Les faits sont têtus. Et les statistiques le sont bien davantage.
L’industrie automobile, épluchant ses coûts, découvre le pot aux roses.
Seulement 5% de ses activités génèrent de la valeur ! Elle tombe de haut. Il
y a bien 35% autres qui n’en sont pas moins nécessaires, tel le contrôle
qualité à titre d’exemple. Mais, qui ne font pas avancer le compteur. Et les
60% qui restent sont totalement stériles. Et en situation de concurrence et
de rationalité économique, c’est-à-dire de vérité des prix, le client
n’accepte de payer que la valeur qu’on lui monnaye. Alors la bonne logique
financière dicte aux industriels de ne garder que ce qui est productif de
valeur, et c’est de sens commun, dirions-nous et «d’expulser»/ externaliser
ce qui est vain.
C’est ainsi que Lotfi Ben Alaya, Professeur à IHEC, expert-consultant en
organisation industrielle à la tête du cabinet «easy.consult» entamait sa
communication lors de l’atelier qu’il a animé au dernier peti’dej de
formation organisé par GTZ ce samedi 11 juillet.
Deux concepts. Une théorie
Comment, dès lors, organiser la chaîne de valeur après ce constat,
s’interroge le conférencier? Il a bien fallu s’adosser à deux concepts. Le
“Takt time”. En bon français, c’est le rythme qui est donné par ce bon
vieux métronome, ce chronomètre réglable dont se servent les instrumentistes
pour aligner leur tempo. Et le «takt time» dans l’industrie est donné par le
marché. Il est donc sans appel. Les rayonnages doivent être garnis avec
toutes les pièces de la nouvelle collection d’une saison donnée à une date
précise. Pas plus tôt car ce serait prématuré. Pas plus tard car cela
causerait un manque à gagner. La date de livraison devient la constante
tyrannique.
Le second concept est le «lead time». Si le délai butoir est donné, il faut
que le temps de traversé de la chaîne ou «lead time» dans l’usine soit
optimisé.
Une innovation organisationnelle.
La fragmentation de la chaîne fait que chaque maillon est externalisé chez
un prestataire qui en fait son cœur de métier. De la sorte, il parvient à
l’émincer au point de le débarrasser de tout ce qui est superflu. Ainsi
«slicée» la chaîne de valeur se trouve rationnellement compactée. Et ceci
est le fruit d’une innovation organisationnelle qui a reconfiguré
l’industrie et principalement l’industrie automobile, précise Lotfi Ben
Alaya. C’est le lean qui a fait que les constructeurs automobiles deviennent
assembleurs. Et parmi les activités qui ont été «évincées» se trouve le
stockage. C’est donc le lean qui a imposé le flux tendu- le «just in time»-
car le stockage immobilise des capitaux et ne génère pas de valeur. Par
conséquent, il a donc induit ce concept nouveau de livraison en «picking» de
ligne, c’est-à-dire la livraison soit directement en rayon soit en pied de
chaîne.
Flexibilité, réactivité et chaîne logistique
Tout cela corrélé, une forte pression s’exerce sur les chaînes et les
hommes. Il y a donc une constante de fluidité à respecter en permanence. La
liaison entre les divers prestataires sur une chaîne doit être coordonnée
avec une rigueur à toute épreuve. Ainsi, en acceptant une commande, un
preneur d’ordre répond dans le même temps de la quantité ainsi que de la
qualité mais dans le même temps de la date de livraison. C’est donc que
toute la chaîne logistique doit être synchrone faute de quoi c’est la
rupture de stocks qui guette.
Par conséquent, le schéma de circulation des matières en usine devient très
pointilleux. Il se déroule selon un «value stream map» (carte de circulation
des pièces) strict. Alors, dira Lotfi Ben Alaya, un donneur d’ordres
n’achète pas qu’un produit mais une solution. Et d’ailleurs la chaîne
logistique «Supply Chain» devient un critère de benchmarking déterminant
pour le choix des sites d’implantation pour les investisseurs
internationaux.
Les gains de coûts cumulatifs
C’est ainsi qu’on admet à l’heure actuelle que le client achète d’abord de
la qualité. Une pièce défectueuse, quand elle occasionne un arrêt de chaîne
et compte tenu de la puissance des débits, cause des pertes élevées. Ainsi
est né le «PPM» c’est-à-dire le nombre de Pièces défectueuses par million de
pièces livrées que le donneur d’ordres accepte sur un lot donné de produits
livrés. L’objectif est que, si l’on sait se mettre sur la voie de le «lean»
et de l’innovation organisationnelle, on tue les poches de non qualité et
donc on économise sur les prix de revient.
D’ailleurs pour se faire aider dans la démonstration, le conférencier
représentera la problématique globale sous forme d’un construit avec comme
bases les coûts et les délais avec au sommet la qualité. Il ajoutera pour
appuyer sa représentation que tous les contrats de sous-traitance comportent
une clause par laquelle l’ordonnateur pousse son partenaire à accepter une
baisse de 5%, ce qui est une façon un peu arbitraire mais utilement
contraignante pour ne pas s’écarter du «lean» dont les effets bénéfiques
sont cumulatifs.
La dimension culturelle
Le «lean» ne se décrète pas et ne s’improvise pas non plus. Il doit être
conduit comme un projet de changement qui doit s’étaler selon le Pr Ben
alaya sur 2 à 3 ans. Il convient d’y associer le personnel avec le training
nécessaire. Souvent on entend dire que le «lean» n’a pas abouti à telle
usine. Après examen, il s’avère que les conditions culturelles de la
conduite du projet n’ont pas été respectées ou que le timing a été bousculé
au point de compromettre toute la démarche.
Quelle est l’importance du «lean» dans la perspective de notre stratégie
industrielle à l’horizon 2016 ? Elle est structurante dira le conférencier.
Etant donné que l’innovation sur le produit continuera dans cette période à
nous échapper, nos efforts sont appelés à se concentrer sur l’innovation
organisationnelle.
D’ailleurs, la triptyque flexibilité, réactivité, surplus de la chaîne
logistique sous-tend ce plan. La question prend d’autant plus de relief que
le pays se positionne sur la petite et la moyenne série.