Internet : La fabuleuse histoire d’un Chinois qui devint roi du e-commerce

Partant de rien, un professeur de langue a su monter en 10 ans un empire qui
vaudrait 50 milliards d’euros. Son site pour particuliers Taobao attire un tiers
des 380 millions d’internautes chinois, tandis qu’Alibaba, pour professionnels,
voit chaque jour transiter 300 millions de dollars

Dans un pays habitué aux grands nombres, ceux revendiqués par le groupe Alibaba
ont de quoi faire pâlir. Chaque jour, ce sont 300 millions de dollars qui
transitent par la plateforme de vente en ligne pour professionnels Alibaba.com,
tandis qu’un tiers des 380 millions d’internautes chinois dispose d’un compte
sur Taobao, filiale du groupe, qui a écrasé son concurrent Ebay sur le marché de
la vente entre particuliers en Chine. L’an dernier, 200 millions de vêtements
ont été vendus via Taobao, “le chasseur de trésors”, et 60 millions de
téléphones portables.

La success story Alibaba fait parler en Chine. Dans les librairies, des livres
placés en tête de gondole expliquent comment “réussir comme Jack Ma”. C’est dans
un appartement de Hangzhou, à 180 kilomètres de Shanghai, qu’a débuté l’aventure
du fondateur d’Alibaba. Un deux pièces, avec 18 personnes et un capital de 50
000 euros. “On n’emprunte surtout pas d’argent” aurait dit M. Ma, ancien
professeur pas trop branché technologies, en lançant son site le jour de son
anniversaire, le 10 septembre 1999. Le design est simple, entre Amazon et Ebay,
car les technologies compliquées, estime-t-il à l’époque, personne n’y comprend
rien.

Pas de business plan sur Internet

Dix ans plus tard, les seuls 20% du capital du groupe qui sont à la bourse de
Hong Kong valent 10 milliards d’euros. Alibaba vaut donc logiquement 50
milliards d’euros et a 18 000 employés.

Pourtant David Wei, placé par M. Ma à la tête du site Alibaba.com, semble plutôt
serein. “Nous n’avons pas de business plan, dit-il, avec internet nous ne
pouvons pas en avoir”. La clé du succès, selon lui, est d’avoir été innovants,
“nous cherchons seulement à résoudre les problèmes des usagers”.

Alors qu’approchait l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du
commerce, les promesses d’affaires ne manquaient pas, pour les Chinois comme
pour les étrangers. Mais comment trouver son partenaire ? Alibaba était la
réponse. Le site permet en quelques secondes de trouver des fournisseurs
n’importe où dans le monde, qu’il s’agisse de gaz naturel ou de slips, puis de
prendre contact, de comparer les prix et de passer commande. “Nous avons des
utilisateurs absolument partout dans le monde, sauf en Corée du Nord parce qu’il
n’y a pas internet” aime à dire David Wei. La moitié des volumes échangés le
sont avec la Chine, le reste entre autres pays du monde.

Taobao écrase Goliath

Vint ensuite Taobao, mis en ligne en 2003, David contre Goliath. “Ebay avait 90%
du marché, nous 5%. Aujourd’hui c’est exactement le contraire” s’amuse M. Wei,
la quarantaine, un patron en veste noire et col roulé qui se montre plutôt
accessible. Sentant la pression de son petit concurrent, le richissime Ebay
occupe tous les grands sites du net chinois, tels que Sohu et Sina, pour faire
sa promotion. Une offensive à 300 millions d’euros, selon le directeur général
d’Alibaba. “Si nous avions fait comme eux, nous n’aurions eu aucune chance de
gagner, alors nous avons décidé de tout faire différemment”. Notamment se faire
connaître via la centaine de milliers de petits sites de la toile chinoise
plutôt que par les grands portails et via le bouche à oreille.

Alibaba dispose de plus de 80% de parts de marché en Chine, idem pour Taobao.
“Je ne crois pas qu’il y ait de place (pour la concurrence) en suivant ce
modèle. Mais si quelqu’un crée un nouveau modèle, alors il y a de la place”
estime M. Wei, “par exemple, faire du
e-commerce
sur téléphone portable, c’est
nouveau, c’est possible”.

