Pour aller au bureau, je prends comme à mon habitude un taxi. Loin de ressembler
à ceux de Vanessa Paradis, les «Taxi Driver» tunisiens seraient-ils tous des
goujats ? Ces surdoués de la circulation sont peut-être les champions de la
mauvaise humeur mais pour sonder les traits d’une société qui change, il n y a
pas leur pareil ! Du coup, en faisant cette chronique, j’ai déjà amorti mon
déplacement.
Au matin, vous avez une chance sur deux de tomber sur un chauffeur qui émerge de
son sommeil. Il y a de fortes chances qu’il soit mal rasé, qu’il n’ait bu son
café, ni pris le temps de se brosser les dents. Normal ! Il travaille toute la
nuit ou se réveille à peine. En fait, il commence ou finit sa journée. Dans les
deux cas, il vous parle peu ou quasiment pas. Il baisse la tête pour «oui» et la
tourne pour «non». Evidement, il se fâche si vous sortez un billet de banque
pour payer. Evidement, vous auriez dû penser qu’il n’a pas de monnaie. Evidement
!
Au cours de la course, si vous dites que vous souhaitez descendre plus tôt que
prévu, c’est à peine s’il ne vous éjecte du véhicule. Si vous changez d’avis, de
direction ou exprimez votre souhait de continuer à pied, il vous insulte
littéralement. Même si la circulation bloque et que vous allez rater votre
rendez-vous avec votre banquier ou coiffeur.
Dans le Grand Tunis, les taxis individuels se comptent aux alentours de 12.000.
Et justement, celui qui doit m’emmener à mon second rendez-vous est en litige
avec une des dernières femmes en «safsari» de Tunis. Ils se chamaillent
sérieusement et la dame ne démord pas. Pour une distance similaire, elle a payé
2d750 la dernière fois. Il est hors de question qu’elle en paye plus. C’est vrai
qu’entre leurs réputations et leurs rapports plutôt bizarres avec le compteur,
ils ne peuvent qu’avoir tort. D’ailleurs, le chauffeur décide de ne pas
m’embarquer. Il a dû voir toutes les méfiances du monde dans mon regard !
Je cours et commence à héler un autre taxi. A peine j’en repère un qui s’arrête
à quelques dizaines de mètres qu’un homme somme toute assez élégant, s’y
engouffre sans scrupules. J’ai beau protester et hurler que j’avais un
rendez-vous capital, il ne descendra plus de la voiture. Sans perdre du temps Ã
trouver un soutien chez le chauffeur, j’abandonne. Non pas qu’ils soient
solidaires dans leur machisme, mais le resquilleur allait à l’autre bout de la
ville. Une simple question d’amortissement.
En tout cas, il faut reconnaître que certains «taxistes» peuvent obtenir un prix
de patience devant la mauvaise foi de leurs clients. Avec l’expérience, ils sont
devenus indétrônables en termes d’approches socioprofessionnelles et flairent
les bons des mauvais clients. Ils peuvent deviner qui est architecte, femme au
foyer, homme pressé, amant gêné, prostituée ou homosexuel… Ils parlent aux uns
et aux autres le langage qu’ils veulent ou doivent entendre. Intarissables sur
les derniers potins de la ville, ils vous livrent sans insistance les dernières
rumeurs et croustillants détails.
Le rapport taxi-passager est souvent biaisé. Il tourne à la confrontation au
quart de tour, ou plutôt de compteur. Ce qui est censé être un service payant
peut alors tourner au cauchemar. Tomber sur un taxi où l’on vous prend en «otage
acoustique» est une expérience à laquelle vous n’échapperez pas. Cette
probabilité est bien réelle. Loin d’être idéale, surtout à une demi-heure d’une
présentation importante pour votre carrière, dans certains taxis, on impose le
son poussé à fond, la lecture du Coran ou le vacarme des «libaniseries»
musicales tout le long du trajet que dure votre «coursa». En règle générale,
plus la sonorisation diffusée par un poste radiocassette est grésillant, plus le
volume sera haut. Il est inutile de se hasarder à réclamer de mettre moins fort
le volume. Dans un cas, vous serez jugé «ennuyante et ennuyeuse». Dans le se
second, vous ne seriez rien d’autre qu’une hérétique !