La démarche a de quoi séduire. La première idée était d’imaginer l’avenir, c’est
d’ailleurs comme ça qu’on peut le préparer. L’approche est en totale démarcation
de ce qui se fait, banalement. On ne va pas prophétiser, l’on s’en doute bien.
Ni même verser dans des prévisions pas plus qu’il ne s’agit d’un exercice
classique de projections.
Imaginer l’avenir en interrogeant le passé, et c’est tout l’intérêt de la thèse
d’Etat de Khaled Kaddour, actuel PDG de la
SITEP, ingénieur de son état,
professeur honoraire à l’ENA. Sa publication avait coïncidé avec le
cinquantenaire de la fête de l’Indépendance et remonte donc à l’année 2006. Et à
l’initiative de Karim Ben Kahla, doyen de l’ISCAE (campus de La Manouba), Khaled
Kaddour a ouvert le cycle des «Eminent Speakers» présentant sa thèse qui est
actuellement publiée sous le titre «analyse prospective d’un système en
transition : la Tunisie à l’horizon 2050».
La thèse de Khaled Kaddour marque les esprits. Ajouter à cela qu’il sait la
distiller à l’auditoire avec son débit pondéré, calme et mesuré. L’effort de
concision est payant car le débat a été riche et passionné.
Faire parler le passé
Visualiser la société tunisienne à l’horizon de 2050, ça donne à rêver. Khaled
Kaddour ne joue pas avec nos sens, il ne présente pas un modèle mais il laisse
chacun l’imaginer. Ce n’est donc pas une mise en équation de l’avenir, son
travail est d’ordre scientifique. Il se contente de cadrer la dynamique du
mouvement. C’est plus un travail de cryptage qu’une simple écriture
évènementielle. L’avenir, tout comme le passé, est une succession de
métamorphoses qui évoluent par «lip forging» des sauts de paliers. Et les
périodes de temps se détachent l’une de l’autre sous l’effet des ruptures.
Et l’auteur le précise bien : «Nous vivons à un rythme de ruptures et par
conséquent il faut construire le futur en prenant en considération les ruptures.
Ce sont des mouvements que l’on ne peut extrapoler car les ruptures génèrent des
impondérables. Il convient de les aborder par la réflexion que de les
modéliser». C’est précisément cet aspect original qui a amené l’auteur à sonder
le passé qui dégorge ses «futurs qui n’ont pas eu lieu».
Le triple mouvement d’images : le passé, le présent et le futur
L’auteur se situe à un carrefour où se télescopent les dimensions temporelles.
Regarder le passé et «cadrer» l’avenir avec un regard contemporain. Il n’y a pas
à dire, c’est une autre sensation.
Parmi les futurs qui ne se sont pas déroulés, l’auteur retient l’échec de
l’expérience collectiviste. Et, précise-t-il, c’est l’expérience scandinave qui
nous a servi de modèle d’inspiration. On se laisse aller à imaginer si la greffe
avait pris. Transposer le modèle scandinave, on vous laisse imaginer le «niveau
de résilience qu’on aurait acquis. Quand on voit à l’heure actuelle que la
Scandinavie est le groupe régional qui a le mieux résisté à la crise».
La fusion morte dans l’œuf entre la Libye et la Tunisie, aurait «constitué un
moteur à la construction maghrébine, si elle avait abouti». L’intégration
régionale avait été également initiée, alors «qu’elle était déconseillée, à
l’époque par nos partenaires européens et qui nous aurait donné un appoint de
croissance de près de 2%». L’alternance paisible qui a apporté la sécurité, un
nouveau souffle et un accélérateur de développement.