Taobao traite aujourd’hui 3% du total des ventes de détail en Chine, mais vise
les 6% cette année. Le développement du e-commerce ne devrait pas s’arrêter là.
“Nous estimons qu’il représentera 15% des ventes de détail en Chine dans les 5
ans à venir et 35 à 40% dans 10 ans” dit David Wei, lors d’une conférence à la
Chambre de commerce et d’industrie française à Pékin.

Alipay prévoit de doubler Paypal en 2011

Le nerf de la guerre reste le paiement sur Internet, qui n’inspire qu’à moitié
confiance aux utilisateurs. Qui dit problème pour les usagers dit réponse
appropriée d’Alibaba, qui a lancé Alipay. “A la campagne en chine, lorsque l’on
ne se connaît pas, on fait appel à un intermédiaire mutuellement respecté, un
vieil homme, pour les paiements dans les affaires” explique le directeur général
d’Alibaba.

Alipay, qui sert d’intermédiaire de paiement, entend détrôner le numéro un
mondial du paiement en ligne Paypal d’ici 2011. La plateforme made in China se
vante d’avoir déjà 260 millions de comptes et aime les comparer aux 180 millions
de clients que possède l’Industrial and Commercial Bank of China, plus grande
banque de Chine. Les Chinois peuvent déjà payer leurs factures d’électricité ou
acheter des billets d’opéra via Alipay.

Dans une période trouble sur le web, où le moteur de recherche Google se plaint
d’avoir été attaqué par la Chine alors que son concurrent chinois Baidu porte
plainte aux Etats-Unis après avoir été paralysé par une attaque pendant près de
8 heures, l’avenir se joue également sur la sécurité.

Fermer des usines en cas de cyberattaque

Alibaba a pour cela eu recours à 3500 ingénieurs car, prévient M. Wei, s’il
arrivait la même chose sur le site et ses 300 millions de dollars de commandes
quotidiennes, “il faudrait certainement fermer des usines”.

Le groupe fondé par Jack Ma est d’ailleurs monté au créneau pour se démarquer de
Yahoo! lorsque ce dernier a pris la défense de Google, qui menace de quitter la
Chine. David Wei reconnaît que Google est face à un dilemme. “Je respecte les
valeurs de Google derrière cette décision et je pense que ces valeurs émanent de
ses fondateurs, explique-t-il, je pense que faire des affaires dans des pays
différents est difficile. Mais abandonner est le plus grand échec”. Il poursuit
: “Comment peut-on organiser l’information mondiale sans l’importante part de la
Chine ? Je pense qu’il s’agit d’un défi posé aux valeurs de Google.
Continueront-ils leur mission ou continueront-ils de soutenir leurs valeurs ?”

Alibaba est un résumé du commerce international. Il y a 3 mois, 27 ambassadeurs
de Chine sont rentrés à Pékin faire leur rapport. Ils ont également rencontré
David Wei. Fu Ying, ambassadrice de Chine au Royaume-Uni a été étonnée de
constater que 600 000 entreprises britanniques font des affaires sur le site.

Alibaba capable de prévoir la crise mondiale

Ce miracle du e-commerce n’est pas qu’une machine à brasser des milliards mais
aussi une boule de cristal, permettant de prévoir l’avenir de l’économie
mondiale. Au constat du nombre de commandes passées dans chaque pays, Alibaba
sait comment évoluera l’offre, parfois mieux que les états ou les institutions
internationales. En juillet 2008, le groupe lançait un avis de tempête
financière. “Nous pouvons prévoir (l’évolution de) l’économie mondiale de 3 à 6
mois à l’avance” dit David Wei. La crise a d’ailleurs apporté à Alibaba 4
millions de nouveaux acheteurs en un an, poussés par la nécessité de trouver des
fournisseurs moins chers et de réduire les coûts de transaction.

Le voyant du commerce international sait donc déjà comment se déroulera l’année
2010. “Cette année, l’économie américaine va continuer à se redresser
solidement. Je n’ai pas vu le moindre signe de reprise en Europe. Les marchés
émergents tels que le Brésil ou l’Inde continueront leurs croissances à 2
chiffres pour ce qui est du commerce international. L’ensemble de l’économie
mondiale sera relativement faible et reviendra au niveau de 2007” prévoit-il.


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