Rym Hachicha Othmani : La femme transfrontière

rym-hachicha-othmani-1.jpgCe
n’est pas exactement ce qu’elle décide de faire. Après une dizaine d’années
d’épanouissement dans l’univers du management de l’entreprise familiale en
Tunisie, elle décide de se reconvertir dans l’univers de la communication pour
accompagner son mari qui décide de retourner vivre en Algérie, où il
représentera, entre autres, une boisson gazeuse fort connue. C’est dans un
contexte historique très particulier que Rym Hachicha Othmani (RHO) s’installe
en Algérie. La guerre civile fait rage dans le pays. Une nouvelle vie, un
nouveau métier et pour la jeune femme, il va falloir se réinventer. La levée du
monopole de la publicité en Algérie l’encourage à se recycler pour devenir plus
performante. De toute façon, elle ne peut envisager les choses autrement que
dans la performance. Son besoin d’avancer, de faire reculer les lignes et de se
sentir utile lui collent à la peau.

Volontaire, elle aurait pu se suffire de travailler dans l’entreprise familiale
de sa belle famille, et beaucoup s’étonnent du fait qu’il n’en a jamais été
question. Elle aurait pu se contenter d’évoluer dans l’univers de la pub
algérien, qui pèse tout de même actuellement plus de 100 millions d’euros. C’est
mal la connaître. Elle met un pied à l’étrier et commence sa conquête des
marchés, mais aussi, peut-être, un peu d’elle-même !

Aujourd’hui, elle ouvre agence après agence. Elle se diversifie dans différents
métiers de la COM et manage une équipe de 106 personnes à travers ses bureaux de
Tunis, Alger, Tripoli, Beyrouth, Damas et bientôt Amman. En Algérie, où le
secteur explose, elle considère que «tout est à faire. Il est passionnant de
travailler dans cet univers. La Libye est en train de se transformer à vue
d’œil. La Syrie se met dans les starting-blocks…». Désormais, RHO surfe sur
les différents marchés avec vigueur. «Je suis connectée à tous mes bureaux et je
sais à l’instant T ce qui s’y passe. Les équipes travaillant sur place sont
performantes et représentent la force de nos métiers. Pour être efficace et
concurrentielle, il n’y a pas de secrets. Il faut observer, analyser,
synthétiser et agir. De toutes façons, nous sommes un peu caméléons nous autres
les publicitaires. Notre métier est de saisir et nous adapter aux consommateurs
pour qui nous concevons des messages. Nous prenons en considération toutes les
spécificités», résume-t-elle.

C’est justement sur le tas qu’elle apprend à appréhender les différences
culturelles. Elle en fait sa force de frappe. Cette Algero-Tunisienne confirmée
se sent parfaitement à l’aise dans les deux pays et en saisit avec justesse les
différentes subtilités. Alors qu’elle perçoit l’Algérie comme moins orientale
que la Tunisie, elle pense que «l’Algérien est un écorché vif et que le Tunisien
est un enfant gâté». Elle exprime clairement le souhait de «voir plus d’efforts
de part et d’autre s’établir. Dans le milieu des affaires, le temps des coups
sans lendemains est révolu. Il faut enclencher une sérieuse réflexion sur les
relations économiques entre nos deux pays. C’est véritablement un point
d’avenir», pense-elle.

Sur le même ton, la jeune femme met en avant la dimension «proximité et sécurité
qui poussent les touristes algériens nombreux vers la Tunisie». Elle se réjouit
de ce voisinage juteux, mais s’étonne de l’absence de produits touristiques
spécifiques répondant aux attentes des Algériens.

Elle s’interroge, non sans une pointe d’humour : “Pourquoi il n’y a pas de bars
rai, pas de résidences hôtelières, pas de centres de camping dont raffolent les
Algériens et qui sont une véritable institution chez eux… ? Peut-être faut-il
commencer à préparer dès aujourd’hui les réponses à ces questions et à bien
d’autres ? Les destinations concurrentes sont en train d’élaborer des stratégies
pour capter des parts de ce marché porteur. La destination Tunisie ne
devrait-elle pas redoubler d’efforts pour garder sa position de destination
préférée des Algériens ?

