«Je joue au golf et ne travaille plus. J’ai tout légué aux enfants et ne fais
plus de déclarations à la presse», déclare Neji Mhiri, tout de go. Détendu et
souriant, l’homme parle peu et lentement. Derrière ce flegme impassible se cache
le bâtisseur de l’un des groupes les plus puissants de Tunisie. Un groupe qui se
hisse à la 12ème place au hit parade des entreprises selon le dernier classement
du magazine L’Economiste Maghrébin. Avec un chiffre d’affaires qui a atteint
plus de 338.004 dinars durant l’année 2008, le groupe se compose de 18 sociétés.
Bien qu’il pèse à lui seul près de 10% de la capacité hôtelière tunisienne, son
nom reste associé à une entreprise :
Meublatex. Considérée comme un cas d’école,
la «sucess story» liée à l’industrie du meuble est enseignée dans les
principales universités de gestion du pays.
Fondée en 1972, Meublatex possède 19 unités de production et s’articule sur 120
points de ventes sur tout le territoire tunisien. Elle emploie plus de 8.000
salariés.
Pour l’homme d’affaires, elle a surtout signé le début de son aventure
entrepreneuriale et remonte à un temps où, après des études réussies,
Neji Mhiri
(NM) gérait plusieurs sociétés étatiques appartenant à la
STB (Société
tunisienne de banque). Il se souvient : «J’ai trimé dans l’administration, j’ai
réalisé du beau travail mais j’étais souvent abasourdi par certaines
incohérences. Pour obtenir une licence d’importation, c’était la croix et la
bannière. Il arrivait qu’une usine de plusieurs centaines de milliers de dinars
reste bloquée pour un refroidisseur de 100 dinars». Inconcevable pour l’homme et
son tempérament !
L’occasion de passer au privé se présente en un appel de Hédi Nouira, alors
Premier ministre de l’époque, à construire l’entreprenariat privé national :
«Tout cela remonte à un temps où l’on construisait notre économie nationale. Le
jour où Hédi Nouira, un homme pointilleux et intelligent qui croyait dur comme
fer en l’entreprise privée, a fait un appel invitant les compétences tunisiennes
à se manifester pour construire l’entreprenariat tunisien ; je n’ai pas perdu de
temps», se rappelle-t-il.
Depuis, NM a fait du chemin. Il a bâti un empire qui se déploie dans
l’agriculture, l’industrie et le tourisme.
Attaqué de partout, NM se préoccupe peu des rumeurs et des critiques qui «ne
font guère avancer les choses et les gens» commente-t-il. D’ailleurs, il n’en a
guère le temps et encore moins l’envie d’en perdre. Le concernant et son groupe,
les informations les plus contradictoires circulent dans la ville. Son groupe
serait l’entreprise la plus endettée du pays, ses créances ne seraient pas
honorées, son groupe hôtelier tirerait le tourisme tunisien vers le bas et son
agence de voyage casserait les prix. Neji Mhiri n’en tient pas cas. Il sourit et
travaille.
Qu’on l’admire ou méprise, on lui reconnaît aisément sa qualité de bûcheur. Il
se souvient, non sans le sourire : «Je ne sais que travailler. J’ai toujours
travaillé. A 14 ans, on demandait à ma famille l’équivalent de 25 dinars pour
construire un poteau d’électricité. Nous ne les avions pas. Alors, j’ai acheté
la chaux et j’ai construit la pyramide pour l’Union d’Electricité de Tunisie».
Depuis, NM n’a jamais cessé de travailler. Tout jeune, il s’est essayé au
jardinage, au bricolage et même à l’agriculture en apprenant à greffer les
rosiers et tailler les agrumes.
Son talent n’a pas échappé à la perspicacité de ses maîtres de l’époque. Ils ont
vu en lui un gestionnaire d’exception. A à peine 12 ans, il avait la charge
d’acheter les tabliers et les espadrilles pour les enfants nécessiteux. Dans le
cadre de la coopérative, il rachetait aussi les vieux livres pour constituer la
bibliothèque de l’école. Les couvertures étaient alors fabriquées avec de la
farine. La colle était si rare et tout le monde était forcément un peu bricoleur
et beaucoup débrouillard.
Sur son bureau, il y a un téléphone, des photos de famille et une feuille. Son
empire tient dans une feuille A3 qu’il scrute avec ses yeux perçants tous les
jours. Cette feuille de route est le résultat d’un programme maison qui résume
l’état des ventes, établit le comparatif sur les trois dernières années, affiche
les prévisions et permet à l’entrepreneur d’affiner des remarques quasi
quotidiennes à une équipe constituée de plus de 400 cadres. Le groupement
touristique composé des hôtels El Mouradi, d’une agence de voyage (VLT) et d’une
buanderie centrale emploie entre 7 et 10.000 personnes, en fonction de la
saison.
L’homme golfe de moins en moins. Il fait par contre, entre une et deux heures de
marche quotidiennement et a l’allure d’un jeune premier. Bien entendu, NM ne
travaille plus. Il observe de très loin, ou de très près ses enfants qui ont
fait de brillantes études et son équipe de collaborateurs.
En ce moment même, une douzaine de polytechniciens et de diplômés des Grandes
Ecoles planchent avec son fils aîné sur les projets à venir. Une clinique est en
cours de construction. Son prochain «target» pour l’hôtellerie est d’atteindre
les 25.000 lits. Celui pour qui se déployer dans le tourisme s’est fait d’une
façon naturelle en a bousculé l’approche. Cet ingénieur de formation a adapté
une approche industrielle qu’il ne cesse d’affiner. Redoutable homme d’affaires,
il sait mieux que quiconque que c’est en temps de crise que les opportunités
sont particulièrement bonnes à saisir. Durant la Guerre du Golfe, il a bâti
plusieurs hôtels et mis en exploitation 10.000 lits.
Aujourd’hui, il transmet à ses enfants un concentré d’expérience unique. Il
précise qu’«il faut être calme et savoir s’entourer. La transmission est en
cours mais je suis là pour maintenir le bon cap. Ma force aujourd’hui est de
pouvoir doser. C’est un apprentissage que l’on fait sur le tas et qu’on
transmet. C’est ce qu’on appelle l’expérience».
Son équipe est en train de mettre la touche finale au projet de grande
distribution. Les négociations vont bon train et le lancement imminent. Il
confirme que «tout est fin prêt, le label est signé et le lancement est prévu
pour bientôt». Il n’en dira pas plus.
Entre temps, Néji Mhiri continue de ne plus travailler. Bien entendu, il joue au
golf. Bien entendu !