Mahmoud Triki : «Le savoir, indicateur de la compétitivité des entreprises et des pays»


Mahmoud
Triki :
Notre point de départ par la création de la South Mediterranean
University était le développement en Tunisie d’un pôle universitaire
régional d’excellence répondant aux aspirations des jeunes et celles des
institutions économiques de la région. La Tunisie a une place à se faire
dans un nouveau marché du savoir en plein essor. Notre pays a toujours été à
l’avant-garde. Il nous revient à nous tous de maintenir ce leadership et de
renforcer notre avantage comparatif en la matière.

La MSB n’est-elle pas un bel outil pour mener ce combat ?

Les membres fondateurs de la South Mediterranean University (SMU) sont des
représentants des entreprises, des business leaders, des professionnels et
des universitaires motivés par un même objectif. Notre but est de doter
l’économie tunisienne, ainsi que celles des pays de la région des meilleures
compétences sur les plans technologiques et de gestion. Pour atteindre notre
objectif d’excellence, nous avons concentré tous nos efforts sur un seul
programme, à savoir le MBA.

Ce programme vise la formation et le perfectionnement des dirigeants
d’entreprises. Cette stratégie a été dictée par notre souci d’avoir un
impact immédiat sur la performance des entreprises clientes. Afin de
répondre au mieux aux besoins du marché international de l’emploi et
d’accéder aux meilleurs professeurs et matériel pédagogique, nous avons opté
pour l’adoption de la langue anglaise dans un environnement universitaire et
professionnel dominé par la francophonie. Notre orientation régionale vise
le Maghreb, l’Europe du Sud et l’Afrique. Il était capital de mobiliser des
investissements conséquents pour le développement d’infrastructures
répondant aux normes internationales.

Dans l’ensemble, la phase de démarrage de la SMU a été concluante. Notre MBA
devient une référence dans la région et se classe parmi les meilleurs en
Afrique. Il a attiré plus de 350 participants représentant 13 nationalités.

Au delà du MBA, il semble que votre institution ait rapidement introduit
d’autres programmes…

Absolument, en 2008 nous avons introduit un nouveau programme destiné aux
jeunes diplômés. Ce programme baptisé «PRIME» facilite l’immersion des
nouveaux diplômés dans le Marché de l’Emploi. Il s’agit d’un programme
novateur organisé en étroite collaboration avec les professionnels et permet
à la fois l’acquisition de la langue anglaise et l’initiation à la vie en
entreprise. Il permet de raccourcir la période d’adaptation des nouveaux
diplômés à la vie professionnelle et aux participants de se positionner sur
le marché international de l’emploi.

Votre nouveau siège sera-t-il opérationnel pour la rentrée prochaine ?

Nous avons entamé aux Berges du Lac la construction d’un campus de ville
ultra moderne et parfaitement équipé. Il sera opérationnel en septembre 2010
pour le lancement de nouveaux programmes de Licence et de Magister dans les
différents domaines du Management. Avec la diversification de nos filières,
le nouveau campus servira aussi à démarrer nos programmes d’ingéniorat.
Rappelons que la SMU vise deux principaux domaines de spécialisation
difficilement dissociables: le Management et l’Ingéniorat.

Que répondez-vous à ceux qui affirment que le prix du MBA est trop élevé ?

Tout d’abord, quand il s’agit de payer une formation, il est important de
penser en termes d’investissement amortissable sur plusieurs années et non
en termes de «prix» ou de «coût». Maintenant, ceux qui qualifient
l’investissement de trop élevé, par rapport à quoi ?

L’objectif de la MSB est de former des managers aptes à relever les défis de
la mondialisation de leurs entreprises et de les doter d’un niveau de
compétences égal à celui de leurs concurrents des pays développés. Notre MBA
est enseigné par les mêmes professeurs qui enseignent dans les Business
Schools parmi les plus prestigieuses (Chicago, London Business School, New
York University, …). A qualité égale, le MBA offert par la MSB coûte une
fraction de son équivalent dans les Business schools que nous venons de
citer. Cette fraction varie du tiers au cinquième des frais de scolarité
pratiqués ailleurs.

De plus, effectuer un MBA à l’étranger engendre des frais de déplacement
avec tout ce que cela implique comme exportation de devises pour les frais
de scolarité et charges annexes. La MSB rend accessible une formation d’un
niveau international à des coûts très compétitifs. Désormais, ce sont des
étudiants étrangers qui viennent effectuer leur MBA en Tunisie. Au-delà des
économies, nos programmes se distinguent par la convenance de la proximité,
les possibilités de «networking» qu’ils offrent et leur adaptabilité au
contexte des problèmes de gestion rencontrés par les entreprises de la
région.

