Les Européens et les Américains dépensent l’argent public par milliards d’euros
et de dollars pour sauver leurs systèmes bancaires. Ces gouvernements le font
car ils sont convaincus que les banques sont essentielles au bon fonctionnement
de l’économie. Mais contribuent-elles vraiment à la croissance économique ? Il
est plus difficile qu’il n’y paraît de répondre à cette question. Beaucoup
d’études ont montré l’existence d’une corrélation positive entre développement
des institutions financières et croissance. Mais corrélation n’est pas
causalité. Développement bancaire et croissance pourraient tous deux être causés
par un troisième facteur, comme l’existence d’un certain type de système
juridique par exemple. Il serait alors faux de conclure que les banques ont un
effet positif sur la croissance : le vrai déterminant de la croissance serait le
système juridique et non les banques. Comment peut-on alors estimer le véritable
effet des banques sur l’économie ? Il faudrait trouver un facteur qui prédit
l’existence de banques sans être corrélé avec aucune autre variable susceptible
d’avoir un effet sur la croissance. Ainsi l’on pourrait isoler le pur effet
causal des institutions financières sur l’économie. Un jeune économiste, Luigi
Pascali (1), a récemment écrit un article très ingénieux qui fait exactement
cela.
Utilisant des données italiennes, il montre que le développement de banques dans
certaines villes italiennes et non dans d’autres peut être relié à l’existence
d’une communauté juive au Moyen Age. Au XVe siècle, il était contraire au dogme
catholique de devenir banquier. Seuls les Juifs étaient habilites à prêter de
l’argent moyennant versement d’un intérêt. Or Pascali montre qu’il y a beaucoup
de persistance dans le développement financier au cours du temps. Les villes
italiennes ayant hébergé des communautés juives au Moyen Age ont, encore
aujourd’hui, les institutions financières les plus impor tantes. Comme
l’établissement de communautés juives ne peut être relié à aucune autre
caractéristique économique ou institutionnelle des villes, Pascali peut isoler
le pur effet causal des banques sur la croissance.
Il trouve un effet non négligeable. Une augmentation du crédit bancaire (en
pourcentage du PIB local) de 1 % accroît le PIB par tête de 0,2 % en moyenne.
L’effet positif des banques passe par une meilleure allocation du capital vers
les entreprises les plus productives. Il est donc établi, dans le cas de
l’Italie, que les banques ont eu historiquement un rôle favorable à la
croissance. Ces effets positifs seraient vraisemblablement similaires pour les
autres pays européens où le système bancaire est la principale source de
financement des entreprises.
Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Les banques allouent une partie grandissante de
leur capital à l’investissement dans des actifs financiers. L’innovation
financière, qui va bien au-delà du rôle traditionnel des banques consistant à
investir l’épargne dans les entreprises productives a-t-elle contribué à
renforcer la croissance ? L’essor des produits dérivés ou structurés a été
vertigineux. Or nous n’avons à ce jour aucune étude rigoureuse prouvant que
l’innovation financière a contribué à la croissance.
En fait, les données historiques tendent à montrer que l’innovation financière,
loin de diminuer le risque, tend à l’augmenter à l’échelle macroéconomique. Les
périodes où la déréglementation bancaire a été la plus importante, où la
sophistication des marchés financiers a été la plus élevée et les salaires des
banquiers les plus disproportionnés par rapport au salaire moyen sont les années
1920 et les années 2000. Ces périodes ont été suivies par l’implosion de
l’économie. Corrélation n’implique pas causalité. Mais les régulateurs devraient
s’interroger sur la valeur sociale de la majeure partie des innovations
financières des dix dernières années. Elles ont enrichi les banquiers mais ont
conduit l’économie au bord du gouffre. Il est incroyable qu’après la crise
récente, il n’y ait pas eu, par exemple, un renforcement de la réglementation du
marché des «credit default swaps». Jusqu’à ce qu’une étude rigoureuse prouve le
contraire, je partage donc l’avis de Paul Volcker, l’ancien patron de la Réserve
fédérale : «La seule innovation financière des vingt-cinq dernières années dont
l’utilité sociale est incontestable est le distributeur automatique de billets
!»
(1) « Banks and Development : Jewish Communities in the Italian Renaissance and
Current Economic Performance,Boston College», 15 novembre 2009.
*Professeur à London Business School