
soit l’ampleur des dégâts, il y a toujours des opportunités. La tendance
baissière moyenne est extrêmement forte mais elle n’est pas indicative de
dispersion.
Des valeurs ont beaucoup chuté et d’autres pas. Il y a donc des secteurs et,
j’ajouterais, des pays qui sont en posture de profiter de la situation.
Votre discours repose sur deux concepts chocs : opportunités et
performances. Ils ne seraient pas impropres en temps de crise ?
Le tout est affaire de logique et de démarche. Les opportunités, il faut
d’abord les identifier et ensuite convenir d’un plan d’actions pour les
concrétiser et notamment d’un modèle économique qui doit garantir une
performance durable. Il ne faut pas confondre opportunité et comportement
opportuniste, c’est-à-dire passager; il s’agit bien d’une perspective
durable. Et en l’occurrence nous avons relevé que les dirigeants
privilégient la concentration sur les métiers de base.
La tendance est de se défaire des activités collatérales. Et la session
d’actifs qui s’ensuivrait procurerait de la trésorerie.
Par ailleurs, le mouvement d’agglomération sur le métier de base va tonifier
la chaîne de création de valeur, ce qui est une voie de redressement et
d’expansion.
Vous avez réalisé un sondage auprès de 330 dirigeants d’entreprises de plus
d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires. Quelles ont été les
questions clés ?
Les questions pivotaient autour de deux sujets d’intérêt. La première était
de savoir ce qu’il faut faire dans l’immédiat pour faire face aux situations
urgentes et particulièrement les problèmes liés au rétrécissement de la
trésorerie et de la difficulté de l’accès au crédit. Le deuxième porte sur
l’avenir. Il s’agissait de connaître les comportements des acteurs
économiques sur les fondamentaux de l’entreprise et son avenir. C’étaient là
les deux principaux chapitres couverts par l’enquête.
Vous évoquez un transfert de pouvoir économique de l’Occident vers l’Asie.
Quid des pays du Sud… ?
Ce sont les tendances mondiales. Le centre de gravité du monde qui se
situait de part et d’autre de l’Atlantique ferait un shift vers le
Pacifique. Evidemment le Sud et l’Afrique en particulier pèsent peu sur
l’échiquier.
Quelles sont les méga tendances pour l’avenir ?
Ce que je retiens au premier chef sur les méga tendances est qu’il y aura
plus de pouvoir économique à l’Est asiatique et qu’on va voir apparaître
plus d’acteurs issus de ces pays. Cela signifie aussi que l’on doit
probablement travailler avec ces nouveaux acteurs.
Une autre tendance touche notamment la donnée démographique et qui fait que
l’élévation du niveau de vie va créer un effet d’appel pour les services de
bien-être et de santé, et c’est tout de même une activité pour laquelle la
Tunisie est bien dotée et sur laquelle il conviendrait de se concentrer.
Une troisième qui m’interpelle est qu’il y aura une chasse serrée aux
compétences de la part des entreprises, et là-dessus, il nous faut faire
plus d’efforts en matière de qualité de l’enseignement supérieur pour
produire des diplômés de haut niveau.
Hatem Zaara : «Le marché des changes est encore à la recherce de ses
repères»
Directeur de la Salle de marché Amen Bank
A l’heure actuelle, comment se comporte le marché des changes international
? Et domestique ?
Le marché des changes international est toujours caractérisé par une tension
et une volatilité certes moins importante qu’au 4ème trimestre 2008, mais un
manque de visibilité caractérise le marché en matière d’évolution des cours.
Et d’ailleurs, le réflexe de couverture contre le risque de change devient
général.
C’est vrai qu’il n’y a pas eu de crise du système de change mais la crainte
du lendemain a fait que cette angoisse a été évacuée par l’emballement du
coût des options qui a été tout simplement multiplié par six.
Pour ce qui est de la place de Tunis, le volume des échanges n’a pas baissé
au premier trimestre 2009. Les opérateurs locaux ont manifesté des craintes
bien légitimes mais la batterie d’instruments de couverture est là, pour
faire face.
Cette situation a dopé les opérations à terme y compris sur l’interbancaire.
Et on constate un certain engouement pour les options, ce qui n’a pas manqué
d’impacter favorablement le marché au comptant.
Au final, nous estimons que le marché local a bien traversé la crise, et
d’ailleurs les fluctuations des principales devises ne donnent pas à
craindre des répercussions négatives graves.
Par ailleurs, le marché garde n’est pas frileux et continue à proposer les
primes d’options à leur ancien montant, environ.
Peut-on pronostiquer les évolutions de l’euro et du dollar contre dinar ?
Tout porte à croire que les USA ont de meilleures perspectives de sortie de
crise que l’UE avec une inflation moindre. De ce fait, il y a de fortes
chances de reprise du dollar contre dinar dès le 3ème trimestre 2009 et l’on
ne s’étonnera pas que le dollar touche la barre de 1.500 contre dinar.
Par effet mécanique, dirions-nous, l’euro baissera et la barre de 1.750
contre dinar me paraît plausible. Cela dit, nous recommandons une fois
encore la couverture. Il n’y a pas de vérité en matière de spéculation sur
l’évolution des monnaies et le manque de visibilité rend les hypothèses de
prévisions assez vulnérables. Les hypothèses d’aujourd’hui peuvent être
démenties demain. Le marché est encore à la recherche de ses repères.