La figure de l’ogre qui vient manger le pain des gentils petits épiciers de
quartier, évoquée avec insistance au moment de la création du premier
hypermarché –Carrefour, en l’occurrence- en avril 2001, revient avec force dans
les esprits. Larvée au cours des dernières années, la guerre entre ces deux
corporations –membres toutes les deux de l’UTICA-, qui a pour enjeu le contrôle
du caddie –ou couffin- du tunisien, est désormais ouverte. Juge en tant que
représentante de tous les métiers à elle affiliés, l’UTICA a pris le parti des
commerçants grossistes et des industriels selon elle menacés par les grandes
surfaces qui chassent sur leur terrain. «Ceux qui ont développé les grandes
surfaces sont nos propres adhérents, ils font partie de l’UTICA, mais lorsque
n’importe lequel d’entre nous ne respecte pas les règles du jeu, même si c’est
le président de l’organisation, il doit être remis à sa place», a déclaré M.Hédi
Djilani, président de la centrale patronale (voir :
http://www.webmanagercenter.com/management/article-78490-tunisie-l-utica-denonce-la-mainmise-des-grandes-surfaces-sur-le-commerce-et-la-distribution),
mardi 21 juillet, lors de son dernier conseil national.
La veille, M. Ali Slama, vice-président de l’UTICA et député, avait préparé le
terrain à cette attaque en règle on ne peut plus officielle, en critiquant les
grandes surfaces d’une manière à peine voilée, lors du débat de la discussion de
la nouvelle loi sur le commerce de distribution, à la Chambre des députés.
M. Ali Slama a, d’abord, salué «les dispositions de cette loi visant à
moderniser le commerce, et à instaurer un équilibre entre producteurs et
commerçants»; ce qui est de nature à «alléger les charges financières supportées
par l’entreprise industrielle et à améliorer sa compétitivité».
Ensuite, le député-patron va titiller les grandes surfaces –accusées, sans être
les seules à agir de la sorte, de n’en faire qu’à leur tête en matière de
paiement de leurs fournisseurs- en insistant pour que soit mis en place un
contrôle du respect de l’article de la nouvelle loi imposant des délais pour le
règlement. Puis profitant d’une -providentielle?- ouverture d’un autre député
qui, après avoir fait remarquer, au sujet de l’obligation pour les commerçants
de séparer leurs activités de gros et de détail, que «les commerçants de détail
s’approvisionnent auprès des grandes surfaces», s’interroge comment séparer les
deux activités dans ces espaces, le vice-président de l’UTICA enfonce le clou et
interpelle le nouveau ministre du Commerce et de l’Artisanat, M. Ridha Ben
Mosbah : «la distinction entre commerce de gros et de détail dans les grandes
surfaces n’est pas claire. Je voudrais que Monsieur le ministre trouve une
solution à cette situation». Et n’étant visiblement pas convaincu de la réponse
de M. Ben Mosbah –qui a affirmé que «la jurisprudence professionnelle est le
critère pour définir (l’activité des grandes surfaces) en tenant compte des
spécificités»-, revient à la charge : «Va-t-on à l’avenir prendre des mesures
pour faire face à cette situation ?». Le ministre du Commerce et de l’Artisanat
finit par admettre du bout des lèvres que «les grandes surfaces vendent
peut-être en gros», et indiquer que «ce sera à la comptabilité analytique de le
démontrer».
A entendre les responsables de l’UTICA, on serait tenté de croire que la
concurrence que leur font les grandes surfaces a déjà laminé les commerçants
grossistes. Or, ce n’est pas le cas. Selon Hassan Zargouni, «le commerce
organisé», en d’autres termes les grandes surfaces, ne représentent que 20% du
commerce en général. Mais le directeur général de Sigma Conseil constate que la
grande distribution «connaît une croissance supérieure à 1% par an» qui ne
risque pas de se ralentir, puisque «de nouveaux investissements vont se faire
dans le secteur».
«Cette croissance n’est pas finie», confirme Adel Ayed, directeur général de
Monoprix, lors du Forum de l’ATUGE. «Avec la privatisation de Magasin Général,
le développement de Monoprix et de Carrefour, le commerce organisé progresse
plus fortement que le commerce en général», analyse le manager de Monoprix. Que
semble séduire l’exemple du Portugal «où le commerce organisé pèse près de 90%».
N’ayant visiblement pas l’intention de laisser s’installer une situation
similaire en Tunisie, la centrale patronale et les commerçants grossistes
qu’elle défend ont préféré crier au loup dès maintenant plutôt que d’attendre
qu’il ait complètement décimé la bergerie.