D’après George Soros, président de Soros Fund Management et
fondateur de l’Open Society Institut et auteur de plusieurs ouvrages dont un sur
la crise de 2008, «The New Paradigm for Financial Markets: The Crisis of 2008
and What It Means», paru récemment, le monde traverse la crise financière la
plus profonde depuis les années 1930.
Cette
crise a la particularité de ne pas avoir été causée par un événement
externe, comme cela avait été le cas lorsque l’Organisation des pays
exportateurs de pétrole (l’OPEP) avait décidé d’augmenter les prix du
pétrole. Elle trouve son origine au sein même du système financier.
L’existence d’un défaut inhérent à celui-ci remet en cause la théorie
généralement acceptée selon laquelle les marchés financiers tendraient à
l’équilibre, les écarts étant l’effet du hasard ou d’événements externes
soudains, auxquels les marchés auraient du mal à s’ajuster. La philosophie
actuelle de la réglementation des marchés financiers repose sur cette
théorie, dont le caractère fondamentalement vicié est démontré par la
sévérité et l’ampleur de la crise actuelle.
En réalité, selon Soros, les marchés financiers ne reflètent pas de manière
fidèle les conditions sous-jacentes. L’image qu’ils projettent est toujours
déformée d’une manière ou d’une autre. Et, ce qui est encore plus grave, les
vues contestables des acteurs économiques, qui se reflètent dans les prix du
marché, peuvent parfois influencer les conditions fondamentales que ces prix
sont censés traduire.
Cette interaction a été nommée par l’économiste américain « réflexivité »
constante entre les prix du marché et la réalité sous-jacente. Car il
considère que les marchés financiers sont constamment sujets à cette
réflexivité et peuvent parfois même diverger assez sensiblement de l’état
d’équilibre censé les caractériser. En d’autres termes, les marchés
financiers ont tendance à produire des bulles spéculatives.
Les dessous de la crise
La crise actuelle trouve son origine dans le marché des prêts hypothécaires
à haut risque «subprimes». L’éclatement de la bulle immobilière américaine a
joué un rôle de détonateur de l’explosion d’une super-bulle économique, qui
avait commencé à se développer dans les années 1980 lorsque le credo de
l’infaillibilité des marchés s’était généralisé. Ce culte avait donné
naissance à la déréglementation, à la mondialisation et à des innovations
financières fondées sur l’hypothèse erronée que les marchés tendaient vers
l’équilibre.
Ce château de cartes a fini par s’effondrer. En septembre 2008, la faillite
de Lehman Brothers a mis la machine infernale en mouvement. Le système
financier s’est immédiatement grippé. Pour éviter toute contagion, les
autorités des pays industriels ont garanti de fait qu’aucun autre grand
établissement financier ne s’effondrerait. C’était oublier que les pays à la
périphérie du système financier mondial n’étaient pas à même de donner, eux
aussi, des garanties crédibles. Les capitaux ont donc fui les pays d’Europe
de l’Est, d’Asie et d’Amérique latine. Toutes les monnaies ont chuté par
rapport au dollar et au yen. Les cours des matières premières se sont
effondrés et les taux d’intérêt sont montés en flèche dans les pays
émergents.
Les efforts de sauvetage du marché financier international n’ont pas encore
abouti. Indépendamment de l’efficacité des remèdes, les consommateurs, les
investisseurs et les entreprises vivent une expérience traumatisante dont
les effets n’ont pas fini d’être ressentis. Une profonde récession est
inévitable, et l’on ne saurait exclure l’hypothèse d’une dépression.
Compenser les excès des marchés financiers
Que faut-il faire dans ces circonstances ?
Les marchés financiers ayant tendance à créer des bulles spéculatives, il
appartient aux autorités de prendre les mesures réglementaires nécessaires
pour éviter que ces bulles prennent une ampleur excessive. Jusqu’à présent,
lesdites autorités ont explicitement refusé d’assumer cette responsabilité.
