Tunisie – Informatique : Rencontre avec un architecte d’un monde (logiciels) libre

Webmanagercenter : A travers nos lectures, nous avons pu constater le début de
l’expansion du terrain des logiciels libres (LL) : jusqu’à là réservés à une
sphère de techniciens innovants, les LL font leur trou et commencent maintenant
à toucher le grand public. Pouvez-vous, en pensant à nos lecteurs, nous éclairer
sur toutes ces notions que sont l’Open source, le middleware, et les LL ?

jean-laisne-320.jpgJean-Pierre Laisné : Je pense qu’il serait bon de partir de la genèse de tout
ça, plutôt que de définitions pour comprendre ces notions. Vous connaissez
Richard Stallman [le père des LL] ? C’est lorsqu’il travaillait au MIT
(Massachusetts Institute of Technology) que l’impossibilité de disposer du code
source du logiciel du matériel qu’il utilisait l’a amené à réfléchir. Ce qu’il
voulait c’était avoir accès au code source et pouvoir le modifier et l’améliorer
selon ses besoins et le redistribuer afin que d’autres puissent aussi
l’améliorer. Contre cette logique propriétaire, il a créé une licence [GPL : la
licence du LL par excellence], en ‘copyleft’ pour se différencier du copyright
habituel.

En 1991, Linus Torvalds [étudiant finlandais] a créé son propre système
d’exploitation Unix, auquel d’autres informaticiens (sollicités via Internet)
ont contribué à la finalisation grâce aux outils libres (GCC) et à la licence
GPL : cette collaboration aboutit à
LINUX.

Parallèlement, l’émergence d’Internet, dont l’architecture technique repose sur
une hiérarchie de réseaux, s’appuie sur l’étroite intimité qui la lie aux
logiciels libres et à leur interopérabilité.

Le Web émerge, Linux mature, serveur apache est créé… Vous connaissez la suite !
L’éclosion de nouvelles technologies autour des LL : Cloud computing, SAS,
Google, blogs, tweets …

Dans votre intervention, vous avez parlé de logiciel libre comme d’un bien
commun mais vous parliez également de business model. Pouvez-vous nous expliquer
le comment du pourquoi ?

La nature même des LL en fait un bien commun à préserver, à enrichir et à
partager. En créant ensemble sans contrainte, nous obtenons une production
sociale qui a une valeur et qui peut engendrer des activités rémunératrices : la
documentation, le service de formation, le service de support, le service
d’intégration… C’est une chaîne vertueuse autour de l’exploitation directe des
LL.

On peut également utiliser les LL pour créer en aval un service innovant pas
forcément libre, du type Google. Nous aurons donc ici un business model hybride.

Ce qui compte, c’est qu’ils enrichissent ou contribuent à ce qu’ils exploitent.

Comme Yochaï Benkler [professeur de droit, chercheur], je considère que les
nouvelles formes d’économies dans l’Open source [comprenez LL] sont basées sur
le partage social et les échanges. Ainsi, la théorie économique des LL suppose
que leur résultat est une production sociale qui a une valeur, et c’est la
première fois dans l’histoire que des rapports sociaux créent des biens
valorisables sur le marché!

Et comme vous le rappeliez lors de la conférence avec le parallèle sur les
sciences du vivant et l’industrie pharmaceutique, la notion de propriété
intellectuelle, et donc de privatisation, interroge ce modèle économique de
rapports sociaux. Par rapport à la Tunisie maintenant, comment Bull se
positionne-t-il ?

Oui, mais une réforme de la propriété intellectuelle passe par une prise de
décision au niveau politique… Le Brésil, par exemple, a déjà franchi le pas et
s’engage pour les LL.

Bull est un intégrateur global qui de par ses investissements en Recherche et
développement en Logiciel Libre, a accumulé une expérience qui le place tout
naturellement comme un acteur majeur du monde Open Source. Constructeur, Bull
apporte une démarche industrielle au monde de l’open source. Il propose
d’ailleurs différentes solutions (Novaforge, etc.). Le slogan qui porte la
société est ‘’architecte d’un monde ouvert’’, elle souhaite rendre disponible
son expérience et sa capacité d’action… donc elle offre une gamme complète et
sécurisée pour porter, supporter, intégrer et développer des infrastructures
applicatives. Notre participation au consortium OW2 [structure de développement
d’intergiciels libres de qualité industrielle] nous permet d’être en contact
avec des entreprises, des chercheurs et des start-up de tous pays. Le
partenariat que nous recherchons est du type ‘gagnant-gagnant’ entre un ‘gros’
comme nous et de petits projets qui pourront profiter des ressources de notre
groupe.

Concernant les opportunités du marché tunisien et la création éventuelle d’un
Cloud tunisien (infrastructure libre profitable au public et au privé) ?

La réflexion est en cours… Mais vous savez, le monde du LL est complexe, il a un
impact à la fois sur les technologies, sur les pratiques et les usages dans les
affaires, mais aussi sur la société… Or l’évolution d’une société peut sans
doute prendre plus d’une génération …

Quelle forme aurait-il concrètement ?

Une méga-architecture, permettant une réelle inclusion digitale, en accès libre
et qui regrouperait les domaines de l’éducation, de la santé, des services
gouvernementaux, du développement du e-business …

En tous cas, si l’objectif est une société de l’Information équitable et ouverte
à tous, le libre nous y amène !