Tunisie : Le poids économique des touristes algériens

“Presque une voiture sur deux est algérienne, en ce moment à Hammamet. On ne
peut se garer nulle part. Ils conduisent n’importe comment…”, grogne Leila,
coiffeuse, 37 ans. «C’est insupportable. Je n’arrive plus à trouver un poulet
rôti pour la famille….», boude Sihem, pharmacienne, qui est par contre ravie
de voir finalement arrivés les Algériens en grand nombre, surtout quand ils
passent par son officine.

“Ils sauvent certainement cette saison mais de vous à moi, ils sauvent les
commerces en tous genres et l’été depuis de nombreuses années”, reconnaît avec
franchise Mohamed, libraire de son état. «Avant de partir, ils font le plein de
fournitures scolaires. Ils achètent des cartables, des tabliers, des
chaussures…En fait, je fais deux fois mon chiffre d’affaires lié à la rentrée
scolaire : Une fois pour eux et une pour nous. Je ne suis pas le seul à attendre
les Algériens qui viennent passer leurs vacances dans notre pays, dès fin
juillet».

Tout est dit ou presque. Les Algériens passant leurs vacances en Tunisie sont
devenus une réalité économique et sociale incontournable.

Dans certaines villes touristiques, on voit jusque des drapeaux algériens
flotter devant les devantures de quelques gargotes et restaurants populaires.
Les cafés n’hésitent pas à mettre à tue-tête du Rai. Les vedettes de la musique
algérienne passent en boucle chez l’épicier et le marchand de légumes, quand ils
ne se produisent pas dans un théâtre de plein air. A part quelques bousculades
ou intercades, qui éclatent de temps en temps surtout chez les jeunes,
l’ambiance est bon enfant. Les Tunisiens ont appris à connaître les attentes des
Algériens et les anticipent. Ces derniers trouvent sur nos plages dorées et dans
nos stations intégrées tous les loisirs dont ils sont avides.

Perçus comme “les sauveurs” de la saison touristique estivale qui accuse un
repli conséquent, entre autres à cause de la crise économique et aux
répercussions de la grippe, les Algériens, qu’ils soient aimés ou pas, sont
de toute façon attendus et espérés. Il arrive qu’ils inspirent de
l’exaspération, mais c’est l’amitié ou l’intérêt amical qui reprend le dessus.

Tout le monde a bel et bien compris les enjeux liés à leur présence sur le
territoire tunisien. Certains reprochent à nos hôtes «de se comporter en terrain
conquis», alors que d’autres s’évertuent à mettre les petits plats dans les
grands afin de «recevoir nos frères Magrébins les bras et bars ouverts».

Pour bien comprendre les enjeux, il y a quelques chiffres qui ne trompent pas.
Le touriste algérien est classé parmi les plus dépensiers. Il dépense autour de
500 dollars par semaine. Certains estiment qu’il débourse le triple d’un
touriste européen. «Ils aiment sortir, consomment et dépensent de l’argent. Ils
s’amusent, font du shopping et sortent avec leurs enfants. Ils viennent en
Tunisie pour s’éclater à grands frais et louent nos maisons, et c’est tant mieux
… Ils créent une véritable dynamique. Les touristes européens ne sortent plus
de leurs hôtels à cause du «All inclusive». On ne voit quasiment plus l’ombre
d’un de leurs euros…», résume à sa manière Hichem, propriétaire d’une boutique
d’artisanat dans la médina de Hammamet.

Tunisie, destination préférée des Algériens

Selon certaines prévisions, le nombre de touristes algériens visitant la Tunisie
est en phase de dépasser les 1,4 million de touristes cette année. En 2008, ils
étaient plus de 1,2 million à visiter la Tunisie. A titre indicatif, le nombre
de touristes algériens est passé de 811.000 en 2003 à 914.000 en 2004 et 930.000
en 2005. Pour cette cuvée 2009, on estime la hausse à 7% par rapport à l’année
précédente.

Dans un article paru dans le journal algérien “L’Expression” (28 juillet 2009),
le journaliste Brahim Takheoubt écrit : «Ce sont les professionnels du tourisme
(algérien) qui affirment en s’appuyant évidemment sur des données de terrain
incontestables que 8.000 personnes et près de 1.000 voitures traversent chaque
jour notre frontière Est… Mais qu’y a-t-il donc de si extraordinaire au pays
de Ben Ali pour «détourner» les Algériens des principales destinations
touristiques comme le Maroc, la Grèce, la Turquie ou l’Egypte ?» L’engouement
est incontestable. La Tunisie est plébiscitée par la presse algérienne. Même le
prestigieux “Courrier International” en fait l’écho dans sa dernière
publication.