Certes, il est impossible d’empêcher la formation de bulles spéculatives,
mais il est sans doute possible de les maintenir dans des limites
raisonnables. Il ne suffit pas de contrôler la masse monétaire pour y
parvenir. Les autorités financières devront également tenir compte du marché
du crédit, qui n’évolue pas de la même façon que la masse monétaire. En
effet, les marchés ont des humeurs et des préjugés qu’il convient de
compenser. Il sera donc nécessaire de créer de nouveaux outils pour
contrôler le crédit indépendamment de la masse monétaire. Ou plutôt, il
suffira de remettre ces outils en service, puisqu’ils existaient déjà dans
les années 1950 et 1960. Je fais allusion ici aux exigences de couverture et
aux normes de fonds propres pour les banques.
L’ingénierie financière complexe utilisée de nos jours complique le calcul
de la couverture et des fonds propres nécessaires, quand elle ne rend pas
cet effort totalement vain. Il faudra donc que les autorités financières
compétentes enregistrent et approuvent les nouveaux produits financiers
avant que ceux-ci ne soient commercialisés.
Les autorités financières devront faire preuve de doigté lorsqu’elles
contrebalancent les sentiments du marché : le risque d’erreur humaine est
bien réel. Fort heureusement, elles sont en prise directe avec le marché, ce
qui devrait leur permettre de corriger leurs erreurs. Elles pourront
toujours renforcer leurs exigences relatives à la couverture et aux fonds
propres si celles-ci ne sont suffisantes pour dégonfler les bulles, ce qui
n’est cependant pas sans risque, car les marchés eux-mêmes peuvent se
tromper. La recherche de l’équilibre optimal est un processus sans fin,
reposant sur l’expérimentation et les erreurs.
Les autorités financières et les participants au marché jouent déjà à ce jeu
du chat et de la souris, mais sa vraie nature n’est toujours pas reconnue.
Par ses oracles sibyllins, Alan Greenspan, ancien président de la Réserve
fédérale (la banque centrale des États-Unis), était devenu maître dans l’art
de la manipulation, mais il prétendait n’être qu’un observateur passif au
lieu d’admettre son rôle véritable. C’est la raison pour laquelle les bulles
ont continué de gonfler alors qu’il était à la tête de la Réserve fédérale.
Une nouvelle mission pour le FMI
La règlementation doit avoir un caractère mondial, puisque les marchés
financiers sont mondialisés. Le Fonds monétaire international (FMI) a donc
désormais une nouvelle mission, compte tenu de la situation actuelle, à
savoir protéger les pays de la périphérie contre les effets des tempêtes qui
naissent au centre, c’est-à-dire aux États-Unis.
Le consommateur américain ne peut plus être le moteur de l’économie
mondiale. Les autres pays devront stimuler leur propre économie pour éviter
toute dépression généralisée. Toutefois, les pays sans excédent important de
leur balance commerciale ne disposent pas des ressources nécessaires pour
prendre des mesures contracycliques. C’est donc au FMI qu’il appartient de
trouver des moyens pour financer les déficits fiscaux contracycliques. Il
pourrait le faire d’une part en sollicitant les fonds souverains et d’autre
part en émettant des droits de tirage spéciaux, de façon à permettre aux
pays riches et capables de financer leurs déficits fiscaux d’aider les pays
pauvres qui n’en ont pas les moyens.
S’il semble indispensable de renforcer la réglementation internationale pour
permettre au système financier mondial de perdurer, on doit éviter d’aller
trop loin. Les marchés financiers ne sont pas parfaits, mais les carcans
réglementaires le sont encore moins. Les responsables des organismes de
contrôle sont humains ; en outre, ils suivent des règles bureaucratiques et
sont soumis aux influences politiques. Le cadre réglementaire doit être
limité au minimum nécessaire pour maintenir la stabilité.
(Source: The Daily Star)