Tunisie- Emploi : ”L’intérim est un levier économique et social majeur”, selon Jamal Belahrach

En touchant l’économie dans sa totalité, tant le commerce,
l’industrie que les services, la crise n’a épargné personne. L’intérim qui
satisfait aux besoins d’entreprises désireuses de flexibilité dans la gestion de
leur ressources humaines. La situation même du secteur de l’intérim, pas encore
légiféré dans notre pays, le rend encore plus fragile parce que non réglementé.
Etat des lieux avec Jamal Belahrach, Manager général des filiales extérieures de
Manpower France.


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: Parmi les conséquences les plus néfastes de la crise économique, celles se
rapportant à l’emploi ou plutôt au chômage, car il semblerait que les
intérimaires soient les premiers à faire les frais des difficultés vécues
par les entreprises aujourd’hui. Comment Manpower vit-elle cette situation ?

Jamal Belahrach : La crise a touché toutes les entreprises du monde. Opérant
dans le secteur des services; nous faisons partie de la chaîne de production
et, à ce titre, nous avons évidemment été touchés. Les taux de nos actions
ont chuté, heureusement ils sont actuellement en train de remonter. Si nous
prenons le marché français du travail temporaire, l’un des plus importants
au monde, la récession y est à 35%, c’est énorme. C’est pratiquement moins
200 mille emplois intérimaires sur une année, c’est effarant. En Tunisie, en
7 à 8 mois, la crise nous a fait perdre 20% de notre activité, ce qui est
considérable dans le marché de l’intérim.

Cette crise s’est attaquée de plein fouet aux entreprises de services.
Lorsque nous sommes sur un marché comme le marché tunisien, fortement
exportateur, qui abrite un grand nombre d’entreprises délocalisées dans les
secteurs de l’industrie mécanique et électronique, des textiles et celui du
tourisme, il paraît tout à fait normal que nous subissons les soubresauts
des difficultés vécues par les opérateurs qui évoluent dans ces secteurs. En
situation de crise, les entreprises commencent par licencier les
intérimaires.

Il y a eu du recul sur certaines activités en Tunisie, il y a eu également
repositionnement d’autres opérateurs relocalisés dans notre pays ?

Le repositionnement dont vous parlez ne sera perceptible qu’à partir de
2010. Nous ne pouvons prétendre avoir des données chiffrées aujourd’hui. Par
contre, effectivement, de grands groupes dont les sièges sont situés en
Europe doivent se dire, la Chine c’est trop loin, on ne peut avoir la
qualité ou les normes que nous exigeons sans oublier le climat social qui y
devient de plus en plus tendu. Les travailleurs chinois sont devenus plus
exigeants pour ce qui est des revendications salariales, ce qui implique une
main-d’œuvre moins compétitive. Même l’Europe de l’Est devient de moins en
moins intéressante pour les investisseurs, le coût social y est trop élevé.
Le cas roumain dans le secteur automobile est édifiant.

Après l’augmentation du SMIG à 600 euros, Renault est aujourd’hui obligée
d’améliorer les traitements de ses ouvriers, ce qui change la donne pour elle.

Les pays maghrébins représentent aujourd’hui des destinations intéressantes
pour les entreprises européennes qui envisagent de se relocaliser. D’autant
plus que les ressources humaines en quantité et en qualité sont disponibles.

Quel est l’apport d’une firme comme Manpower en matière de ressources
humaines ?

Des entreprises comme la nôtre sont importantes parce qu’elles sécurisent
les opérateurs étrangers qui désirent s’implanter en Tunisie. Lorsqu’ils
savent que nous sommes présents sur le marché du travail, ils sont rassurés
parce qu’ils savent qu’ils trouveront sur place de la flexibilité et qu’ils
peuvent recourir au travail intérimaire.

