Qui ne sait pas que les textiles traversent actuellement une
crise ? C’est pratiquement une vérité de Lapalisse. Cette industrie qui, durant
les cinq dernières années, a attiré près du 1/5ème du total des investissements
directs étrangers se démène aujourd’hui dans différents problèmes. Une note
positive toutefois, le mal n’a pas frappé toutes les entreprises. Il y’en a qui
s’en sortent à merveille et ont vu leurs chiffres d’affaires augmenter. C’est ce
qu’a assuré Afif Chelbi, ministre de l’Industrie, de l’Energie et des PME,
récemment lors du déjeuner-débat organisé par la Chambre tuniso-française de
commerce et d’industrie.
Plus
important encore, a déclaré le ministre, «nous assistons à un phénomène de
préservation de l’emploi dans le secteur malgré la difficulté de la
conjoncture. C’est une enquête réalisée récemment qui le certifie, la
quasi-totalité des entreprises enquêtées déclarent ne pas procéder à des
licenciements». Pour l’instant, car un entrepreneur sur trois envisagerait
des licenciements et ce malgré le mouvement de solidarité qui a animé la
classe ouvrière au niveau du secteur et dont parle avec beaucoup d’émotion
Mohsen Ben Abdallah (Baco Sport) : «La crise représente une occasion
appropriée pour les investissements et les restructurations. Nous appelons à
une solidarité à tous les niveaux pour y faire face. Je voudrais attirer
l’attention sur les lourdeurs des rouages administratifs et la lenteur de la
mise en application des mesures d’urgences, par contre je rends hommage à la
compréhension et au sens de solidarité des personnels ouvriers qui ont fait
montre de responsabilité et ont accepté des mesures douloureuses telles la
réduction des heures de travail, sans passer par l’administration. Les
institutions, elles, nous laissent nous débattre dans nos difficultés… Elles
mettent tellement de temps à répondre aux demandes des entreprises que je
serais étonné que ces dernières puissent en profiter». Ce n’est pas l’avis
de tous les entrepreneurs, car Habib Miled de VTL estime pour sa part que
l’administration a été très réactive à ses appels. «On n’a pas mis plus de
20 jours pour répondre à mon recours d’appliquer les mesures préconisées par
l’Etat pour soutenir les sociétés exportatrices. Un troisième contrat de
mise à niveau a pris tout juste quarante huit heures pour que toute la
machine administrative se mette en marche. Le secteur des textiles reste un
secteur des plus rentables, il ne faut pas que les aides de l’Etat se
transforment en assistance, les entreprises doivent avoir le courage
d’investir et de travailler», a-t-il clamé.
La transparence, encore et toujours…
L’Etat est conscient de l’urgence de certaines situations, a observé M.
Chelbi, le ministère des Affaires sociales s’est mobilisé pour activer la
mise en application des mesures d’urgence de manière acceptable. «Nous
savons également qu’il y a eu beaucoup de problèmes au niveau des mécanismes
financiers. Les mesures de soutien aux entreprises exportatrices seront
prorogées jusqu’à la fin de l’année, des mesures correctives y seront
apportées. Concernant le volet financier, nous travaillons avec la Banque
centrale et l’ensemble des autres banques pour aplanir les difficultés avec
les entreprises. D’autre part, et vu que le dialogue entre l’UTICA et l’UGTT
n’a pas encore abouti, nous voudrions que les accords entrent en application
de manière formelle entre partenaires sociaux».
Il est une autre condition qui susciterait plus de réactivité de la part de
l’Etat par rapport aux revendications des entreprises et c’est bien
évidemment la transparence.
«Pourquoi a-t-on du mal à obtenir les états financiers des entreprises ?, a
interrogé Sami Zaoui, d’Ernest and Young, chargé d’une étude sur le secteur
des textiles, sur 33 requêtes de bilans adressées à des entreprises opérant
dans les textiles, nous avons reçu uniquement 5 réponses dont l’une était
même un bilan qui date de 2005. Dans un tel état d’opacité et dans la non
transparence financière, on ne peut pas s’attendre à des progrès».
