Tunisie – Entreprises: Salaire des dirigeants, le cri d’alarme
des commissaires aux comptes
«C’est
un sujet délicat qui ne laisse personne indifférent ».
M.Chakib Nouira,
président de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE), n’avait pas tort
de faire ce constat en ouverture du Workshop sur «la
rémunération des dirigeants
sociaux » organisé mercredi 17 février 2010. En effet, rarement question mise
sur le tapis par ce think tank du monde patronal tunisien n’aura fait autant
couler de salive et d’encre que celle des salaires des dirigeants d’entreprise,
dont une loi récente exige désormais la publication.
Les dispositions de ce texte promulgué en mars 2009, modifiant et complétant le
code des sociétés commerciales, n’ont à ce jour été appliquées que par de rares
entreprises, en tête desquels Poulina Group Holding, dont la président,
M.Abdelwaheb Ben Ayed, a été le premier, il y a près d’une année, à révéler le
montant de son salaire. Le contraire aurait été étonnant dans un pays où le
monde des affaires, constitué pour l’essentiel d’entreprises familiales, n’est
guère porté sur la transparence. Même si certaines voix appellent à un
changement dans ce domaine. Dont celle du président de l’IACE, qui reconnaît la
récalcitrance de ses pairs à révéler le montant de leurs revenus –«même la femme
d’un patron ne sait pas combien gagne son époux»- et qui pensent qu’il «vaut
mieux révéler son salaire”, sinon «on vous en attribue un quatre à cinq fois
plus important ».
Mais là n’est pas le –seul- problème. Autant que les chefs d’entreprises, la
nouvelle loi inquiète au plus haut point une autre corporation : les
commissaires aux comptes à qui la nouvelle loi confie la responsabilité de
déclarer la rémunération des dirigeants de l’entreprise dont ils valident les
comptes.
«Les commissaires aux comptes sont inquiets pour leur avenir et je les comprends
», confirme
Slaheddine Ladjimi, directeur général de le Banque Internationale
Arabe de Tunisie. «La nouvelle loi pose des problèmes aux dirigeants et aux
professionnels», affirme Fayçal Derbal, expert comptable. Qui se demande
«pourquoi on confie aux commissaires aux comptes la charge de révéler les
rémunérations des dirigeant » des entreprises dont ils s’occupent.
D’ailleurs, la loi controversée «s’est focalisée sur les conflits d’intérêts et
la rémunération des dirigeants des sociétés et n’a pas établit de corrélation
entre cette rémunération et les performances de l’entreprise », reproche Fayçal
Derbal.
Et le risque encouru par cette corporation semble d’autant plus réel que les
nouvelles dispositions du code des sociétés commerciales concernant la
rémunération des dirigeants sont diversement interprétées, en raison de
différences linguistiques entre les versions arabe et française. Par la faute
d’une virgule, la procédure dite des «trois A » (Autorisation par le conseil
d’administration, Audit par le commissaire aux comptes et Approbation par
l’Assemblée générale ) est obligatoire selon une version –la française- mais pas
d’après l’autre. «Nous avons intérêt à avoir rapidement une interprétation
officielle du texte pour pouvoir l’appliquer », recommande Abdessatar Mabkhout,
commissaires aux comptes. Un appel réitéré et appuyé par tous ses confrères
présents.