Contrairement à certaines idées reçues qui décrètent que le travail
intérimaire engendre la précarité, la réalité est toute autre. Une
entreprise qui utilise la flexibilité comme mode de management n’a pas pour
conséquence l’insécurité. Certains, dont les mentalités n’ont pas évolué
sont restées archaïques, le croient peut-être mais ça n’est plus du tout le
cas. Il est grand temps pour nos partenaires sociaux au Maghreb
d’appréhender la problématique du travail temporaire autrement.

Mais il y a des faits réels qui montrent que certaines agences de travail
intérimaire ont des pratiques peu professionnelles ?

Il est vrai que certains opérateurs du secteur de l’intérim ne respectent
pas les règles élémentaires de l’activité de l’intérim et lèsent les
travailleurs, c’est pour cela qu’il est capital de structurer le marché.
C’est pour cela qu’il faut partir en campagne contre ces gens qui s’adonnent
à des pratiques amorales.

Aujourd’hui plus que jamais, le marché de l’intérim devrait être organisé,
géré et encadré par la loi. Ceci permettra de mettre en confiance les
investisseurs étrangers mais aussi nos partenaires tunisiens.

En réalité, j’estime que nos partenaires sociaux ont raison d’être
exigeants. Il existe une différence entre refuser catégoriquement que le
secteur de l’intérim existe et exiger qu’il soit organisé et moralisé.
Personnellement, je milite pour que le secteur soit structuré et
transparent. Notre apport à nous est de dire aux entreprises qui veulent
investir en Tunisie, nous sommes là, donc vous pouvez avoir de la
flexibilité. En revanche, il faut pouvoir trouver sur le marché les
compétences que nous voulons présenter à nos clients. D’où l’importance de
pouvoir étudier et maîtriser le marché du travail pour avoir la capacité de
définir les profils dont ils ont besoins et les compétences nécessaires
aujourd’hui pour que les entreprises tunisiennes soient les plus
performantes. D’où l’importance également d’un partenariat efficient et
constructif avec le ministère de l’Emploi et les organismes de formation et
de l’insertion professionnelle.

Qu’est-ce qui bloque à ce sujet ?

Aujourd’hui, ce partenariat n’est pas encore à l’ordre du jour d’autant plus

que nous n’existons pas légalement, d’où l’utilité de légiférer le plus
rapidement possible. En attendant, sur le terrain, nous payons nos impôts,
nous assurons les charges sociales de nos employés et assurons leur
formation.

Qu’est-ce qui cloche dans ce cas ? Le secteur qui n’est pas encore légiféré.
Nos partenaires potentiels se demanderaient dans ce cas, pourquoi ils
s’engageraient avec un secteur qui n’existe pas légalement. Et c’est à l’Etat
d’organiser le secteur.

Je crois savoir qu’il y a une tendance sérieuse à remédier à la situation
présente suite à la réflexion initiée par le président de la République
tunisienne sur l’emploi. Le ministère a bien compris le message et il a
proposé une législation sur le travail intérimaire.

Maintenant il faudrait que ça aille vite parce que beaucoup de personnes
sont dans la précarité, sous-payées et il y en a même qui sont payées
au-dessous des conventions collectives. Ce que nous refusons à Manpower.
Depuis que nous sommes sur place, et cela fait dix ans, nous avons assuré
nos charges sociales et payé nos impôts. Pourquoi le faisons-nous ? Parce
que nous estimons que les intérimaires doivent avoir un véritable statut et
voulons qu’ils nous fassent confiance et qu’ils croient au système.

Maintenant, c’est à nos partenaires sociaux de nous accorder leur confiance,
sinon cela ne peut pas marcher.

Le problème réside justement dans la confiance, la centrale syndicale des
travailleurs ne croient pas encore aux vertus de l’intérim.

Je suis convaincu que l’UGTT ne refuse pas le travail temporaire mais elle
refuse plutôt que l’intérimaire soit sous-payé ou maltraité. Elle veut que
les intérimaires soient traités comme les autres salariés. J’ai eu
l’occasion de parler avec des représentants de l’UGTT et je sais qu’ils ne
sont pas entièrement contre.

