Chatroulette.com : grand frisson de la “roulette sociale” ou perversion ?

photo_1266862492077-1-1.jpg
Un ordinateur portable (Photo : Justin Sullivan)

[22/02/2010 18:16:01] PARIS (AFP) “Chatroulette.com”, site de rencontres aléatoires créé par un jeune russe et phénomène internet du moment, part de l’idée “illusoire” qu’on pourrait avoir partout sur terre des amis inconnus, ouvrant la porte à des dérives dénoncées par les défenseurs des enfants.

“C’est le buzz le plus important depuis une semaine sur les réseaux sociaux. Il n’invente rien mais pousse à son paroxysme l’idée qui anime la communication synchrone (connexion en direct avec une personne) : avoir des amis qu’on ne connaît pas” partout dans le monde, explique Amar Lakel, chercheur en communication publique numérique à l’université de Bordeaux III.

Thème récurrent des forums et des blogs, objet de curiosité sur twitter, le site ovni lancé fin 2009 par Andrey Ternovskiy, lycéen de 17 ans, vous met en contact par hasard, avec la caméra de l’ordinateur, avec un autre internaute connecté lui aussi de la même façon sur le site. S’engage alors, ou pas, un dialogue. Une touche, “next”, permet à tout moment de “zapper” et de passer à un autre “nouvel ami potentiel”.

Simple d’accès et d’utilisation, sa page d’accueil stipule qu’il s’adresse à des internautes “d’au moins 16 ans” et ne tolère “aucun contenu obscène, insultant ou pornographique”.

Car, s’il arrive qu’il mène une vraie conversation, l’internaute peut être confronté à tout : blagues de potaches, scènes de masturbation et déviances.

L’association e-Enfance, qui entend protéger enfants et adolescents des risques rencontrés sur internet, a d’ailleurs mis en garde lundi contre les dérives pornographiques du site et alerte les éditeurs de contrôle parental. L’organisation non-gouvernementale (ONG) Action Innocence, qui mène le même combat, demande que le site soit intégré dans les listes noires de ces systèmes de contrôle.

Pour l’ONG, si l’exhibitionnisme n’est pas un phénomène nouveau, “la facilité et la régularité avec laquelle un enfant peut être confronté à ce type d’image” sur le site sont déconcertantes.

Amar Lakel, qui étudie depuis des années la “fabrication de l’espace public”, s’intéresse à Chatroulette pour ce qu’il dit sur “la communication numérique qui va profondément transformer nos rapports sociaux et fait partie de notre quotidien”.

“C’est le paroxysme d’une dimension qui existait déjà sur d’autres plate-formes (MSN, Skype, Facebook) : trouver des amis. Il en fait un service à part entière, jouer à la +roulette sociale+”.

“On ne peut pas générer le hasard. La mythologie de la belle rencontre sert le marketing. Mais on peut générer des usages : un jeu social, qui peut être enivrant comme le casino, et, de manière morbide, comme la roulette russe”.

Pour Patrick Baudry, sociologue à Bordeaux III, spécialiste du sexe et de l’image, Chatroulette attise l’imagination et les visions fantasmatiques.

“On est dans l’expérimentation. On vient vivre quelque chose d’intime dans un espace public, partagé, et c’est toute l’ambiguïté. C’est le frisson, on pimente l’imaginaire sans se parler. Quelles limites se fixe-t-on, quel tri faire entre les usages qu’offre un tel site ? C’est toute la question. C’est un registre seulement ludique et illusoire car mettre deux êtres en relation par hasard, c’est une règle qui n’a jamais présidé à aucune époque”, conclut-il.