Le ton est donné. Cette femme aime dire ce qu’elle pense. Elle me le confirmera
à différentes reprises au cours de la conversation. Elle a la réputation d’être
active et impliquée en Algérie. Elle entretient une certaine culture de réseaux
et passe d’ailleurs pour l’une des femmes les plus influentes dans la région.

Dans l’exercice de son métier, RHO pose le problème des compétences. Elle se
réjouit de leur disponibilité et qualité en Tunisie qu’elle considère comme «un
vivier sans pareil en comparaison avec d’autres pays». Ceci ne l’empêche pas de
regretter le manque de communication dont souffre le pays, dans son ensemble.
«Avec des indicateurs aussi performants, la communication devrait être moderne,
franche et percutante. Dommage ! La Tunisie perd énormément en communiquant si
mal. C’est au politique de donner le ton et le reste suivra». D’ailleurs, il y a
des anachronismes qui ne s’expliquent pas. RHO rebondit et se lamente sur le
régime de la séance unique et ses répercussions sur le pays. «C’est vraiment
inconcevable qu’un pays aussi moderne et avant-gardiste que la Tunisie continue
de trainer cette invention complètement désuète !».

Mère d’une adolescente de 17 ans, Rym Othmani a toujours su qu’elle ne voulait
pas jouer à l’épouse au foyer. Elle prend son statut de femme pour une
positivité et se révolte contre les images et les clichés qui rabaissent les
femmes dans le monde. Agacée, elle rétorque : «Comment voulez-vous mettre
l’ambition et l’esprit de développeur dans la tête des petites filles du Maghreb
si, aujourd’hui encore, elles lisent dans les manuels scolaires : Mon papa sort
travailler et maman s’occupe du foyer ? C’est à l’école que se construisent les
modèles».

D’ailleurs, les femmes du Maghreb sont et continueront d’être un moteur de
développement incontestable. Un travail colossal a été réalisé de manière
inégale entre ses différents pays. Le véritable combat est d’aller encore plus
haut et plus loin. RHO précise que c’est «aujourd’hui qu’il faut faire des
sacrifices. Le monde du travail est impitoyable et n’accepte aucunement les
dissimilitudes. Si elles ne s’imposent pas, les femmes resteront toujours des
numéros deux ou trois. Elles n’atteindront jamais le top du management». Il est
vrai qu’au delà des parcours personnels, il n’y a pas d’armes spécifiques aux
femmes pour réussir. C’est une question de compétences, d’aptitudes et
assurément de combativités.

Entre temps, la semaine de RHO est disséquée entre ses clients, ses voyages et
ses obligations familiales. Elle travaille de 9h00 à 20h00 tous les jours. Pour
cette ex-danseuse classique et sportive d’endurance, il n’y a que le labeur qui
paye. Elle aura la décence de ne pas relever que l’univers de la communication
reste tout de même un univers très masculin. Pour elle, les obstacles, la
cadence et les outils sont les mêmes pour tous. Que le meilleur gagne. «Homme ou
femme est un débat caduque. Il n’y a pas de différence. Il n’y a que le travail
qui compte !».

Ceci étant dit, le paysage de la communication et de la publicité en Tunisie, en
Algérie et dans le monde arabe vit une véritable transformation. Le marché mûrit
peu à peu. Au lendemain de son ouverture, il a été fortement question de le
mettre au diapason de ce qui se passe dans le monde en l’inscrivant, entre
autres, dans une dynamique d’alliance avec les grands réseaux internationaux.
C’est exactement dans ce contexte que MMC DDB a vu le jour.

En Algérie, la cadence s’accélère. Aujourd’hui, la tendance est au web. Selon
les derniers rapports, l’investissement publicitaire sur internet est en forte
progression. Il aurait monopolisé jusqu’à 22 millions de DA l’année écoulée. RHO
vient justement d’ouvrir une nouvelle agence web à Alger. Désormais, elle se
déploiera aussi dans la publicité et la communication sur le Net. En Tunisie,
sur les 200 agences qui existent dans un marché exigu, le nombre d’agences qui
émergent du lot se comptent sur les doigts d’une ou de deux mains. Rym Hachicha
Othmani y hisse son agence et poursuit sereinement son développement.