Pour le ministre Chelbi, la transparence des entreprises est une condition
sine qua none pour renforcer les moyens d’intervention de l’Etat et lui
permettre de soutenir une grande partie des entreprises des textiles qui
«souffrent de déséquilibres financiers».
Il faut reconnaître que la Tunisie s’est toujours relativement bien tirée
s’agissant des textiles. Cette fois-ci encore, elle arrive à tirer son
épingle du jeu en tout bien tout honneur, c’est ce qu’observe le
représentant du bureau de consultants «Gherzi» opérant dans le secteur et
installé en Tunisie : «Dans un moment où nous vivons une réduction de
l’offre et une contraction de la demande, la Tunisie garde une place
extrêmement importante dans les dispositifs d’approvisionnement sur le
marché européen, ce qui prend un relief particulier en période de crise. Sa
position est d’autant plus renforcée».
D’autre part, a ajouté l’intervenant, la plupart des pays textiles
développent considérablement les aides à l’investissement et à la
modernisation en temps de crise car l’aspect qualitatif devient déterminant.
Grâce aux nouveaux instruments financiers mis en place par la Tunisie, tels
les fonds d’Etat, on peut doubler les subventions. L’Etat doit renforcer son
soutien et prendre des mesures transitoires qui peuvent s’étaler sur 4 ou 5
ans et même prendre des participations minoritaires dans les capitaux de
certaines entreprises afin de les aider à sauter le pas.
«Nous travaillons sur des mesures d’accompagnement. Le programme de mise à
niveau lui seul est unique. En Méditerranée, il n y a pas un pays qui
finance à 50% les équipements CDAO, DAO», a précisé Afif Chelbi, ajoutant
que ces derniers temps, on a relevé un afflux plus important des entreprises
sur les programmes de mise à niveau. Les primes de mise à niveau octroyés et
décaissées chaque année sont de l’ordre de 44 millions de dinars dont un peu
moins de la moitié va au secteur textile. Le FODEC est renforcé, seule
condition de soutien de l’Etat : de nouveau et on ne le dira jamais assez :
la transparence.
Sur cette même lancée et dans l’optique de renforcer les investissements, la
mission économique française est en train de finaliser avec la Banque
centrale de Tunisie un accord pour un investissement productif des
entreprises. Le protocole permettra le lancement d’une ligne de crédits pour
les investissements PME/PMI dans une fourchette de 100.000 à 2 millions
d’euros. Sa mise en application se fera à la rentrée économique.
Aussi difficile soit-elle, la crise, vécue aujourd’hui, n’est pas nouvelle,
même si la conjoncture en 2009 est particulière s’agissant de la
globalisation de la crise économique et ses répercussions sur tous les
secteurs d’activité. En ce qui concerne le secteur du textile/habillement,
nous pouvons même dire qu’elle est cyclique. Rappelons pour l’histoire, les
appréhensions des professionnels du secteur lors de l’accord multifibres,
ensuite lors du démantèlement tarifaire avec l’Europe. La Tunisie et ses
professionnels s’en sont toujours bien sortis.
Ce n’est pas si sûr, nous dit Souhail Ben Abdallah de Baco Sport.
«L’intégration a été mal préparée quelque part, historiquement nous sommes
un pays industriel pourvoyeur de main-d’œuvre, compétitif aujourd’hui mais
surtout dans un secteur, celui de la confection. Il n’y en pas beaucoup qui
font de la filature et du tissage, mais en retour la plupart des entreprises
font de la confection, le design, la mode, on n’en fait pas beaucoup non
plus. Nous ne maîtrisons pas l’échelle des valeurs, les achats, le
transport, la distribution. Nous sommes concentrés sur un seul pays qui est
la France, nous ne sommes pas très présents dans beaucoup de pays, comment
s’exporter ailleurs, sur d’autre marchés ? Nous sommes également faibles en
matière de finissage et de filature».
Des ambitions légitimes
Non, la Tunisie ne limitera pas son rôle à celui de sous-traitant, ou de
pourvoyeur de main d’œuvre, répond le ministre de l’Industrie; ses ambitions
sont autres.
