C’est sur ces rivages de cette mer méditerranéenne, carrefour de territoires où
sest réalisée jadis l’adéquation entre plusieurs civilisations, que s’est
progressivement constituée une bonne part de l’identité tunisienne, de son
positionnement géopolitique, au cœur d’une aire culturelle maltraitée, dans les
derniers siècles, par les appétits des uns et des autres et d’une pratique
diplomatique, tout en nuances plus qu’en ruptures.
Conciliant tradition et modernité, arabité et méditérranéité, «asl» et «fasl»,
les élites économiques et politiques du pays, prenant acte de la montée, un peu
partout dans le monde, d’ensembles régionaux d’orientation méridienne,
industrieux, dynamiques et compétitifs, ont rapidement manifesté leur adhésion
au projet d’Union de la Méditerranée (rebaptisé plus tard Union pour la
Méditerranée), lancé le 7 février 2007 par M. Nicolas Sarkozy, alors candidat à
l’élection présidentielle française.
Des débuts prometteurs
Le projet d’Union pour la Méditerranée apparaissait, au début, pour les
riverains du sud et de l’est de cette mer intérieure, en rupture face aux
conduites d’échecs antérieurs de l’UE. Le futur hôte de l’Elysée proposait
l’instauration d’un véritable leadership euro-méditerranéen par une
appropriation commune du projet et plaçait la Méditerranée au centre de
nouvelles relations euro-méditerranéennes à instaurer. D’ailleurs, Alain Leroy,
ambassadeur en charge du projet avant son lancement officiel, insistait, dans un
entretien aux «Cahiers de la compétitivité» en mai 2008, sur le partenariat
égalitaire, l’équité entre les deux rives et le système de coprésidence (un pays
du Sud et un du Nord) qui change tous les deux ans avec un secrétariat
paritaire.
Et c’est le temps de l’euphorie. C’est même le temps du printemps méditerranéen,
avancent certains exaltés. En mettant cette mare nostrum des Romains au cœur du
débat, au centre des préoccupations, le président français rompait avec une
vision européenne condescendante, se posait en réaction à une pratique
«centre-périphérie», jusque-là prônée par Bruxelles et affichait une prise en
compte des attentes du Sud.
La diplomatie tunisienne, consciente des enjeux de la mondialisation, de la
fracture qui guette cette mer intérieure, s’est fortement engagée dans un
projet, susceptible d’enrayer la dérive de deux continents, de renforcer
l’échelon méditerranéen et de promouvoir un futur décollage en groupe.
Après le sommet du 13 juillet 2008, des projets sectoriels relatifs à la
dépollution, aux autoroutes maritimes et terrestres, aux énergies alternatives,
à la protection civile pour répondre aux catastrophes naturelles, à la création
d’une université euro-méditerranéenne et à la liberté de mouvements des
personnes et des biens ont été sélectionnés pour donner corps à cette volonté
collégiale d’émerger sur le plan international.
Dans les discussions préparatoires, antérieures au sommet, la Tunisie avait été
pressentie pour accueillir le siège du secrétariat permanent de l’UPM. Le choix
de Tunis paraissait judicieux, insistait M. Jean-Marie Miossec, universitaire à
Montpellier, dans son intervention, lors du forum annuel de l’Association des
Etudes Internationales, qui a mis l’accent sur le statut émergent du pays, la
disponibilité d’un personnel de haut niveau en matière de gestion d’organismes
multilatéraux (Alecso, BAD…) et le positionnement géographique idéal.
Le temps des déceptions et des désillusions
Une série d’actions conjuguées allait aboutir à une disqualification de la
candidature tunisienne. Tout d’abord, plusieurs pays arabes dont la Syrie,
l’Algérie et le Maroc, émettaient un doute sur l’opportunité d’implanter le
siège de l’UPM dans la région maghrébine, ensuite, le ministre algérien des
Affaires étrangères demandait des éclaircissements sur les conséquences de la
présence d’Israël au sein de l’UPM, enfin les candidatures surprises de
Barcelone, de Bruxelles, de Malte, voire de Marseille, déclarées au dernier
moment, dans un contexte d’incertitudes et d’hypocrisie généralisée.
Au fait, en dépit du soutien solennel de M. Alain Jodaynet, secrétaire d’Etat
chargé de la Coopération et de la Francophonie, au choix de Tunis pour abriter
le secrétariat du nouveau-né, la France, en sous-main, à l’image de la perfide
Albion, appuyait la cité Phocéenne qui a réussi, à cette occasion, le tour de
force de présenter la gauche et la droite (Jean-Claude Gaudin «maire UMP de
Marseille», Jean-Noël Guérini (PS) président du Conseil général des
Bouches-du-Rhône, et Michel Vauzelle (PS), président du Conseil régional de
PACA), unis pour évoquer les atouts de leur ville, partenaire historique et
privilégié, insistent-ils, de la rive sud de la Méditerranée.
Echaudée par l’absence de soutien de ses partenaires, d’autant que des garanties
de soutien avaient été énoncées, au début, par plusieurs pays du Nord et du Sud,
la Tunisie, l’un des premiers riverains à exprimer son enthousiasme pour le
projet de l’UPM, jetait l’éponge et renonçait officiellement au siège tout en
excluant de postuler au poste de Secrétaire général. Il s’agit d’une péripétie
vivement ressentie à Tunis, alors que le pays apparaissait, de l’avis de
beaucoup d’observateurs, le plus à même d’accueillir un projet de confluence
euro-méditerranéenne.
Finalement, après un moment de verve, l’intérêt s’est relâché devant la modicité
des résultats, des objectifs et des moyens.