Neuf histoires plurielles et quatre scénarios possibles
La génétique du passé foisonne de pas moins de neuf histoires plurielles qui ont
interféré dans notre dynamique de développement. Mais le plus extraordinaire est
qu’elles commandent notre avenir. Elles contiennent les clés de cryptage du
futur. C’est là tout le secret de la prospective dont l’auteur rappelle qu’elle
est la réunion de deux vocables. D’un côté, il y a prospection, soit
l’exploration des domaines nouveaux, de l’autre, on trouve la perspective,
laquelle induit les notions de point de vue et de futur.
Le croisement des variables et paramètres du système échafaudé par l’auteur
autorise quatre scénarios possibles. Ce sont les futurs qui n’ont pas eu lieu
qui nous renseignent sur l’étendue du spectre de nos futurs possibles qui vont
du piétinement, au repli, en passant par la poursuite et culminant avec le
succès. L’idéal serait de faire coïncider le futur réalisable avec le meilleur
scénario du futur possible.
Une initiative opportune
Le panorama est mobilisateur.
L’assistance avait évoqué le projet de Mohamed Mahatir en son temps qui parlait
de la Malaisie à l’horizon 2020. C’était une dot d’énergie qui a fait tilt et
les Malaisiens s’étaient sentis galvanisés par cette échéance culte qui était un
challenge largement adopté et qui a galvanisé le mental de toutes les strates
sociales. Les gens avaient cette date en mémoire et cela allumait leur
engagement. Tous prenaient date.
Pas de référentiel anglo-saxon
Dans sa thèse, l’auteur s’est ressourcé à partir des travaux d’économistes et de
prospectivistes français, tels Jacques Lesourne ou Michel Gaudet. Mais aucune
référence anglo-saxonne. En l’occurrence on pense à Francis Fukuyama et à sa
thèse de la fin de l’homme et de la fin de l’histoire. L’auteur est «contre la
thèse de Fukuyama. Je focalise personnellement sur l’être humain et le
développement du citoyen. On construit le développement durable quand l’homme
est au cœur du projet. D’ailleurs j’observe que Fukuyama est revenu sur sa
thèse. Personnellement, je me concentre sur les tendances lourdes et porteuses
de demain».
Le choix de 2050
Il est vrai qu’il faut se donner du champ pour réfléchir sur l’avenir. L’auteur
pense que «l’année 2050 est un horizon où la population aura plafonné à 13
millions environ, et entamera un repli. C’est, par ailleurs, un horizon à
plusieurs temporalités. Il y aura d’abord 2015, année où on sera en zone de
libre-échange totale avec l’UE, où on verra les demandes d’emplois culminer à
100.000 et le PIB par tête augmenter de 50%. Puis viendra 2035, date à laquelle
il y aura une physionomie particulière de notre démographie. Les moins de 15 ans
représenteront moins de 15% de la population et les seniors dépasseront les 15%.
Par ailleurs c’est la date où on aura achevé les grands travaux et parachevé le
désenclavement régional. Et last but not least, en 2035, le PIB par tête aura
atteint le seuil magique des 10.000 dollars». Ce qui veut dire que le pays aura
définitivement rejoint le camp des pays développés.
Le scénario du succès
Avec 7% de taux de croissance et un taux de chômage de 6%, le scénario du succès
-même si on ne sera pas là pour le voir-, on aimerait tant pouvoir contribuer à
sa survenue. L’environnement international sera caractérisé par de l’instabilité
mais avec les attributs de prospérité économique que l’on peut se donner, on
sera paré pour résister. Notre résilience sera telle que nous aurons une
confortable marge de manœuvre. Malgré les ruptures technologiques qui vont se
répéter. La moitié des emplois de demain nous est actuellement inconnue. Et en
dépit des ruptures énergétiques et environnementales qui pourraient survenir, le
système présenté par Khaled Kaddour résiste à bien des hypothèses de
stress-test, ce qui est rassurant pour la solidité de son système. Et pour nous.
Les risques
Il y a des futurs possibles et ce sont quatre scénarios qui sont présentés : le
repli, le piétinement, la poursuite et le succès, et ce qui détermine le tout ce
sera les bonnes décisions.