Il est à noter que sur les 6,7 millions de touristes visitant la Tunisie, 37%
d’entre eux sont maghrébins (essentiellement algériens et libyens). Ils assurent
d’année en année, une progression non seulement du nombre de nuitées, mais aussi
et surtout des recettes en devises enregistrées. Selon certaines sources, les
Algériens auraient injectés l’année écoulée quelques 600 millions d’euros dans
notre économie.

Plus de 87% des Algériens viennent en voiture ou en bus, par les 10 points de
passage de la frontière tuniso-algérienne. Il convient de mentionner que le
marché a fait de gros efforts pour s’organiser et structurer l’offre. Le nombre
des Algériens qui réservent à l’avance leurs vacances a largement augmenté et de
plus en plus de ces touristes séjournent dans des structures hôtelières, surtout
quand elles sont disponibles. Au cours des trois dernières années, on note un
accroissement des Algériens venant par voie aérienne, grâce notamment aux
charters reliant les villes d’Oran, d’Alger, d’Annaba et de Constantine.

Les Algériens résidant en France ne sont pas en reste. Ils sont aussi très
nombreux à venir séjourner en Tunisie. «Nous faisons un petit crochet de 2 ou 3
jours par Alger et l’on part pour Hammamet. On se donne tous rendez-vous en
Tunisie : les Algériens d’Algérie, ceux de France, les frères, les cousins, les
amis… Qui vient de Marseille, de Nice ou de Constantine… C’est sacré notre
été en Tunisie ! Je me souviens que pendant les évènements, on se retrouvait
directement dans votre pays et à notre entière aise, alors que beaucoup se sont
détournés de nous… Nos destins sont liés… Beaucoup de familles tunisiennes
enregistrent au moins un mariage tuniso-algérien ou je me trompe ?», précise
avec assurance Hassen.B, 52 ans en séjour avec sa femme et ses deux enfants.

De tous les Algériens que j’ai rencontrés pour les besoins de cet article, je
reste frappée par la joie que ressentent ces derniers à passer du bon temps en
Tunisie. Il est incontestable qu’ils s’y sentent comme chez eux.

D’ailleurs, du côté des officiels tunisiens, on indique que cet engouement des
touristes algériens pour la Tunisie n’est pas accidentel. Il s’explique par
l’absence de visa d’entrée, la langue et la compétitivité de la destination.
L’accessibilité est aussi un attrait décisif, mais certains opérateurs privés
restent pourtant prudents. Ils remarquent qu’il y a plus d’une douzaine
d’années, c’est le Maroc qui était la destination privilégiée des Algériens.

Pour cela, il convient de continuer à fournir davantage d’efforts pour faire
durer ce juteux voisinage. Dans les milieux professionnels de l’hôtellerie
tunisienne, certains considèrent que ce flux peut être qualifié de «relatif,
voire dérisoire». Pour certains, “les Algériens ne sont pas de gros
consommateurs de services traditionnels. Ils ne vont pas systématiquement à
l’hôtel, ne consomment ni excursions, ni transferts… Ce n’est d’ailleurs pas
un hasard que l’offre hôtelière tunisienne n’a pas pris en considération leurs
préférences en termes d’hébergements”, précise un professionnel du tourisme qui
souhaite garder l’anonymat. «Il n’en reste pas moins vrai que depuis les
événements du 11 septembre et des attenants de Djerba, ce sont eux qui sauvent
l’été. Peut-être serait-il temps de s’adapter davantage à leurs besoins ?».

Selon le site d’informations “Les Afriques”, il semble incontestable que «la
diaspora algérienne d’Europe aime de plus en plus la Tunisie»… Il ressort par
ailleurs que «les Algériens viennent, avec 3,15 milliards d’euros, en tête des
transferts d’argent des communautés de la rive sud de la Méditerranée vivant en
Europe, un transfert global estimé entre 12,4 et 13,6 milliards d’euros par an,
selon une étude de la Banque européenne d’investissement (novembre 2006)».
D’autre part, et du côté des chiffres algériens, on estime à 200 millions de
dollars les recettes réalisées en 2006 grâce aux dépenses de tourisme de cette
même diaspora dans leurs propre pays. Un chiffre que le gouvernement algérien
veut multiplier par cinq d’ici 2013. Pour le moment, selon le dernier rapport
d’Oxford Business Group, «sur les 1,74 million de touristes qui avaient visité
l’Algérie en 2008, plus de 1,2 million d’entre eux sont des Algériens expatriés
qui retournent au pays pour les vacances. À peine plus de 500.000 touristes sont
des étrangers».