Interview imaginaire avec un hypermarché : « Si mes clients veulent du lablabi, je leur en servirais »

Faute de ne pouvoir obtenir un entretien avec les grands
patrons de la grande distribution en Tunisie. Notre seul recours est dans
l’imaginaire, d’où cet entretien.

Wmc : Un
hypermarché à Tunis ne peut être qu’une entreprise heureuse
puisqu’elle gagne beaucoup d’argent

Hypermarché : Oui, mais je dois reconnaître que je ne suis pas encore tout à
fait satisfait. Il est certain que je gagne de l’argent. Beaucoup d’argent
et c’est tant mieux. N’est-ce pas dans ce but que j’ai été crée ?

Je crée de la richesse, emploie des gens et booste le marché. Je tire les
produits vers le haut, et pousse les producteurs à l’innovation. Depuis
quelques années, je travaille sur la traçabilité des produits de
consommation courante, sur leur labellisation et j’en passe. Mes ambitions
sont encore plus grandes.

A vous entendre énumérer vos bienfaits, vous ne feriez aucun tort aux
producteurs qui ne cessent de se plaindre de votre politique drastique des
prix ?

hypermarche01.jpgLes entreprises tunisiennes sont de plus en plus matures et sont davantage
conscientes de leurs importances. Vous vous doutez bien que nous observons
depuis quelques temps plus d’opérations de « trade « auprès des épiciers et
des superettes. Certaines marques travaillent leurs relations avec le petit
commerce en lui vendant leurs produits à des prix concurrentiels. Ils misent
sur les avantages de la vente de proximité qui a encore, croyez moi, de
beaux jours devant elle !

Comment réagissez-vous à ce nouveau comportement des entreprises? La mode
des hypermarchés est en train de passer en Europe. Ne craignez vous qu’elle
vous rattrape trop vite sachant que le consommateur tunisien n’est plus
aussi homogène que vous le pensez ?

Je ne cesse d’améliorer mes services. Sous d’autres cieux, on me fait beau à
toutes les occasions. On me bichonne, on est attentif aux clients, on les
informe et oriente. Ici, les présentoirs se dégradent très vite. Les
charriots ne sont pas huilés, le contrôle à la porte est agressif, les
caissières désagréables… Il y a encore énormément de travail et d’efforts à
fournir.

Pour le moment, il n’y a pas de grande concurrence mais si trop de marques
arrivent sur le marché, la différence se fera au détail près. Il va falloir
être plus vigilent sur la qualité des services, les prix, le service après-
vente…

N’oubliez pas que la satisfaction de mon client est mon fond de commerce.
Grâce à moi, les prix baissent et cela s’en ressent dans son panier. Il est
fini le temps où les entreprises hyper protégées faisaient la pluie et le
beau temps.

Justement, parlons-en de votre client. Pensez vous que vous en prenez grand
soin ? Ne pensez-vous pas qu’il risque de vous bouder pour toutes les
dépenses superflues que vous lui occasionnez ?

Vous voulez rire ! Pourquoi prennent-ils leurs voitures pour faire leurs
courses à des dizaines, voire des centaines de kms loin de chez eux ? Nous
faisons des promotions comme personne et ils le savent.

Nous répondons en plus à un besoin de divertissement de la famille. Vous
rendez-vous compte que faire ses achats dans un hypermarché est synonyme de
sortie de samedi après-midi dans de très nombreux cas ? L’été, des centaines
de familles passent des soirées et des journées entières au frais grâce à
nos climatiseurs et aux programmes d’animation pour enfants que nous mettons
en place.

A vous entendre, nous sommes à deux doigts d’une entreprise philanthropique
! Si vous étiez soucieux du divertissement de vos clients, vous auriez pu y
penser en amont en créant des cinémas par exemple. Pour le moment, vous ne
semblez pas très soucieux de la qualité des services en vos murs. Les prix
restent trop élevés, les promos ne sont pas ce que l’on croit, les files
d’attentes en caisses sont toujours trop longues, le personnel n’est presque
jamais disponible…

Autant dire que rien ne va. Si les clients sont aussi maltraités, pourquoi
viennent-ils ? Pour se faire malmener ? Allons donc ! Soyons sérieux, de
quoi parlons-nous ? Avez-vous vu mon pic de fréquentation à l’annonce de la
rentrée, de Ramadan, du Mouled ou de l’Aid…Cessez vos doléances. Le client
est roi !

Tellement roi que vous le poussez à faire des dépenses superflues et
participez à l’endettement des foyers des tunisiens. Pour revenir à vos
promotions, n’est-ce pas aux dépends des fournisseurs et des distributeurs
que vous les faites ? Certains prix changent deux fois et plus dans la même
journée. Vous mettez des mois entiers à payer des fournisseurs malgré un des
taux de liquidités les plus hauts du pays.

Au risque de vous paraitre brutal, je suis une entreprise dont le but est de
faire du chiffre et de la marge. Ma raison d’être est que le consommateur,
remplisse son chariot. Quoiqu’il aime, je me dois de le satisfaire. S’il
aime le bio et l’équitable, le diététique et le traditionnel, le frais et le
conditionné, le brut et le fini…Peu importe, s’il aime le lablabi, je lui
en servirais !

Imaginez-vous un jour que les fournisseurs et les distributeurs s’amusent à
créer eux même leurs points de vente. Que feriez-vous s’ils cherchaient à se
démarquer de vous ?

Rires puis silence…

N’avez-vous pas le sentiment d’avoir porté un fort préjudice aux petits
commerces ?

Je ne pense pas. Nous ne sommes pas encore suffisamment nombreux et répandu
sur le territoire tunisien. La proximité et la couverture géographique sont
nos principaux handicaps. S’il y’a éventuellement un coupable, ce serait
davantage le supermarché. Il est judicieusement implanté, proche des
quartiers et des consommateurs.
Monoprix,
Champion,
Magasin Général
présentent une gamme de produits offerte assez variée avec des prix moins
chers que chez l’épicier.

Mais ils étaient là avant vous. Pour ne citer que le Monoprix, une enseigne
historique du pays, son objectif était de s’implanter là où on a eu besoin
d’elle, sans que ce soit forcément porteur.

Et alors ! Les temps changent et les habitudes de consommation changent
d’autant plus. Les supermarchés classiques n’ont pas su se rénover à temps.
Tant pis pour eux ! Que feront-ils si les consommateurs se mettent à l’achat
sur internet ?

Et puis, si vous alliez voir du coté du commerce parallèle. N’est ce pas
plutôt lui, qui met en danger les entreprises dans ce pays ?

Vous me semblez trop intransigeante vis-à-vis des hypermarchés. Savez vous
seulement que je suis un signe de développement ? Dans le monde entier, je
symbolise la modernité et le positivisme.

Finalement, il n’y a que Tunis capitale qui soit suffisamment développée
pour que vous vous y installez ?

J’arrive dans d’autres villes du pays, d’ici peu. C’est juste une question
de temps.

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