Nombreuses sont les questions qui taraudent les esprits de
tous ceux qui sont concernés de près ou de loin par la dernière loi sur les
sociétés commerciales. D’aucuns estiment qu’il est temps d’instaurer plus de
transparence, en particulier s’agissant des entreprises cotées en Bourse,
certains pensent que le temps est venu de lever le voile sur les abus de
certains dirigeants d’entreprises concernant leurs rémunérations, d’autres
estiment au contraire que la compétence se paie, la performance, l’effort et la
disponibilité aussi.
Dans l’entretien ci-après, Youssef Kortobi, PDG de «l’Arab Financial
Consultants» (AFC), nous explique le pourquoi et comment d’une telle loi et son
impact sur le marché boursier.
Webmanagercenter:
Quelle est l’importance de la promulgation d’une loi de sociétés
commerciales appelant les dirigeants des groupes à déclarer leurs
rémunérations à leurs actionnaires et obligent les commissaires aux comptes
à en faire état dans leurs rapports spéciaux ?
Youssef Kortobi: Vous faites allusion à la loi 2009-16 du 16 mars 2009 et
plus précisément à la nouvelle rédaction de l’article 200 du Code des
sociétés commerciales.
Effectivement, il s’agit de dispositions très importantes, car elles
s’inscrivent dans le droit fil des principes de bonne gouvernance. Ainsi,
logiquement, les assemblées générales ordinaires qui se tiendront en 2010
pour statuer sur la gestion 2009 auront à approuver les conventions
relatives aux rémunérations et avantages en natures des dirigeants de toutes
sociétés anonymes, même celles qui ne font pas appel public à l’épargne et
celles qui ne sont pas cotées en Bourse.
Il est à préciser que ces conventions doivent être, au préalable, autorisées
par le conseil d’administration avant d’être approuvées par les AGO. Le
commissaire aux comptes en mentionne l’existence dans son rapport spécial.
Dans ce cadre, en toute logique, l’approbation de l’AGO n’est pas
annuellement requise et demeure valable tant qu’il n’y a pas une quelconque
modification des termes de la convention précédemment approuvée par une AGO.
Comment se répercutera la nouvelle loi des sociétés commerciales sur les
sociétés cotées, et y- a-t-il des dispositions particulières les concernant
?
Pour les sociétés cotées, rien de particulier, c’est le droit commun qui
leur est appliqué, elles sont des sociétés anonymes avant tout. Par contre,
chaque fois qu’à l’occasion d’une offre publique, d’une émission de valeurs
mobilières ou d’une admission à la cote de la bourse, une société anonyme
cotée ou non cotée établit un prospectus soumis au visa du CMF, il lui est
fait obligation d’indiquer la rémunération et les avantages en nature des
organes d’administration et ceux de gestion. Ceci sous une forme globale,
pour chaque catégorie et non à titre individuel par dirigeant. Ce qui
changera pour les sociétés cotées, c’est la médiatisation qui se fera de la
question.
Il faut espérer que l’on sache raison garder et ne pas tirer de conclusions
hâtives sur tel ou tel niveau de rémunération. Le sujet ne doit être ni
tabou ni donner lieu à des dérives qui peuvent coûter très cher. Il faudra
ne jamais perdre de vue que, d’une part, l’appréciation de la valeur d’un
dirigeant ne se limite pas au résultat de l’exercice et que, d’autre part,
les frais de représentation peuvent être énormes et qu’un certain niveau de
standing est obligatoire. Il faut veiller à ce que le gestionnaire soit
suffisamment motivé et indépendant. Il nous faut savoir garder les
meilleurs, ne pas niveler par le bas et oser récompenser les plus méritants.
Bien entendu, d’une manière décente, en évitant les excès et rester en
adéquation avec notre réalité tunisienne.
Ce qui est vraiment positif dans cette question, c’est que cela servira à
établir des «benchmark» et que l’on s’interrogera sur la disparité des
rémunérations entre le public et le secteur privé, et sur les stratégies à
mettre en place pour attirer et ramener au pays les compétences tunisiennes
à l’étranger dont nous avons un fort besoin.
Quel est son impact sur le marché boursier ?
Sous réserve de ce que je viens d’évoquer, l’impact sur le marché boursier
ne sera que bénéfique je l’espère, car toute action, tout élément
contribuant au renforcement de la transparence est fortement apprécié tant
par les notateurs que les analystes et les investisseurs.
Est-ce que les jetons de présence sont concernés par la nouvelle loi ?
La question des jetons de présence était déjà organisée par l’article 204 du
CSC.
Une précision importante à mon avis : les AGO doivent aborder la question de
la rémunération des administrateurs d’une manière positive, car l’entreprise
et l’actionnaire et toutes les autres parties prenantes ont besoin d’un
conseil d’administration compétent, motivé, composé en partie des
administrateurs indépendants professionnels qu’il faut rémunérer en fonction
de leurs apports et de leurs expériences, éventuellement voire certainement
à un niveau supérieur à celui des autres administrateurs qui sont, par
ailleurs, actionnaires ou membres de l’exécutif de l’entreprise.
Pensez-vous que certaines entreprises ou certains groupes trouveront les
moyens de contourner la loi, et dans ce cas quelles en seraient les
conséquences ?
Je ne peux le penser et je me refuse de le faire tant cette loi sert
l’intérêt de l’entreprise. En ce qui concerne les entreprises prises
individuellement, chaque commissaire aux comptes veillera à la conformité à
la loi. Pour les groupes, aucune obligation légale n’existe pour que le
commissaire aux comptes établisse un rapport spécial relatif aux états
financiers consolidés, donc il n’y a pas obligation de faire la revue des
rémunérations et avantages en nature attribués aux dirigeants qui cumulent
plusieurs fonctions au sein d’un même groupe.En fait, on en revient à
l’éternel débat quant à l’équilibre à trouver entre ce qui doit être imposé
par la loi et l’autorégulation. A chacun de trouver sa voie. Ce qui est
certain c’est que le marché sait toujours apprécier et faire la part des
choses.
Bio-Express
Youssef Kortobi est le PDG de l’Arab Financial Consultants «AFC»,
Intermédiaire en Bourse filiale de l’Arab Tunisian Bank “ATB”, PDG de Arabia Sicav, PDG de Sanadett
Sicav et Président du conseil d’administration de la Bourse de Tunis depuis mars
2007.
Il est titulaire d’une licence en Droit privé et d’un Diplôme du « Centre
d’études financières économiques et bancaires “CEFEB” délivré par la CCCE
(actuelle AFD) de Paris.