D’un point de vue strictement financier, pour l’ensemble du programme qui
s’étale sur deux ans, les frais de scolarité de notre MBA est de l’ordre de
13.000 euros pour les participants tunisiens et de 18.000 euros pour les
participants non tunisiens. Le coût de programmes de qualité comparable se
situe entre 40.000 à 65.000 euros dans les universités européennes et
nord-américaines.

Parlons du secteur et des mutations qu’il subit. Désormais les pays se
livrent une guerre acharnée pour attirer les universités les plus
prestigieuses. L’éducation devient plus que jamais un outil de développement
du capital humain et une unité de mesure de la compétitivité des pays. La
Tunisie a toujours parié sur l’éducation. Comment négocie-t- elle les
profondes mutations de ce secteur d’importance stratégique ?

Le secteur de l’enseignement supérieur subit des mutations sans précédent.
La Sorbonne et l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussés lancent en France des
programmes privatisés et s’installent à l’étranger. Dauphine s’installe
prochainement en Tunisie. Quand la SMU a démarré ses activités il y a 6 ans,
les universités étrangères étaient pratiquement absentes dans les pays du
Golfe. Aujourd’hui, des dizaines d’universités s’y sont installées. Les pays
du Golfe accordent des incitations financières se chiffrant à des dizaines,
voire des centaines de millions de dollars pour attirer des institutions
universitaires parmi les plus prestigieuses.

En Asie, on note la ruée de centaines d’universités américaines et
européennes vers les grands pays en émergence dont notamment la Chine et
l’Inde. Les pays développés parlent de «part de marché» pour attirer les
étudiants étrangers. Pour les pays développés, c’est un excellent vecteur
pour favoriser la vente ultérieure de leurs technologies. C’est un marché
dominé par les USA qui en détiennent près de 28%, suivi par l’Angleterre.

“L’enseignement supérieur perd sa nationalité. Il devient principalement une industrie de services”.

Au-delà du mouvement de privatisation du secteur, quelles autres tendances
pouvez-vous nous citer ?

J’aimerais citer deux principales tendances. Tout d’abord, la globalisation
de l’éducation :
les grandes écoles et universités se décloisonnent et
développent des alliances stratégiques et des partenariats à l’échelle
internationale. Ceci a engendré le développement de programmes d’échanges
d’étudiants et d’enseignants entre institutions de différents pays.

Avec les nouveaux besoins de revenir périodiquement à l’université,
l’intégration de la formation et du perfectionnement des cadres comme
activité principale du secteur de l’enseignement supérieur
, nous notons que
la séparation entre l’enseignement supérieur et la formation professionnelle
devient caduque.

Il est important de reconnaître que l’enseignement supérieur perd sa
nationalité. Il devient principalement une industrie de services. La théorie
n’est plus une finalité, mais un outil nécessaire pour anticiper à temps les
changements de l’environnement des affaires et pour mieux gérer les
phénomènes qui nous entourent.

Ces deux principaux facteurs ont contribué au mouvement de privatisation de
l’enseignement supérieur par la création d’universités privées et par la
privatisation de certains programmes organisés par le secteur public.

Concernant la fusion Enseignement supérieur – Formation professionnelle,
pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?

Absolument. Notez qu’on enregistre des mouvements dans les deux sens entre
universités et Centres de Formation professionnelle. Le journal Le Monde
dans son édition du 13/02/09 fait état de diplômés qui s’inscrivent dans des
Centres de formation des Apprentis (CFA) en présentant le cas d’un
polytechnicien qui s’est inscrit au CFA de Quimper et prépare un certificat
d’aptitude professionnelle (CAP) de plomberie. Le même article rapporte que
le CFA en question n’a pas attendu l’émergence du phénomène pour ” recruter
” de la matière grise en provenance des campus.

De nos jours, rares sont les universités de pays développés qui n’ont pas de
“Direction” et de programmes de perfectionnement de cadres. Pour tous les
programmes destinés au système productif, la mission de l’université
s’éloigne de plus en plus de la théorie pour devenir un centre de formation
et d’entretien des compétences. Ce que je dis risque de lever le bouclier
des théoriciens purs et durs.

Et pour la Tunisie, où est l’opportunité ?

Cette nouvelle activité de perfectionnement des cadres est généralement
privatisée, et du fait que la Tunisie se veuille un pays exportateur de
services au même titre que le tourisme ou la santé, on peut conclure que le
potentiel de développement de l’enseignement supérieur privé est énorme.
Au-delà d’offrir aux entreprises tunisiennes des programmes de formation et
de perfectionnement de cadres aptes à assurer à ces dernières leur
compétitivité à l’échelle internationale, la Tunisie a tous les atouts pour
devenir une plateforme régionale de formation et de perfectionnement de
cadres, surtout dans les domaines les plus demandés, à savoir le Management
et l’Ingéniorat.