Tout d’abord, développer les textiles techniques et exploiter au mieux la
haute technicité des ressources et passer dans le créneau du finissage de 40
millions de mètres à 140 millions de mètres pour couvrir 40% des besoins en
2016 contre 10% actuellement.
D’autre part, on procèdera au renforcement de la création design et on
assurera une plus forte contribution du pôle de compétitivité (12.000
emplois pour 210 entreprises). Objectif : concrétiser le programme mis en
place pour la maîtrise des circuits de distribution et passer de la
sous-traitance au produit fini à l’international.
Il sera également question de développer une offre réactive et attractive,
élargir les circuits et les gammes et augmenter le nombre d’entreprises
opérant dans les produits finis.
La Tunisie est le pays du Sud de la Méditerranée qui accueille le plus grand
nombre d’entreprises européennes et particulièrement françaises (37%). Sur
les importations françaises, 1 jean sur 4 est fabriqué en Tunisie, un
maillot de bain sur deux, deux vêtements de travail sur trois et un
soutien-gorge sur trois, la Tunisie est classée 2ème exportateur mondial en
textiles par tête d’habitant, des raisons plus que suffisantes pour
maintenir le cap et conforter la position du pays sur d’autres marchés.
Malgré la conjoncture difficile, l’évolution des intentions d’investissement
sont globalement positives. La Tunisie maintient sa position de 5ème
fournisseur de l’Union européenne dans l’habillement, ce qui représente
aujourd’hui une performance. Entre 2000 et 2009, le prix moyen à l’export
des produits tunisiens a évolué de 23 à 48 dinars, ce qui démontre qu’ils
ont acquis plus de valeur ajoutée même en prenant en compte le glissement du
dinar.
L’autre indicateur très révélateur de la solidité du secteur des textiles,
la préservation de l’emploi, affirme le ministre de l’Industrie. Les
fermetures d’entreprises ou les pertes d’emploi représentent les mêmes
chiffres en 2009 qu’en 2008. (Ce n’est pas ce que disent certains opérateurs
du secteur).
D’autre part, et signe positif de la réactivité des professionnels par
rapport à la conjoncture, pas mal d’entreprises ont bougé pour arracher des
marchés et se sont engagées dans une politique promotionnelle pour
promouvoir le site Tunisie, l’Europe et la France en particulier.
Selon certains observateurs, les prochaines années sont extrêmement
importantes et seront à l’avantage de la Tunisie, car on assiste à un
redéploiement géographique des entreprises européennes suite à l’entrée des
pays de l’EST dans l’Europe unie et à la hausse des salaires en Chine qui ne
peut plus prétendre être un site aussi compétitif qu’auparavant, ceci sans
oublier les nouvelles donnes engendrées par la crise.
Les exportations du secteur textile sont passées de 4.135 millions de dinars
en 2002 à 5.185 millions de dinars en 2007, soit un taux d’accroissement de
l’ordre de 4%par an. La production du secteur a atteint 5 247 millions de
dinars en 2007 contre 5.235 millions de dinars en 2002, avec une valeur
ajoutée de 1.574 MD en 2007 soit 30% de la production, a déclaré Foued
Lakhoua, président du CTFCI en précisant que les investissements ont
régressé pour passer de 158 millions de dinars en 2002 à 150 millions de
dinars en 2007 et la part du secteur dans les investissements des industries
manufacturières oscille entre 13 et 16%.
Reste qu’à la fin du déjeuner, M. Lakhoua n’a pas eu de réponses à ses
interrogations, rappelez-vous (article Tunisie-Textile exportation : 4
milliards d’euros d’ici 2016 paru sur le webmanagercenter du 29 mai). Les
questions se rapportaient au démarrage triennal du développement du secteur
textile/habillement et à la préparation en amont de la participation
tunisienne aux salons internationaux du textile.
Il est un thème également qui n’a malheureusement pas été abordé lors de ce
déjeuner-débat, c’est celui de la composante écologique dans les industries
textiles et son importance au niveau des marchés européens. Ce créneau
mériterait qu’on s’y attarde dans l’avenir.