Mal : c’est ainsi que se passe la transmission des entreprises familiales en
France, d’après un rapport effectué par Olivier Mellerio, lui-même dirigeant
d’une entreprise familiale. C’est Hervé Novelli, secrétaire d’Etat chargé du
Commerce, de l’Artisanat et des PME qui a commandé l’étude. Avec la crise, née
des dérives de la globalisation et de la capitalisation à outrance de
l’économie, le «capitalisme patient» des entreprises familiales, d’après les
mots d’Hervé Novelli, a le vent en poupe. «La crise nous fait prendre conscience
du fait qu’il y a différentes façons de gérer une entreprise. (…). On sait que
les entreprises familiales sont en moyenne mieux gérées et obtiennent de
meilleures performances que les autres», a expliqué le secrétaire d’Etat, lors
de la présentation du rapport, le 30 octobre dernier. De plus, à l’heure des
délocalisations, «les entreprises familiales ont la vertu du long terme, elles
sont inscrites dans un territoire qu’elles répugnent à quitter, sauf en cas de
problèmes vitaux», a-t-il ajouté.
Le plus bas taux d’Europe
Jusqu’à présent, «l’Etat s’était plutôt désintéressé du sort des entreprises
familiales. Il avait plutôt cherché à constituer des groupes nationaux au
service des objectifs stratégiques», d’après le rapport d’Olivier Mellerio.
Pourtant, 83% des entreprises en France sont des entreprises familiales, selon
le Family business network. Et elles contribuent pour environ moitié des emplois
et du PIB du pays, en agissant dans différents secteurs : textile et industrie
du luxe, automobile, biotech, distribution, médias…Mais voilà, la France est le
pays européen où le taux de transmission familial est le plus bas pour les
entreprises de plus de dix salariés, d’après une enquête réalisée par le cabinet
KPMG en 2007. Ce taux n’est que de 10%, alors que la moyenne européenne tourne
autour de 44%, et que le chiffre dépasse les 70% en Italie. Pourtant, 20% des
dirigeants hexagonaux concernés expriment le désir de réaliser une transmission
familiale. Pourquoi un tel décalage entre ces vœux et la réalité ? Pour Olivier
Mellerio, les raisons sont de plusieurs ordres.
Trop de mesures ?
Tout d’abord, les procédures et les contraintes fiscales seraient
décourageantes. «Une entreprise peut être aujourd’hui transmise avec un
frottement fiscal inférieur à 5% de sa valeur estimée (…) si les montages et les
dispositions permettant de limiter les coûts sont mis en œuvre en temps voulu»,
explique le rapport. Néanmoins, l’empilement des dispositifs successifs
formerait une procédure trop complexe. Ces mesures «sont un progrès pour les
entreprises les mieux structurées et les mieux conseillées, mais laissent la
majorité des patrons de PME dans l’ignorance et l’incertitude», écrit Olivier
Mellerio. Or, l’essentiel des entreprises familiales comptent moins de 10
salariés, d’après le Family business network. En fait, il existe des mesures
conçues pour faciliter ce passage.
La LME, loi de modernisation pour l’économie, par exemple, prévoit des
dispositions fiscales favorables au repreneur, si ce dernier fait partie de la
famille du vendeur ou des salariés de la société. Par ailleurs, le Conseil
supérieur du notariat, le Conseil supérieur des experts-comptables, les réseaux
consulaires, et l’APCE, Association pour la création d’entreprise, doivent
fournir un accompagnement aux chefs d’entreprise soucieux de transmettre leur
bien, a rappelé Hervé Novelli. L’APCE propose par exemple l’intervention d’un
consultant dans l’entreprise, chargé d’examiner sa transmissibilité. La
prestation est financée à 90% : il en coûte donc 200 euros au chef d’entreprise.
Pour l’instant, seuls 35 d’entre eux ont utilisé cette possibilité. Force est de
constater que, pour l’instant, ce vaste réseau rate largement la cible des
entrepreneurs familiaux qui veulent transmettre leur entreprise. «Les cédants
s’y prennent beaucoup trop tard», regrette Olivier Mellerio. Autre souci, les
héritiers, eux, «ont tendance à ne pas vouloir faire comme papa», regrette-t-il.
Et ce, d’autant que certaines difficultés structurelles invitent plutôt à la
vente qu’à la transmission. «Les PME sont trop faibles, elles ont des fonds
propres insuffisants, des capacités d’autofinancement trop limitées.
Pas moi, mon père…
Au final, elles sont obligées de se céder, car elles n’arrivent pas à «grandir»,
explique Olivier Mellerio. Pis, au «plafond» commun à toutes les PME, s’ajoute
une problématique spécifique à l’entreprise familiale : le poids financier du
rachat des parts de cousins, frères et autres héritiers, dans un climat qui peut
s’avérer compliqué. La «garantie du financement de transmission» d’Oseo ne prend
pas en compte cette dépense, et banques et capital-risque renâclent, remarque
Olivier Mellerio. Un fonds d’aide Reste que, pour poser les bases d’une
politique publique en faveur de l’entreprise familiale, encore faut-il que
l’administration la reconnaisse en tant que telle. Ce n’est pas le cas
aujourd’hui. Pour l’instant, les définitions sont multiples et le rapport a
choisi de s’appuyer sur celle qui mixe des critères de présence familiale dans
le capital et la gestion de l’entreprise. Il nous faut «travailler à une
définition de l’entreprise familiale. C’est une notion difficile à cerner
simplement», a remarqué le secrétaire d’Etat, qui souhaite explorer les
différentes pistes proposées par le rapport : une labellisation qui donnerait
une visibilité sur ce type de société, par exemple. «Lors du partage, il
faudrait considérer que l’entreprise n’est pas un bien comme un autre, car elle
a une responsabilité sociale», préconise également Olivier Mellerio. D’autres
mesures pourraient aider à la préparation de la transmission, et l’alléger,
comme la suppression de l’ISF pour les actionnaires majoritaires des entreprises
familiales. «Je vais faire expertiser les propositions du rapport par les
ministères», a promis Hervé Novelli. Quant à l’idée de créer un fonds d’aide à
la transmission, cela «me semble particulièrement bien venu», a déclaré le
secrétaire d’Etat. Des mesures pourraient être prises en 2010.