Mohamed Kolsi, président du Conseil de la concurrence : «En amendant la loi, le législateur tunisien a voulu moraliser le secteur de la grande distribution»

La loi sur la grande distribution ambitionne de réorganiser le secteur et à
assurer un meilleur développement des différentes activités du
commerce de
distribution
, en garantissant la transparence et des relations plus équilibrées
entre les différents partenaires commerciaux. Pour mieux en saisir les enjeux,
nous avons rencontré Monsieur Mohamed Kolsi, président du
Conseil de la
concurrence
.

moh-kolsi-1.jpgWebmanagercenter : Quel est le but de l’amendement de la loi sur la grande
distribution ?

Mohamed Kolsi: En promulguant une nouvelle loi touchant au commerce de
distribution, le législateur a voulu moderniser ce secteur d’activité et
doter la Tunisie d’un cadre juridique à même de répondre aux exigences du
développement économique.

Pour ce faire, plusieurs innovations de taille ont été apportées par la
nouvelle loi ; elles concernent par exemple les centrales d’achat, le
service après-vente, les délais de paiement, la franchise et le commerce
ambulant.

Par ailleurs, les pouvoirs publics ont entendu, aussi, assurer un certain
équilibre entre les différents opérateurs économiques qui interviennent dans
le commerce de distribution. Avant la promulgation de la nouvelle loi, il
était aisé de constater un déséquilibre flagrant des rapports dans la
relation entre les grandes surfaces et les fournisseurs. Les
grandes
surfaces
ont un grand pouvoir de négociation et imposent aux fournisseurs
des prix très bas et des délais de paiement très longs. Elles leurs imposent
aussi des marges arrières lorsque le chiffre d’affaires réalisé atteint un
certain seuil. Ces pratiques sont préjudiciables à l’industrie nationale. En
effet, le tissu industriel tunisien se compose essentiellement de petites et
moyennes industries. Les délais de paiement très longs sont de nature à
transformer les industriels en banquiers et les privent, de ce fait, des
liquidités nécessaires à leur développement.

Pour limiter ce pouvoir exorbitant dont bénéficiaient les grandes surfaces,
la nouvelle loi est venue moraliser le secteur à l’instar de ce qui s’est
passé un peu partout en Europe et dans le monde où le législateur intervient
pour protéger la petite et moyenne industrie par la fixation de délais de
paiements qui deviennent impératifs puisqu’ils sont assortis de peines
pénales. Les amendes aux contrevenants peuvent aller de 2.000 à 20.000
dinars.

Pourquoi une fourchette aussi large ?

Cette fourchette trouve son explication dans la nécessité de permettre au
juge de moduler la sanction compte tenu de la taille de l’entreprise et de
l’ampleur de l’infraction.

Lorsque vous infligez une amende de 2.000 à 3.000 DT à une entreprise qui
brasse des millions de dinars de chiffre d’affaires, la peine devient
ridicule, il faut donc que l’amende soit conséquente. Ce n’est qu’une
première étape, et rien n’interdit au législateur d’aller plus loin comme en
droit français qui a imposé au commissaire aux comptes de dénoncer tout
manquement à l’application des ces mesures.

La nouvelle loi prohibe certaines pratiques. Les grandes surfaces imposent
aux fournisseurs la location d’un stand ou la participation aux opérations
promotionnelles, etc. Désormais tout ceci doit faire l’objet d’un contrat
séparé en bonne et due forme. Et ceci représente un progrès considérable
dans la gestion de la relation qui existe entre la grande distribution et
les fournisseurs.

Le législateur et les pouvoirs publics ne sont pas contre les grandes
surfaces. Celles-ci sont à même de donner un mieux au consommateur, elles
peuvent également œuvrer à favoriser la baisse des prix mais à condition que
celles-ci profitent au consommateur sans être au bénéfice exclusif des
grandes surfaces. Or ce que nous constatons aujourd’hui, c’est que les
marges arrières profitent uniquement aux grandes surfaces, et la petite et
moyenne industries risquent d’être freinées au niveau de leur développement.

Tout doit se faire dans la transparence, si les deux partenaires se mettent
d’accord sur une remise, elle doit faire l’objet d’un contrat.

Cette loi a apporté une autre particularité, celle en rapport avec la
franchise qui n’était pas réglementée.

Mais cette loi ne semble pas avoir abordé tous les aspects inhérents à la
franchise ?

D’abord, cette loi a le mérite d’avoir comblé un vide juridique. Ensuite, il
ne faut pas perdre de vue que nous sommes en pleine négociation avec l’Union
européenne pour conclure un accord relatif aux services; il est préférable
d’attendre et de ne légiférer qu’après la conclusion de cet accord avec nos
partenaires européens.

En quoi une loi sur la franchise pourrait-elle aider les petits commerces à
se maintenir ?

Déjà en améliorant la qualité grâce à l’adoption de nouvelles techniques de
vente. En deuxième lieu, cette loi permet au petit commerçant de préserver
son indépendance tout en exerçant son activité sous une enseigne bénéficiant
d’une notoriété commerciale. Lorsque vous avez une marque à défendre, vous
n’avez pas à vendre votre produit de n’importe quelle manière, vous devez
assurer un service après-vente irréprochable, ce qui va tout droit dans
l’intérêt des consommateurs.

Parmi les reproches que l’on adresse aux grandes surfaces, le fait de vendre
aux épiceries ou aux grossistes ?

La loi n’a rien apporté de neuf concernant cette problématique, c’est une
transposition de ce qui existait dans l’ancienne loi. C’est très simple, il
est interdit aux commerçants d’avoir dans un même établissement une vente au
détail et une vente au gros. Dans la mesure où un établissement s’adonne à
ces deux activités, il est obligé d’avoir des locaux différents et des
comptabilités distinctes. C’est ce que stipule la loi.

On dit qu’il y a des épiciers qui vont se ravitailler dans les grandes
surfaces, libres à eux mais ils n’ont pas de tarifs préférentiels. Ce qui
est interdit, c’est le fait d’accorder des remises aux détaillants qui
achètent en grandes quantités. Dans ce cas, nous tombons dans
l’interdiction. Si jamais ceci est prouvé, nous pourrons conclure dans ce
cas que les grandes surfaces transgressent la loi, du fait qu’elles
pratiquent dans un même local un commerce de détail et un commerce de gros
sans tenir une comptabilité distincte.

Concernant les deux hypermarchés qui existent en Tunisie, nous avons observé
qu’il y a des épiciers qui vont s’y ravitailler mais ils n’ont pas de prix
préférentiels.

Et par rapport aux petits commerces, quels sont les avantages de la nouvelle
loi ?

Cette loi a apporté ce que nous appelons communément les centrales d’achat,
elle encourage les détaillants à se regrouper en centrales d’achat, ce qui
leur permettra d’avoir eux-mêmes un grand pouvoir de discussion, de négocier
les prix et de discuter d’égal à égal avec les fournisseurs. La centrale
d’achat représentera un élément d’équilibre et profitera en définitive au
consommateur.

Y a-t-il eu des plaintes déposées auprès du Conseil concernant certaines
pratiques illégales où anticoncurrentielles de la part des hypermarchés ?

Non, nous n’avons jamais reçu de plaintes à l’encontre des hypermarchés.
Ceci étant, il n’est pas exclu que nous procédions à des auto-saisines si
jamais nous remarquons des pratiques anticoncurrentielles commises par les
opérateurs de la
grande distribution. La loi nous l’autorise.

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