Quels sont les atouts qu’il convient de mettre en avant ?

Les atouts de la Tunisie sont énormes. Il y a de quoi être fier de son
appartenance à la Tunisie. J’ai passé de longues années aux USA pour mon
éducation et pour servir la Tunisie en tant que responsable du programme de
transfert technologique USA/Canada – Tunisie. A l‘époque, j’appréciais un
des professeurs américains associé à notre programme qui, s’adressant aux
Tunisiens qui terminaient leurs études, leur écrivait pour le féliciter : «
… vous avez de la chance d’appartenir à un beau pays qui a beaucoup de
potentialités de développement».

Notre pays se fait fort de son emplacement géographique, de son niveau de
développement avec un revenu par habitant parmi les plus élevés en Afrique,
de son tissu industriel qui peut servir de «cas vivants» pour les étudiants.

Il se caractérise par la stabilité politique, l’émancipation de la femme,
l’héritage culturel, la vocation touristique, l’homogénéité de la
population, le niveau élevé de tolérance, la neutralité, la modération et
les liens d’amitié avec l’ensemble des pays du monde. J’ai une tendre pensée
pour le Professeur Carl Brown de l’Université de Princeton qui se référait à
«MAMA» pour présenter les spécificités de notre pays (Méditerranéen, Arabe,
Musulman, Africain). Tous ces atouts significatifs font de la Tunisie un
pays unique dans la région et la qualifie pour être le trait d’union entre
les pays développés et l’Afrique. Il nous revient de savoir comment
capitaliser sur cet avantage comparatif avant qu’il ne soit trop tard.

“La Tunisie a tous les atouts pour devenir une plateforme régionale
de formation et de perfectionnement de cadres, surtout dans les domaines
les plus demandés, à savoir le management et l’ingéniorat”

L’université privée est totalement dépendante des recettes provenant de ses
prestations. Elle est donc une entreprise qui subit aussi l’impact des
crises. Quel est justement l’impact de la crise économique actuelle sur
l’enseignement supérieur privé?

Sachez que la crise touche les deux secteurs (privé et public) mais à
différents niveaux. Pour l’ensemble du secteur, l’impact de la crise a été
négatif sur le plan financier et positif sur le plan des inscriptions aux
programmes de formation. Ce constat, d’ailleurs, s’applique à l’échelle
internationale.

Pour le secteur public, les restrictions budgétaires se sont traduites
généralement par des restrictions au niveau du recrutement et des salaires,
par des réductions des budgets alloués à la recherche, aux projets
d’investissement, et aux bourses allouées aux étudiants. Pour le secteur
privé dont le financement dépend des recettes provenant principalement des
frais de scolarité, des contrats de recherche, des programmes de
perfectionnement de cadres, des dons, et dans certains pays, des subventions
de l’Etat, l’impact a été encore beaucoup plus important.

Par contre, au niveau de la demande pour des inscriptions en troisième cycle
et dans des programmes de perfectionnement de cadres, la crise a eu un
impact plutôt positif. La situation du marché de l’emploi pour les nouveaux
diplômés les incite à poursuivre leurs études. Ils reportent ainsi
l’échéance de leur positionnement dans le marché de l’emploi. Il en est de
même pour les cadres mis en chômage. Ils reviennent aux universités pour
parfaire leurs compétences ou pour envisager un changement de carrière.

Mais comme les frais de scolarité ne couvrent qu’une partie des budgets de
fonctionnement des universités, surtout pour celles qui accordent une grande
importance à la recherche, l’impact de la crise est nettement négatif. Vous
savez, le partenaire principal de l’université est l’entreprise. Comment
pouvez-vous être prospère quand votre partenaire principal est en crise?

Qu’en est-il de l’impact de la crise économique en Tunisie ?

La politique prudentielle et la rigueur de son système bancaire lui ont
permis d’échapper aux catastrophes et scandales financiers d’autres pays,
dont certains parmi les plus développés. En s’inscrivant dans la logique des
tendances et mouvements enregistrés dans le secteur de l’enseignement
supérieur à l’échelle internationale, cette crise peut être transformée en
opportunité pour le secteur de l’enseignement supérieur tunisien. La Tunisie
jouit de plusieurs avantages pour devenir un exportateur de services
éducationnels vers les pays africains. Elle est en mesure d’offrir des
programmes de qualité à une fraction des tarifs pratiqués par des
universités européennes et nord-américaines.