Economie – Monde : Quand les riches maigrissent, les pauvres meurent !

Tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes possibles ! L’adage du conte le
plus célèbre de Voltaire trouve de curieuses résonnances dans l’annus horribilis
qui s’achève pour l’économie-monde et l’onde de choc de subprimes américaines
aux quatre coins des centres marchands de la planète. En effet, c’est en période
de crise -crise financière et crise des valeurs morales- qu’il sied de relire
Candide. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’œuvre de Voltaire a éclairé le
XVIIIème siècle (Candide trouve sa source dans les catastrophes de son temps) et
qu’elle nous apporte, aujourd’hui encore, ses précieuses lumières pour saisir, à
l’aube du nouveau millénaire, les conséquences d’un ordre marchand, financiarisé
à l’excès.

Selon l’Institut of International Finance, un think tank de Washington, les
transferts (nets) de capitaux privés vers les pays pauvres vont s’effondrer,
passant de près de 1.000 milliards de dollars en 2007 à seulement 165 milliards
en 2009, à la suite de l’explosion de la bulle financière internationale et des
errements de l’économie de casino.

Pour faire face aux effets pervers de la main invisible du marché, qui a mis
toute la planète en court-circuit et asséché les flux de capitaux occidentaux,
les Etats africains se sont tournés vers les fonds souverains privés et ont
réussi à lever 6,5 milliards de dollars d’obligations internationales. Très
faible, disent les ONG, eu égard au gel des investissements étrangers et à
l’effritement des recettes d’exportation.

L’Overseas Development Institute, un think tank britannique spécialisé dans les
questions du développement international et l’humanitaire, chiffre la baisse,
cette année, de l’aide officielle des pays riches de 20%, c’est-à-dire de 20
milliards de dollars, alors que durant 2005-2007, elle est restée plus ou moins
inchangée. La crise, ce n’est pas la fortune moins le sourire, mais un autre
monde, avec d’autres règles ! C’est ainsi que l’effondrement des prix des
produits de base, fondement du commerce extérieur au Sud et principale source
fiscale, a fragilisé les équilibres socioéconomiques en Afrique et amplifié la
pression sur les budgets africains, qui sont passés, assure le dernier rapport
de la BAD, d’un salutaire excédent de 3% du PIB en 2007 à un déficit
prévisionnel du même taux en 2009. Handicap majeur pour toute relance
économique, prédisent les experts.

Cerise sur le gâteau, les importations américaines provenant des pays pauvres
ont perdu, d’après des organismes humanitaires, 6% et celles de l’Afrique
subsaharienne 12%. Pour ces régions précarisées, l’instabilité des échanges
internationaux est une plaie béante.

Quand les riches maigrissent, les pauvres meurent !

De nombreux pays du Sud vivent des transferts d’argent de leurs compatriotes,
installés dans les pays du Nord. Ces sommes s’élevaient à 300 milliards de
dollars en 2008, soit un montant plus important que l’aide internationale
elle-même. L’équilibre budgétaire de certains Etats en dépend. Ces flux de
devises représentent, rappelle la Nigériane Ngozi Iweala, directrice générale à
la Banque mondiale, dans une de ses interventions publiques, 45% du PIB du
Tadjikistan, 38% de celui de la Moldavie, 24% de celui du Liban et de la Guyana.
On le voit bien, entre 2005 et 2007, l’embellie était au rendez-vous, le
commerce international florissant ; aujourd’hui, le panorama n’a rien de
réjouissant.

D’après le FMI, entre 2.500 milliards et 3.000 milliards de dollars de dettes
sur les marchés émergents arrivent à échéance en 2009, autant que les déficits
budgétaires américains et européens, plus que le coût du sauvetage des banques
du Vieux Continent. Il s’agit de données inquiétantes, tragiques, qui
surviennent après une décennie de croissance, d’euphorie et de libéralisme
triomphant dont l’un des succès majeurs est d’avoir réussi à arracher à la
pauvreté des millions de personnes, principalement en Afrique.

Selon la Banque mondiale, environ une personne sur six dans les marchés
émergents s’était hissée au-dessus du seuil de pauvreté (2 dollars par jour) en
2005, même en ne gagnant encore que moins de 3 dollars par jour.

Les dégâts collatéraux de la galaxie finance et le transfert des incertitudes à
l’économie réelle ont provoqué, estiment des experts, la chute de 65 millions de
personnes au-dessous du seuil de pauvreté absolue, durant l’année 2009. D’ici
2015, à cause de la crise, entre 200.000 et 400.000 enfants vont succomber de
malnutrition chaque année.

Décidemment, la marche vers un monde plus équitable, plus harmonieux se fait
attendre de plus en plus.