Tous les points de discorde devraient être discutés autour d’une table et
officiellement. Il faut qu’au niveau du gouvernement, de l’UTICA, de l’UGTT,
et des entreprises de l’intérim nous nous mettions à débattre franchement et
sincèrement du travail temporaire.

C’est au fait un problème de communication, c’est un problème de prise de
position idéologique. Aujourd’hui, il faudrait penser intérêt économique et
social parce que l’intérim est un levier économique et social majeur. Par
conséquent, il faut sortir de l’idéologique pour pouvoir avancer. Le
président de la République l’a dit et répété : l’emploi est une cause
nationale, si on n’y répond pas, si on ne réagit pas de manière positive et
constructive, nous commettons une erreur impardonnable. Y répondre, c’est
mettre toutes les chances de notre côté.

La flexibilité et l’intérim font partie des nouveaux dispositifs du marché
de l’emploi comme la BNEC, les bureaux d’emploi, etc. Nous devons tous
travailler ensemble dans un seul objectif: créer de l’emploi.

Il est vrai que lorsqu’on fait de l’intérim, c’est pour des missions
relativement courtes, mais les jeunes, lorsqu’ils travaillent, sont plus
dignes, consomment, ont des salaires, sont déclarés et c’est de l’argent qui
entre dans les caisses de l’Etat.

Vous faites également du recrutement….

Nous assurons évidemment le recrutement. Lorsque vous recevez des jeunes et
qu’ils vous disent que pour travailler, ils ont besoin d’être épaulés, ce
n’est pas agréable à entendre. Nous leur rendons l’espoir et nous les
convainquons que les compétences sont également payantes parce que
déterminantes pour des entreprises comme nous.

Vous estimez que vous moralisez le secteur de l’emploi ?

Assurément. Si jamais cela marche suivant les règles du respect des
qualifications, des performances et des compétences, c’est bien vers une
moralisation du secteur de l’emploi que nous évoluons. Si nous arrivons à
cerner les compétences dont le marché a besoin, nous pourrons orienter les
tendances au niveau de filières de formation des demandeurs de travail. Nous
sommes un aiguillon du marché de l’emploi, un repère pour le développement
des compétences nécessaires à un marché, à une ville ou à un pays.

Nous estimons -modestement- que nous avons un rôle : celui d’accompagner le
développement économique d’un pays, il faut nous voir comme un partenaire et
non comme un ennemi parce que le seul ennemi c’est bien le chômage.

Par rapport aux entreprises délocalisées qui désirent s’installer en
Tunisie, quelles réponses apportez-vous ?

La première réponse que nous leur apportons est la fiabilité d’un label
reconnu à l’échelle internationale. Un opérateur n’a pas le temps de se
concentrer sur des recrutements, nous lui offrons cette prestation avec le
plus de garanties possible. Le monde d’aujourd’hui évolue avec une telle
rapidité que l’opérateur doit se concentrer pour faire du business et
développer son activité et non pas s’occuper des fonctions support. Nous lui
offrons des solutions et du savoir-faire, nous l’accompagnons dans
l’opération de recrutement.

Il y a Manpower Tunisie, Manpower Maroc, croyez-vous au Maghreb économique ?

J’y crois très fort. Je pense qu’il faudrait accélérer le processus de
l’union économique des pays maghrébins. Il y a trop de PME, PMI en Tunisie
qui évoluent dans un marché exigu. La mondialisation avance à 100 à l’heure
et si je peux me permettre, il y a la «maghrébinisation» qui fait du
35/heures. Le binôme tuniso-marocain devrait accélérer la cadence, nous
avons pris trop de retard sur les accords bilatéraux et en ce moment où nous
souffrons de la crise. Pourquoi attendre que les Européens ou les Américains
arrivent chez nous pour nous dire unissez-vous ? Rêvons ensemble d’une
monnaie maghrébine commune, que ce soit dans 20 ans ou dans 50 ans, rêvons
un traité de «Rome» maghrébin, parce que nous avons trop de choses communes,
nous représentons un bloc cohérent, sur le plan religieux, culturel,
civilisationnel et historique et nous portons des valeurs communes.